25-04-2024 11:18 - Entretien avec Madame Kadiata Malick Diallo, députée à l’Assemblée nationale

Entretien avec Madame Kadiata Malick Diallo, députée à l’Assemblée nationale

Le Calame - La CENI a fixé la date de la prochaine présidentielle au 29 Juin prochain ; les acteurs politiques sont en précampagne. Quels sont selon vous les enjeux de cette échéance, aussi bien pour l’opposition que pour le pays tout entier ?

Kadiata Malick Diallo : L’élection présidentielle du 29 juin 2024 sera une compétition entre un président sortant et candidat à sa propre succession et des challengers voulant lui reprendre le pouvoir. Le sortant doit présenter un bilan de son action pour convaincre les électeurs de lui accorder un second mandat ; ses adversaires doivent, eux, offrir des projets prouvant qu’ils peuvent constituer une alternative crédible.

L’enjeu principal de cette élection sera donc la possibilité de battre, en vue d’un développement harmonieux dans l’unité nationale, ce système oppresseur de notre peuple dans son ensemble, discriminatoire et fossoyeur de nos richesses nationales, ou alors son maintien, avec nos populations encore soumises à la misère et au joug.

Cela dit, cet enjeu de changement n’est envisageable qu’avec une élection juste, équitable et transparente. Or, au cours de ces trois décennies, en dehors de la période 2006-2007 dont on peut dire que les élections furent acceptables et acceptées, toutes les autres furent gravement entachées et contestées par des manifestations publiques réprimées, parfois dans le sang : présidentielle de 1992 avec trois morts à Nouadhibou et la mystérieuse disparition d’un avion transportant le wali de Dakhlet Nouadhibou, présidentielle de 2019 avec le siège de Nouakchott, des manifestants gravement blessés et des arrestations, etc.

Les dernières élections de 2023 ont connu le même sort. Je pense donc que l’autre enjeu du prochain scrutin est tout simplement de nous donner une élection fiable sans contestation. Pouvons-nous l’espérer ? Rien n’est moins sûr… Quant à l’opposition, elle a besoin de reconstituer son unité, de présenter un discours d’opposition et de rupture pour espérer gagner la confiance du peuple.

- Les acteurs politiques de l’opposition peinent à trouver un candidat unique en leur sein, en dépit de nombreuses tentatives dont la plus récente est celle de la CVE. Selon votre expérience et votre connaissance de notre arène politique, pourquoi peinent-ils à parler d’une seule voix quand il s’agit de la présidentielle? Pour juste une question d’ego ?

- Le constat que vous dressez sur la division de l’opposition est malheureusement une réalité. C’est fort regrettable ! Je pense que ses différentes tendances n’arrivent pas à tirer de bonnes leçons de leurs expériences positives et négatives.

- Vous vous battiez pour une candidature unique et ce n’est apparemment pas gagné. Qu’entend la députée Kadiata Malick Diallo, membre de la coalition Espoir Mauritanie 2023 et suspectée, par certains, de nourrir des ambitions présidentielles ?

- J’ai effectivement milité, avec mes camarades, à la recherche d’une candidature consensuelle soutenue par toute l’opposition ou une frange importante de celle-ci. C’est un souhait d’ailleurs partagé par beaucoup d’acteurs politiques et de forces vives de la Nation mais qui peine à se réaliser. Je ne désespère pas pour autant : nous sommes au stade des déclarations d’intention, les uns et les autres ont encore le temps de se ressaisir.

Il existe, je le sais, une opinion défendant l’idée que les candidatures multiples de l’opposition présenteraient plus d'avantages. Je pense que c’est mal évaluer la situation. Le contexte de cette élection se caractérise par un pouvoir sortant sans pratiquement aucun bilan convaincant à défendre devant le peuple, une opposition déstructurée et des populations mécontentes mais désorientées et comme résignées. Quant à moi, je n’ai jamais nourri la moindre ambition présidentielle. Quelle que soit leur motivation, ceux qui le supposent ou le déclarent se trompent tout simplement.

- Pour préparer l’élection présidentielle, le ministère de l’Intérieur a organisé des journées de concertations avec les partis et la CENI. Comment avez-vous évalué cette rencontre ? Pensez-vous que les recommandations adoptées par les participants seront mises en œuvre lors du scrutin ? Les mesures prises par la CENI dans la perspective de cette élection vous rassurent-elles ?


- Franchement je n’ai rien compris à cette concertation. À mon avis, ce n’était qu’une énième perte de temps. Le rapport publié ressemble plus à un procès-verbal de débats sans conclusions. Quant à la CENI, je ne suis pas non plus au courant de mesures qu’elle ait prises pour corriger les failles et manquements constatés lors des dernières élections, je ne vois donc pas en quoi pourrait-elle rassurer.

- L’unité nationale est devenue depuis quelques années l’antienne de tous les partis et de certaines organisations de la Société civile. Chacun revendique sa part de combat. Comment cette question vous a-t-elle paru traitée durant les cinq années du mandat de l’actuel Président ?

- L’unité nationale est aujourd’hui une question fondamentale dans le pays. Tout le monde en parle mais les visions sont diamétralement opposées. Pour les tenants du pouvoir, il n’y a de problème qu’en l’existence de courants sectaires ou populistes qui sèment la division et utilisent la question en fonds de commerce.

La réalité, c’est que l’unité nationale a été brisée par les politiques destructrices des différents gouvernements qui se sont succédé. Illustrée par des purges ethniques, des déportations, des massacres et des exécutions extra-judiciaires, cette cassure atteignit son point culminant en 1989-1990-1991 et se superposa à un autre grand fossé résultant de l’hideux phénomène de l’esclavage et ses séquelles.

Au cours de ses cinq années de pouvoir, le président Ghazwani aura été incapable de proposer des solutions conséquentes et viables pour reconstituer une unité nationale saine. Pire, la gestion courante de l’État a renforcé ces fractures par la poursuite de l’appauvrissement, des discriminations, du népotisme et de l’exclusion.

Face à cette incurie généralisée, rien d'étonnant de voir proliférer toutes les formes de luttes porteuses de revendications légitimes dont certaines peuvent malheureusement connaître des dérives accentuant la division.

- Des tractations sont en cours pour trouver une solution consensuelle et définitive au dossier dit « passif humanitaire ». Les organisations de défense des ayants droit, des rescapés, des veuves et orphelins sont sur le point de boucler les listes des bénéficiaires des réparations que l’État serait disposé à verser. Que pensez-vous de cette démarche qui n’associe visiblement ni les partis politiques ni les organisations de défense des droits de l’Homme ?

- je disais tantôt que Ghazwani a été incapable de trouver des réponses viables aux questions de l’unité nationale. Or ce dossier est un des plus épineux. Depuis des décennies, des hommes et des femmes se sont battus aux côtés des victimes directes (rescapés militaires et civils, veuves et orphelins) pour un règlement juste de cette question, avec cette finalité qu’à l’instar des autres peuples qui ont subi de tels traumatismes, tous les Mauritaniens se réconcilient pour aller de l’avant. Visiblement, des forces hostiles à tout règlement juste de ce dossier obstruent toutes les voies en ce sens.

L’approche engagée par le pouvoir actuel ne diffère en rien de la solution de son prédécesseur : profiter de la vulnérabilité des victimes et ramener la solution à un versement d’argent et autres biens matériels, sans vérité ni justice. Je pense que le président Ghazwani ou son successeur doit s’inspirer du Rwanda que celui-là vient de visiter, à l’occasion du trentième anniversaire du génocide vécu dans ce pays.

- Le premier mandat du président Ghazwani fut placé sous le sceau de la lutte contre la gabegie et pour la bonne gestion des deniers publics. Le procès de l’ex-Président en fut une illustration. À l’heure du bilan, diriez-vous que le résultat est à la hauteur des espérances ?

- La lutte contre la gabegie faisait partie des engagements – les fameux Taahoudaty – mais le travail remarquable de l’enquête parlementaire de 2020 a été dévoyé. En réalité, les preuves qui montrent que la lutte contre la gabegie n’a jamais été engagée sont là : le recyclage et la promotion de tous ceux qui ont été pointés du doigt, relevés de leur fonction ou même emprisonnés pour des faits avérés.

L’incarcération de l’ex-sénateur Mohamed Ghadda, président de l’Organisation pour la Transparence Inclusive qui a alerté, documents à l’appui, sur la gabegie et autres malversations dans la gestion de certains projets de l’État, est une autre preuve éclatante de ce qu’on n’est pas engagé dans cette voie. Les malfaiteurs ont donc encore de beaux jours devant eux et gare à celui qui se hasarderait à les dénoncer.

Propos recueillis par Dalay Lam



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Commentaires (1)

  • moussadioulde (H) 25/04/2024 14:36 X

    La réalité, c’est que l’unité nationale a été brisée par les politiques destructrices des différents gouvernements qui se sont succédé. Illustrée par des purges ethniques, des déportations, des massacres et des exécutions extra-judiciaires, cette cassure atteignit son point culminant en 1989-1990-1991 et se superposa à un autre grand fossé résultant de l’hideux phénomène de l’esclavage et ses séquelles. Vos (MND)reccommandations à l'époque de ces faits y avaient contribué a assoir une gouvernance raciste et négrophobe. L'abîme de cette nation est aussi de votre oeuvre.