25-06-2014 23:59 - La vie est la terre inconnue des solitudes…

La vie est la terre inconnue des solitudes…

La Plume Francophone - Si j’ai choisis de parler du Sahara, c’est tout d’abord parce qu’il est l’univers de mon enfance. Un univers que l’on recherche sans cesse, en devenant adulte. Ensuite, c’est parce que c’est l’endroit où je me sens en totale liberté, et en harmonie avec moi-même.

C’est là que je retrouve mon esprit. Il est difficile, parfois de ressentir de telles sensations, pour un non saharien, sauf si celui-ci fait des longues retraites au désert. Ibrahim Al Koni, l’écrivain de référence, sur le Sahara, disait : « le Désert est un enfer de bonne volonté ».

En effet, malgré la chaleur, le vent chaud, parfois la soif, la fatigue, la désolation du grand espace inhabité, je suis happé par le silence, l’immensité, et par cet invisible présent dès les premiers pas, les premiers instants, de marche en solitaire. L’éveil de tous les sens, dès que je mets le pied dans ce Sahara, même si cela ne survient que cinq minutes, après avoir quitté un village, ou une ville en bordure de ce Désert.

Ce qui m’a toujours semblé intéressant, c’est de parler à travers cette voix, qui s’accapare de vous, dès que vous pénétrez cet espace de liberté. La voix que le marcheur entend, peu a peu, avant que celle-ci ne devienne gigantesque dans l’esprit, pour l’occuper totalement. C’est cela la profondeur du Sahara, une fois que l’on s’est débarrassé de tous les clichés. Une fois que l’on s’est laissé porter, par l’invisible qui l’habite.

Je quitte l’aliénation de la ville, du superflu matériel, du vil des hommes, pour me laisser traverser par cette Vérité que « seul le Sahara » (certainement, aussi d’autres espaces sauvages, comme en montage, en mer ou en campagne) donne à ressentir, à vivre, avant d’entrer dans une phase transcendantale, mystique, voire « surnaturelle ». Une expérience qu’il est si bon de vivre, que je suis presque tout le temps tenté de n’en revenir point, si je n’avais pas le sourire de ma fille, l’appel des miens et de ceux qui me sont chers, qui m’interpellent, pour me ramener « à la raison ».

Le point de départ de ce texte est Paris. J’ai vécu « mes années hexagonales », ou hors du Sahara, en général, en état « de somnolence », comme si mon corps était là-où je me trouvais, mais mon esprit toujours ailleurs, dans un autre monde, un monde indéterminé.

À Paris, avant de partir, (durant l’été 2009) je ressentais de plus en plus l’omniprésence de la grande masse des gens, les incessants bruits de la ville, la grande vitesse pour tout, l’inattention ou l’indifférence des humains vis-à-vis de leurs semblables, tout cela devenait peu à peu insupportable, lourd pour moi… Donc je marchais beaucoup à Paris, pendant mon temps libre, quand je rentre de travail, quand j’allais chez des amis, en allant au cinéma, etc., je marchais en fait, pour chercher une délivrance, pour me soulager, m’alléger le cœur…

Mon esprit me quittait, peu à peu, de plus en plus, au fil des ans, et j’avais besoin de le retrouver. Pour moi, il ne pouvait être que dans le calme et la sérénité, donc au Désert… Et un jour, après une marche, je suis revenu chez moi, j’ai pris quelques affaires, puis je suis parti… J’avais foncièrement, affectueusement, mentalement, charnellement, besoin de retrouver cet espace de mon enfance, cette terre aride, « vide », mais qui contient tout à la fois, tout pour moi.

J’avais donc, toujours cet écho qui résonnait en moi, dans ma tête, dans le cœur, il s’en suivait une incommensurable nostalgie, qui devenait de plus en plus forte avec le temps. D’où le choix de ce titre : Echo saharien, l’inconsolable nostalgie[1].

Aujourd’hui cinq ans près, je suis heureux, rassuré, apaisé, d’entendre le Sahara souffler sans cesse à ma fenêtre…

Pourquoi avoir évité de parler des événements politiques ?

« Evité », n’est pas le bon mot, car ce n’était pas un choix délibéré. Le sujet de mon livre ne porte pas sur les évènements qui secouent en ce moment le Sahara central. Cela ne veut pas dire que je suis indifférent à cette réalité ou que je la nie. Non ! Je me sens au contraire concerné par ce qui se passe.

En réalité quand j’ai fait le voyage que je raconte dans ce livre, entre 2009 et 2010, la guerre n’était pas encore déclarée au Mali. Même si ses principaux ingrédients étaient déjà présents sur le terrain, – lors de ce voyage -, il ne manquait plus que la guerre en Libye dont les conséquences allaient déclencher, un peu plus tard, une nouvelle ère de violence au Nord-Mali.

A la page 148, de manière tout à fait « anecdotique », le narrateur parle « d’indices qui annoncent des troubles qui allaient bientôt arriver » : « Mais le Sahara, impassible, invincible, majestueux et indépassable, restera éternel. Il “renaîtra” après tout vent, après n’importe quelle aventure hasardeuse, impie ou insolente des hommes à la mémoire courte ».

Même si j’écrivais le texte après – c’est à dire aujourd’hui, par exemple, où il y a deux ans au déclenchement de la guerre au Mali – je trouverais malvenu de parler du Sahara, et des peuples qui l’habitent, avec le seul angle, de ce conflit.

C’est très réducteur et même inconséquent vis-à-vis d’eux. Le Sahara, sans idéaliser les choses, est beaucoup trop beau, pour moi, trop fort, pour être réduit, ou décrit, à travers la vision, ou selon l’angle de quelques groupes ou groupuscules armés, qui font leur loi, – pour l’instant - ici ou là. Si je dis « pour l’instant », c’est parce que le Sahara reprendra ses droits, tôt ou tard, c’est sûr.

Loin du bruit des armes

Si le livre ne sort que maintenant, c’est certainement parce que c’est le meilleur moment pour un autre écho de parvenir du Sahara pour le monde. Une voix autre que celle des armes, qui minent les âmes en réduisant à néant plusieurs siècles de savoir et de connaissances.

Ces armes qui anéantissent les cultures, tout en se proclamant de ces dernières de façon démagogique, ou tel un fond de commerce. Une révolte non menée, politiquement, idéologiquement, intelligemment, par le peuple, pour le peuple, peut causer l’extinction de ce même peuple.

C’est malheureusement ce à quoi l’on assiste au sujet des Touaregs, pris en étau entre des politiques gouvernementales, menées depuis une cinquante d’années, sans tenir compte des réalités culturelles de ces nomades et/ou semi-nomades, dans leur espace de vie traditionnel, et des rebellions cycliques qui n’en finissent pas de miner le petit équilibre fragile que ces Hommes tentent, tant bien que mal de faire exister dans un espace désertique, déjà très hostile.

La crise de 2012, remettra les Touaregs vingt ans en arrière, c’est un fait désolant, sans parler de tout ceux qui ont perdu leurs proches, leurs familles, dans l’amalgame total. Il n’est pas possible de rester indifférent à ces femmes qui vous disent dans le camp des réfugiés maliens à M’béra, en Mauritanie : « nous voulons bien que la paix revienne pour repartir chez nous, mais pour combien de temps avant qu’une autre guerre ne nous remette sur les routes de l’exil encore ? »

Ce que le lecteur peut apprendre en lisant votre livre ?

Le livre se déroule sous forme d’ « un travelling Saharien ». Je me laisse transporter, en faisant découvrir au lecteur des villes, des villages, puis des espaces désertiques et leurs habitants citadins ou nomades. Le narrateur nous fait vivre, en projetant sur ces lieux, ses interrogations, ses réflexions, ses désirs, ses souvenirs, ses espérances aussi. Je partage la vie des gens que je rencontre, au fil de la route, et durant les temps de pause. Ils racontent au lecteur leur vie, leurs histoires, (Leur Histoire aussi), tandis que leur beauté, leur poésie et leur musique enivrent l’esprit du voyageur qui les relate, d’un ton ébloui et charmé.

De Paris, je traverse l’Espagne, je passe le détroit de Gibraltar, j’arrive sur Tanger. Très vite, en descendant du bateau, je passe le Grand sud Marocain, empreint d’un bleu océanique, avant d’atteindre Nouakchott, en Mauritanie. Après un thé à la menthe bien sucré, servi avec volupté, au son du Hardine (la harpe mauritanienne), je poursuis mon échappée, pour aboutir à Bamako, là-où je ne m’attarde que « le temps d’un café » et d’une mangue bien fraiche, en écoutant la Kora mandingue, avant de reprendre la route vers le Nord malien.

Mon périple ne commence véritablement qu’à Ménaka, à 1500 kilomètres au nord-est de la capitale malienne. Ménaka, capitale des Imouchar, puissante tribu Touarègue, (érigée en confédération) à l’épopée, longue et très glorieuse.

Dans de Bamako à Ménaka, je mène une réflexion sur le voyage ou sur le déplacement, au siècle de la grande vitesse, réflexion dans le sillage des caravanes sahariennes d’antan, qui cheminaient au rythme des chameliers qui n’avaient pas toujours le temps contre eux, mais bien avec eux.

Mon compagnon de route, originaire de Ménaka, grand voyageur, énigmatique, et impassible, partage avec moi, le soucis et le désir éternel de partir, « pour faire vivre l’âme », m’a-t-il dit d’un geste en remuant sa main au dessus de son estomac… Le mystérieux compagnon de route me fera traverser le grand Sahara.

Après Ménaka, je vais dans le grand sud algérien, dans le Hoggar, à Tamanrasset. C’est là-bas que la beauté et la grâce se manifestent pour moi. Six semaines pour explorer, vivre et raconter « la belle Tam », au rythme des soirées musicales, des mariages et causeries le temps d’un conte, d’un poème déclamé spontanément. En sortant de Tam « je vois les paysages défiler, les maisons s’éloigner, je revois, en même temps, des personnes, des visages, des sourires, des gestes, des lieux, je sens des odeurs, je revois, j’entends la grâce et la beauté me dire au revoir.

Je sens le chagrin me monter de l’orteil au cerveau, je le sens semer des épines dans ma chair, en s’éparpillant dans tous mes membres, dans tous mes sens »
(p. 89). Rivé à la fenêtre du 4X4, je vois les paysages défiler pendant que le poème de la chanson dit : « L’homme est le fils de la nostalgie/ La vie est la terre inconnue des solitudes… ».
En revenant sur mes pas, avec beaucoup de chagrin, je passe par Kidal, une ville tendue, qui ne me retiendra que le temps de trouver une voiture pour Gao que je regagne, afin de poursuivre mon chemin vers Tombouctou, la ville des savoirs, à l’ouest, sur la route de l’imaginaire.

Dans la cité des 333 saints, je me replonge dans l’Histoire des Touaregs, « confisquée » par les récits des écrivains-voyageurs du XIXème siècle, non historiens, ils influencèrent pourtant « les spécialistes modernes des Touaregs ». A Tombouctou, je fais la rencontre d’un personnage surprenant, sage, attachant, très érudit, Nourri – Mohamed Lamine Al Ansari, historien arabophone, réputé en Afrique du Nord et au Moyen Orient.

Il est chercheur au Centre Ahmed Baba de Tombouctou. Je confrontais mes lectures avec ses immenses connaissances sur l’Histoire du Sahara, « immenses » cependant, « méconnues » pour les mondes francophones. Lors d’une conversation, en passant la ville ancienne de Tombouctou, il me délivra cette sentence : « L’histoire des Touaregs ne peut s’écrire sans eux… ». Et de poursuivre : « les spécialistes occidentaux de la question, ne sont pas les détenteurs des connaissances de notre Histoire, car ils n’ont pas lu, pour la plupart, les voyageurs, écrivains et historiens arabes, tels Ibn al-Kalbî, al-Yaqoubi, Ibn Khaldoun, al-Bakri, Ibn Battûta, etc.., qui étaient les premiers à parler, à visiter, à écrire sur nos tribus Touarègues actuelles, dont les majorités sont issues du royaume des Almoravides ».

Ce sont ces rencontres, ces échanges, ces observations, réflexions, et tant d’autres, au fil de ma route, de Ménaka à Tamanrasset, de Gao à Tombouctou, en passant par Kidal, dont il est question dans Echo Saharien, l’inconsolable nostalgie. Le récit d’un parcours personnel, qui nous permet d’aller à la rencontre, loin des clichés exotiques, de ces Touaregs, ces sahariens, qu’on n’entend pas tous les jours.

Par Intagrist El Ansari



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