31-03-2015 09:12 - Conférence de presse du Président de la République : Déception et incompréhension
Eveil Hebdo - «Il me restait encore 20% d’espoir avec Aziz, mais avec sa conférence de presse, je suis retombé à moins de 1%».
Cette réaction d’un cadre qui a suivi la conférence de presse télévisée du Président de la République, en dit long sur la déception des populations suite à la sortie – de trop ? – du Chef de l’Etat.
Le moins que l’on puisse dire en effet, est que sa côte de popularité n’aura pas connu un bond spectaculaire après ce qu’on pourrait qualifier, sans exagérer, de «catastrophe» en termes de communication.
A la face du monde, en l’espace de quelques secondes, Aziz a confirmé toutes les informations selon lesquelles il serait un homme «colérique» et «violent» qui n’hésite pas à tancer les ministres et tous les responsables qui auraient l’outrecuidance de le contrarier. En effet, en s’en prenant de cette façon à un journaliste de la presse indépendante, en direct à la télé, alors que la remarque de celui-ci ne lui était pas adressée, mais plutôt au modérateur de l’émission, il a donné un aperçu du calvaire que vivraient au quotidien ses ministres et ses collaborateurs.
Pour revenir à cette fameuse conférence de presse, on est en droit de se demander légitimement si le Président de la République dispose d’un service de communication ou des conseillers dans ce domaine ; et si c’est le cas, s’il les écoutait. En effet, aussi bien sur la forme que sur le fond, cette sortie du Président de la République était marqué par le sceau de l’improvisation, de l’amateurisme, pour ne pas dire tout simplement de l’incompétence.
Crise d’autorité et …
Sur la forme d’abord, la première question qu’on se pose est liée à l’opportunité d’une telle activité. Comme l’a si bien souligné un de nos confrères présents, après une tournée de dix jours dans les régions de l’Est du pays – qui s’est achevée le jour même de la conférence de presse - et à la veille d’un voyage en Egypte, les analystes et les observateurs avaient la conviction qu’il devait se passer quelque chose de très important pour que le Président de la République tienne à organiser une conférence de presse dans ces conditions.
Mais, après une introduction «calamiteuse», pauvre en informations, au cours de laquelle il a juste remercié les populations de l’Est qui, selon lui «suivent ce qui se passe de dans le pays» et «soutiennent la politique et le programme du Gouvernement», on est retombé rapidement dans les lieux communs. S’il s’agissait de dresser le bilan de sa tournée, il aurait pu se satisfaire d’un point de presse quelque part dans les Hodhs pour le faire.
Mais le «clou» de la soirée a été l’altercation avec un des journalistes. Là , c’est l’image d’un «Président qui intervient sur tout et n’importe comment» qui est apparue au grand jour et devant des milliers de téléspectateurs en Mauritanie et à travers le monde. Fatigué, les traits tirés et au bord de la crise de nerfs, le Président de la République a voulu imposer ses règles et réduire au silence un journaliste de la presse indépendante, à qui il a intimé l’ordre de se retirer, et qui lui a tenu tête en direct, refusant de se taire. Ce faisant, le Président de la République a mis à mal son autorité dans la mesure où, après quelques minutes d’interruption de diffusion, il a fini par céder sous la pression des journalistes qui avaient menacé de boycotter la conférence en signe de solidarité avec leur confrère.
Sur le fond, la déception a encore été plus grande. En effet, quand on organise une conférence de presse, surtout dans les conditions décrites plus haut, c’est soit pour révéler quelque chose de nouveau, soit pour apporter des réponses et des éclaircissements sur des questions d’actualité. Il n’en a été rien de tout cela jeudi dernier. Aucune «révélation», aucun «scoop» et tous les sujets d’actualité évoqués l’ont été de manière superficielle et même parfois avec désinvolture, alors que ce sont des sujets qui engagent l’avenir du pays.
… ignorance des dossiers
A propos de la grève des travailleurs de la SNIM, le Président de la République a ressorti les mêmes arguments selon lesquels la conjoncture actuelle ne permet pas de satisfaire les revendications des grévistes. Si sur le fond il peut avoir raison, compte tenu de la chute des prix du fer, c’est sur la forme encore une fois que le bas blesse. La situation a été pourrie non seulement par l’attitude des responsables de la SNIM, à leur tête l’ADG, qui ont donné l’impression aux travailleurs qu’ils étaient des moins que rien, mais surtout par ses propres déclarations à l’emporte pièce devant les parlementaires de sa majorité tendant à soutenir l’ADG de la SNIM.
Concernant le «dialogue», le Président de la République a réitéré sa disposition «sincère» et sa volonté de décrisper la situation, tout en s’interrogeant sur l’attitude de l’opposition qui veut fixer des préalables à toute discussion. Ce qui, selon lui, n’est pas pertinent en ce sens qu’on «ne peut pas obtenir les résultats du dialogue avant le dialogue» ! En d’autres termes, ce que l’opposition considère comme des «préalables», lui veut que cela fasse partie des points à discuter au cours du dialogue. Sur cette question, il semble avoir raison, dans la mesure où le pouvoir se dit prêt à discuter de tous les sujets. Il n’y a donc aucune raison de fixer des préalables.
Par contre, sur la question liée à l’éventualité d’une modification de la Constitution en vue d’instaurer un régime parlementaire ou même la possibilité d’un 3ème mandat, le Président de la République est resté très évasif. Même s’il a nié avoir «ce genre d’idées», il a quand-même laissé entendre que «d’autres» pouvaient en avoir s’ils le veulent et que tout dépendait des résultats d’un éventuel dialogue entre les forces politiques. Autant dire que sur ces questions on n’est pas avancé.
Mais c’est sur la question de la baisse du prix du Gasoil que le Président de la République a surpris tous les spécialistes. Faisant preuve d’une ignorance totale des règles de fonctionnement des dépenses publiques, il a tout simplement déclaré que l’Etat ne baisse pas le prix du carburant parce que cela fait des années qu’il verse des subventions et qu’il ne les a pas encore récupérées ! Comme si l’Etat était en train de récupérer des dettes qu’il aurait consenties aux consommateurs ! Comme l’a dit un cadre de l’administration, «à ce rythme, on peut s’attendre demain à ce que Aziz nous demande de rembourser les dépenses engagées par l’Etat pour l’éducation ou la santé de nos enfants» !
En tout état de cause, le Président de la République semblait très nerveux sans qu’on ne sache réellement pourquoi. Comme l’a dit quelqu’un, «on dirait un enfant qui veut dire quelque chose mais qui a peur de la réaction de ses parents, qui bafouille et finit par s’énerver».