04-07-2014 13:22 - En Mauritanie, la lutte toujours recommencée contre l’esclavage

 En Mauritanie, la lutte toujours recommencée contre l’esclavage

Biladi - La Mauritanie désignera son président le 21 juin prochain. Parmi les sujets en débat, celui de l’esclavage et de sa nécessaire éradication. Des textes qui abolissent, incriminent et qualifient ce crime contre l’humanité ont été adoptés par le pays entre 1981 et 2012, mais rien n’a changé, ou presque.

L’ombre de l’esclavage plane sur l’élection présidentielle prévue le 21 juin 2014, même si la portée du scrutin se trouve amoindrie par le boycott des principales formations de l’opposition.

Sur les cinq candidats déclarés, deux appartiennent à la communauté des anciens esclaves, les Haratine1, parfois encore appelés « Maures noirs ». Le président sortant, certain de l’emporter, a confié la direction de sa campagne à un cadre haratine qui a longtemps milité au sein de l’opposition.

Selon le rapport 2013 de l’ONG internationale The Global Slavery Index, le nombre de « citoyens » mauritaniens encore soumis à l’esclavage varie entre 400 et 600 000 personnes sur 3 millions et demi d’habitants. Un chiffre fortement contesté par le gouvernement, qui s’obstine à nier l’existence de l’esclavage dans le pays et parle seulement de ses « séquelles ».

Plus de 80 % des esclaves ou anciens esclaves demeurent mobilisés au sein des structures traditionnelles, c’est-à-dire les tribus. Être esclave, cela signifie appartenir à quelqu’un d’autre, et travailler pour lui sans contrepartie ; ne pas avoir accès à la propriété, ni à l’éducation, ni à la santé et être privé d’héritage pour soi-même et pour ses enfants. Les Haratine, bien qu’affranchis, sont quant à eux toujours victimes de discriminations.

Pères fondateurs

D’abord timidement engagée au milieu du siècle dernier, la lutte contre l’esclavage a connu un grand développement avec le lancement en mars 1978 du mouvement El Hor (littéralement « l’affranchi »). Au départ, les initiateurs de cette structure clandestine, tous issus de la communauté des Haratine, furent durement réprimés par les autorités militaires qui venaient de renverser le « père de la nation » et premier président de la Mauritanie, Moktar Ould Daddah.

Torturés et jetés en prison, les fondateurs du mouvement haratine réussirent trois années plus tard à convaincre le régime militaire du colonel Mohamed Ould Haidalla (1979-1984) d’adopter la fameuse ordonnance abolissant l’esclavage en Mauritanie. Un texte flou et incomplet qui de surcroît prévoit une véritable aberration: l’indemnisation des anciens maîtres, et n’incrimine pas la pratique de l’esclavage.

Sous la pression de la communauté internationale et des militants de l’intérieur, le gouvernement du président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya (1984- 2005) a adopté en 2003 une loi interdisant la traite des personnes. Mais il a fallu attendre l’éphémère gouvernement civil du président Sidi Ould Cheikh Abdellahi (avril 2007-août 2008) pour la promulgation de la loi qui incrimine l’esclavage et punit ses auteurs.

L’adoption de cette loi à l’unanimité au parlement récompensait le combat d’un homme : Messaoud Ould Boulkhair. Ce descendant d’esclave, qui a gravi tous les échelons de l’administration mauritanienne, a été promu ministre en 1984. Il est le premier Haratine à occuper un tel poste. Orateur au verbe piquant et acerbe, il s’est imposé au début des années 1990 comme le leader incontesté de sa communauté.

Il s’est porté candidat à la présidentielle en 2003, puis en 2007. Arrivé en troisième position, il négocia au prix fort son soutien au candidat Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi, vainqueur de ce premier scrutin crédible de l’histoire politique. Le leader Haratine devint président de l’Assemblée nationale et plaça quatre cadres de son parti au gouvernement.

En 2008, Boulkhair dirige la coalition hostile au putsch de l’actuel chef de l’État, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, et se présente à la présidentielle de 2009. Il arrive deuxième, devançant le leader de l’opposition, Ahmed Ould Daddah. Âgé aujourd’hui de plus de 70 ans, Messaoud s’est beaucoup assagi.

Il se dit préoccupé par la menace de violence qui pèse sur le pays, s’est séparé de ses anciens amis de l’opposition et traite désormais avec le chef d’État qu’il avait combattu. Cette alliance lui a toutefois permis de faire avancer sa cause en réussissant à inscrire dans la Constitution que l’esclavage est un crime contre l’humanité.

Mais Messaoud Ould Boulkhair ne fait plus l’unanimité au sein de sa communauté. Il est désormais concurrencé par de jeunes leaders dans le pays, dont Birame Ould Dah Ould Abeid, candidat à l’élection présidentielle, dirigeant de l’Initiative pour la résurgence d’un mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA) et l’un des lauréats du Prix des Nations Unies pour les droits de l’homme en 2013.

Le mouvement est divisé. Il y a aussi les auteurs du Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratine. Lancé le 29 avril 2013, ce manifeste appelle « à la mise en place d’un véritable contrat social, fondé sur l’appartenance commune à une nation unifiée. » Ce groupe a célébré le 30 avril le premier anniversaire de la publication de son document à travers l’organisation d’une marche à Nouakchott2.

Faire disparaître le phénomène

Le gouvernement a récemment adopté en collaboration avec l’ONU une feuille de route pour l’éradication de l’esclavage.

Elle comprend 29 mesures visant à y mettre fin dans une période d’un à deux ans. Elles vont de l’amendement de la loi 2007-048 incriminant l’esclavage à l’obligation de promouvoir des projets pour l’insertion des victimes, leur indemnisation par les auteurs d’actes esclavagistes, l’accès à la propriété foncière, l’exécution des décisions de justice, la création d’une institution de haut niveau chargé de lutter contre les séquelles de l’esclavage, l’assistance aux victimes, l’accès des enfants des anciens esclaves à l’école, l’instauration d’une journée de lutte contre l’esclavage, l’implication de la société civile, le renforcement des moyens des ONG, la création d’une commission de suivi ou l’évaluation périodique du travail accompli.

La Rapporteuse spéciale des Nations unies sur l’esclavage Gulnara Shahinian voit le 6 mars 2014 « comme un tournant dans la lutte contre l’esclavage en Mauritanie » et se dit « confiante que le gouvernement, en étroite coopération avec la société civile, va déployer tous les efforts nécessaires pour mettre pleinement en œuvre la feuille de route ».

Mais les associations mauritaniennes de lutte contre l’esclavage sont loin d’être satisfaites. Non seulement les ONG estiment avoir été tenues à l’écart de la préparation et de l’élaboration de cette feuille de route, mais elles jugent que l’État ne fait que lancer de la poudre aux yeux de la communauté internationale.

« Les dispositions précédentes, comme la loi criminalisant l’esclavage, adoptée en 2007, ne sont pas appliquées et le Tribunal spécial pour juger les crimes d’esclavage n’est qu’un artifice destinée à enrayer le flux de plaintes déposées ces dernières années devant les tribunaux ordinaires », assurent le président de l’IRA, Birame Ould Dah Ould Abeid, et Boubacar Ould Messaoud, président de SOS-Esclaves.

Quelles que soient les critiques portées contre la feuille de route, l’esclavage en Mauritanie, qui concerne une frange importante de la population, constitue un défi pour ce pays aux structures sociales inégalitaires. Mais le problème n’est plus uniquement de lutter contre ce fléau qui finira certainement par disparaître, plusieurs facteurs (sociaux, économiques, écologiques…) favorisant sa fin.

Ce qui est plus délicat et difficile à traiter, c’est le cas des descendants des esclaves qui exigent désormais de pouvoir profiter pleinement de leur pays pour dépasser enfin les blessures et ravages laissés par de longs siècles d‘exploitation et d’humiliation dont les séquelles sont pour le moins profondes, voire insupportables.

Plus qu’une discrimination positive, une action nationale de grande envergure envers les victimes de l’esclavage est nécessaire. La stabilité et l’avenir de la Mauritanie dépendent en grande partie du succès ou de l’échec du traitement de ce phénomène et de ses conséquences.

Moussa Ould Hamed



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Commentaires (2)

  • amokho1484 (F) 05/07/2014 12:18 X

    Qu'est-ce que l'esclavage aujourd'hui ? Beaucoup de gens, quand ils entendent le mot « esclavage », pensent à des personnes achetées, vendues, transportées d'un continent à l'autre, et au fait que l'esclavage a été aboli au début du XIXème siècle. Même quand nous ne savons rien de la traite des esclaves, nous considérons qu'elle appartient à une époque révolue. Ce n'est pas le cas : l'esclavage existe encore AUJOURD'HUI.

    Dans le monde entier, des millions de femmes, d'enfants, d'hommes, sont contraints à mener une vie d'esclave. Ils sont exploités dans des conditions qui s'apparentent à l'esclavage, même si l'on n'utilise généralement pas ce terme. Ils sont en effet vendus comme des objets, forcés à travailler pour peu d'argent, voire pour rien du tout, et se trouvent à la merci de leur « employeur ».

    Dans la plupart des pays où l'esclavage est pratiqué, il est officiellement illégal ; cela ne l'empêche pas d'exister. L'esclavage est également interdit par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, la Convention supplémentaire de l'ONU relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage de 1956. En Europe de l'Est, des femmes sont forcées de se prostituer ; en Afrique de l'Ouest, des enfants font l'objet de trafic entre différents pays ; au Brésil, des hommes sont contraints à travailler comme esclaves dans les grands domaines. L'esclavage d'aujourd'hui a de multiples visages et ses victimes sont très diverses, par leur âge, leur sexe ou leur origine ethnique.

    Qu'est-ce que l'esclavage ?

    Il existe un certain nombre de caractéristiques qui distinguent l'esclavage d'autres formes de violation des droits de l'homme. Elles sont les suivantes :

    un esclave est forcé de travailler, sous la menace de sévices corporels ou psychologiques,

    un esclave est la propriété d'un « employeur », ou sous sa coupe, et maintenu dans cette relation de dépendance par des sévices, ou menaces de sévices, corporels ou psychologiques,

    un esclave n'est plus traité comme un être humain, mais comme une marchandise, et acheté ou vendu comme tel,

    un esclave se voit imposer des entraves physiques ou voit sa liberté de mouvement restreinte d'une autre façon.

    Quelles formes d'esclavage existent aujourd'hui ?

    La servitude pour dettes touche au moins 20 millions de personnes dans le monde. Comment en sont-elles devenues victimes ? Par exemple parce qu'elles n'ont pas d'argent pour acheter un médicament à leur enfant malade, et qu'elles doivent donc en emprunter, quelquefois convaincues par de fausses promesses. Pour le rembourser, elles seront contraintes à travailler de longues journées, sept jours par semaine, 365 jours par an. En guise de « rémunération », elles reçoivent gîte et couvert, mais quelquefois n'arrivent jamais à éponger leur dette, qui peut alors être transmise aux générations suivantes.

    Le travail forcé : Des personnes sont recrutées dans l'illégalité par des Etats, des partis politiques ou des particuliers, et forcées à travailler pour eux, généralement sous la menace de sévices ou d'autres punitions.

    Les pires formes de travail des enfants : Il s'agit d'enfants qui travaillent dans des situations dangereuses ou impliquant exploitation. Des dizaines de millions d'enfants dans le monde travaillent à plein temps, et sont donc privés d'éducation comme de loisirs, pourtant essentiels à leur épanouissement personnel et social.

    L'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales : Les enfants font l'objet d'une exploitation commerciale dans le cadre de prostitution, de trafic, de pornographie. Fréquemment, ils sont enlevés, achetés, forcés à se prostituer.

    La traite : Le déplacement ou le commerce des êtres humains, généralement des femmes ou des enfants, à des fins commerciales, par la force ou la ruse. Ce sont souvent les femmes migrantes qui sont ainsi forcées à travailler comme employées de maison ou comme prostituées.

    Le mariage précoce ou forcé : Des femmes ou des jeunes filles sont mariées sans leur consentement, et forcées à vivre en état de servitude, faisant souvent l'objet de sévices corporels.

    L'esclavage traditionnel : Des personnes sont achetées et vendues. Elles sont souvent enlevées de leur foyer, peuvent être héritées ou données en cadeaux.

  • abouth (H) 04/07/2014 13:46 X

    Après la déroute retentissante de l'Opposition radicale (FNDU et APP), suite à l'échec du boycott des élections du 21 juin dernier, place à la nouvelle Opposition radicale (NOR), incarnée par: Ely Ould Mohamed Val, Moussa Ould Hamed (Biladi) et Jedna Ould Deida (Mauriweb)!
    Peu importe le poids électoral de cette NOR (moins de 3%), elle sait, elle, rédiger des communiqués, des pamphlets, à la pelle! Attention, elle vous en mettra plein les yeux ! Elle s’érige opportunément en défenseur de la veuve et de l’orphelin ; malheureusement pour eux, les trois mousquetaires de la NOR sont trop bien connus à Nouakchott, pour pouvoir susciter un quelconque intérêt dans l’opinion publique.