24-08-2015 18:00 - Libre Expression. Homage à Saïd Ould Hemody, par Saïd Ould Hemody!

Libre Expression.  Homage à Saïd Ould Hemody, par Saïd Ould Hemody!

Me Takioullah Eidda - Chaque fois que j’étais à Nktt, mon grand frère Doyen (qui m’appelait affectueusement «Couz») m’accueillait avec la fraternelle et chaleureuse manière d’un Hemody, me donnant toujours cette sensationnelle impression que j’étais «son» unique centre d’intérêt du moment! Sans savoir pourquoi, je ne l’avais jamais appelé «Dah ou Saïd», mais plutôt «Doyen»: c’est venu tout seul!!

Aujourd’hui, suite à son regrettable départ, les larmes des crocodiles pleuvent: les larmes de ceux qui l’ont lâché à cause de ses opinions, de ses positions, de ses principes tranchés nets et non négociables, sur des questions qui se rapportent à la construction de la vraie Mauritanie. La Mauritanie de l’inclusion, de la vérité et du redressement de ses institutions.

Cette Mauritanie que ElMarhoum Saïd voulait tourner vers l’avenir, plutôt que de rester figée dans les intérêts ambiants de certains. En guise d’hommage à ce philosophe et patriote, il n’y a pas plus approprié que de le faire par ses propres écrits. Je vous partage donc quelques paragraphes de son rapport de 2008-2009 relativement à la situation en Mauritanie.

Rapport qu’il avait remis le 15 novembre 2009, à titre de Président de la CNDH, au Président de la République Mohamed Ould Abdelaziz.

A- Illégalité du coup d’état de 2008 (page 13 du rapport):

«Le renversement par le coup d’État du 6 août, même sans effusion de sang ni violences collatérales, du président élu démocratiquement Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi constitue une violation du libre choix des citoyens conformément aux dispositions constitutionnelles.

En effet, la loi fondamentale prévoit l’élection régulière du président de la République par la voie du suffrage universel direct et définit les conditions de son remplacement avant le terme de son mandat. Elle impose, en outre, le respect de la séparation des trois pouvoirs.

Les autorités militaires, qui exerceront le pouvoir à travers le Haut Conseil d’État, ont fait de remplacer les dispositions constitutionnelles relatives à l’exercice de la fonction de président de la République par une charte constitutionnelle qui attribue des pouvoirs législatifs spécifiques au Haut Conseil d’État et les pouvoirs du Président de la République au chef du HCE qui devient "Chef de l’État".

Même si les autres institutions, prévues par la Constitution notamment le parlement dans ses deux chambres, ont continué à fonctionner concomitamment avec le HCE et qu’un Premier Ministre a formé un nouveau gouvernement civil, force est constater que le fonctionnement normal des institutions politiques a été perturbé et que le mode de changement du chef de l’exécutif par de tels procèdes est illégal dans un pays démocratique.

Il s’en est suivi une série de condamnations du coup de force par les membres de la communauté internationale relayant ainsi l’opposition interne en Mauritanie qui a rejeté ce coup d’État.»


En outre, le suffrage universel indirect qui devait se réaliser à travers le renouvèlement du tiers du Sénat a été ajourné d’une façon inexpliquée, privant ainsi les représentants des citoyens d’exercer des prérogatives qui leur sont conférées par la constitution et prolongeant illégalement des mandats arrivés à expiration.

B- Corruption et trafic d’influence (page 35 de son rapport):

«Les liens de parenté et d’alliance et les relations d’amitié sont si forts qu’ils constituent un obstacle au devoir d’intégrité du fonctionnaire et même de l’employé tout court.

Sont aussi concernés par cette catégorie: la sélection des notabilités, leurs fils et petits fils aux postes électifs; la désignation aux hautes fonctions officielles et à des postes administratifs même subalternes de gens «bien nés»; l’octroi de bourses et l’envoi dans les universités et centres d’enseignement supérieur sur des critères non objectifs et dans l’opacité; les évacuations sanitaires discriminatoires; le clientélisme dans la distribution des terrains; l’expropriation des terrains valorisées sans compensation ou juste indemnisation des faibles propriétaires se traduisant par des par des cas de spoliation et de confiscation.

Ce fut le cas à Meleh, à l’ancien Marbett du ksar et aux environs d’Aïoun au Hodh el Gharbi, ou les nombreux cas répertories dans la Chamama où des collectivités villageoises ont été dépossédées de leurs terres de culture au profit de promoteurs «agricoles» par une administration peu scrupuleuses; les tentatives de priver les premiers propriétaires (ou occupants) de petites concessions du Ve et VIe arrondissements, à Emgayzira etc.

Parce que des terres de pauvres ou de "manants" sont "stratégiques" ou parce que les jardins (h’rayeth) de Nouakchott sont tentants pour la promotion immobilière et/ou la spéculation foncière. (Rappelons l’initiative heureuse de remédier à ces injustices à Hay Saken grâce à l’intervention personnelle du nouveau Président de la République...); la survivance de privilèges féodaux sur des terres de culture de la Chamama, des mines de sel, barrages aménagés par l’État, sondages, gravier (plaines inondables par les oueds ou d’autres eaux de ruissèlement).

Il s’agit là d’autant de quelques exemples déguisés de corruption et de pratiques esclavagistes et qui continuent à avoir cours insidieusement dans le pays. Il convient de s’y attaquer pour enrayer la véritable gangrène de la gabegie.»


C- Une justice inféodée à l’exécutif (page 39 du rapport):

«L’image de la justice a été ternie par des pratiques contraires à l’État de droit. Il s’agit notamment de la détention arbitraire qui se fait soit au mépris de la loi soit en violation de décision de justice ordonnant la libération des détenus. D’autre part, les frais de justice sont devenus un moyen de pression sur les juges.

C’est ainsi que la chambre pénale de la cour d’appel, la chambre d’accusation et la chambre pénale de la cour suprême, qui en étaient bénéficiaires, viennent d’en être privées suite à leur refus de se conformer aux réquisitions du Ministère Public relatives à la libération de personnes détenues. Désormais l’acquittement d’un détenu, sa condamnation avec suris ou sa liberté provisoire n’ont pas droit de cité dans une justice essentiellement répressive et l’intime conviction du juge doit composer étroitement avec les réquisitions du parquet.

Par ailleurs, la chambre pénale de la cour d’appel a été interdite d’affaires, l’enrôlement se fait à la diligence du parquet et celui-ci s’est abstenu pendant quelques semaines d’enrôler les affaires, pour sanctionner cette juridiction, qui ne suit pas ses réquisitoires.

Enfin la chambre administrative de la cour suprême, lors d’une audience présidée par le Président de la Cour Suprême, a été purement et simplement boudée par le parquet, régulièrement convoqué. De telles pratiques sont incompatibles avec le respect de l’État de droit.

En effet, pour avoir une portée pratique, le principe de l’État de droit suppose l’existence de juridictions indépendantes, compétentes pour trancher les conflits entre les différentes personnes juridiques en appliquant à la fois le principe de légalité, qui découle de l’existence de la hiérarchie des normes, et le principe d’égalité, qui s’oppose à tout traitement différencié des personnes juridiques.

Un tel modèle implique l’existence d’une séparation des pouvoirs et d’une justice indépendante. En effet, la Justice faisant partie de l’État, seule son indépendance à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif est en mesure de garantir son impartialité dans l’application des normes de droit. Bien entendu l’état de la justice est loin d’être parfait, tout le monde s’accorde à admettre qu’elle n’échappe pas à la corruption et au manque de formation.

Il y’a lieu de trouver, d’urgence, des remèdes aux problèmes de la justice et au problème qu’elle constitue désormais! Ils sont multiples et nécessitent des solutions globales qui doivent toucher non seulement les hommes et les textes mais aussi les procédures et «pratiques» et, entre autres: impossibilité de clôturer les dossiers, l’inexécution des décisions de justice, l’interventionnisme, l’absence d’aide judiciaire, les contraintes limitant l’accès des indigents à la justice, la promotion des magistrats par le conseil supérieur de la magistrature suivant les recommandations des interventions et rarement suivant le mérite etc....»


La solution ne peut être qu’une solution globale dans le cadre d’une approche cohérente et ciblée qui exclue et combat l’arbitraire sous toutes ses formes, en particulier les pratiques de la détention arbitraire que tolère le Ministère de la justice.

En outre, en dépit des dispositions constitutionnelles et législatives claires sur le droit à un procès équitable et les droits de la défense, la justice au cours de l’année 2008-2009 n’a pas su ou voulu faire usage de telles dispositions en faveur de certains accusés présumés innocents jusqu’à leur condamnation.

En effet, dès le coup d’État du 6 août, plusieurs personnalités politiques ont été arrêtées ou placées en résidence surveillée sans inculpation ni audition dont notamment Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le Premier ministre Waghef, le ministre de l’Intérieur Mohammed Ould R’Zeizim, le président du Conseil économique & social Ahmed Ould Sidi Baba, le président de l’Agence nationale pour l’accueil et l’insertion des refugiés (ANAIR) Moussa Fall, le directeur de Radio Mauritanie Kabre Ould Hamoudi, le colonel Abderrahmane Ould Boubacar et le colonel Ahmed Ould Ismaël

D- Mise à l’écart de Saïd et servilité de la CNDH:

Suite au dépôt de ce rapport sans complaisance, elmarhoum Saïd fut malheureusement éjecté le 23 mars 2010 de la Présidence de la CNDH. Car, comme on vient de le voir, il ne fait pas partie de ces fumistes ou hypocrites qui sont capables de trahir leur conscience à l’égard du pays et ses institutions pour tout et du n’importe quoi! Est ce que les choses ont positivement changé depuis? Je l’espère vivement! Mais je laisse à tout un chacun le soin de méditer là dessus et tirer ses propres conclusions!

Il faut signaler toutefois qu’à cette époque, Biram Ould Dah O. Abeïd était l’un des conseillers de la CNDH, éjecté lui aussi!! Mais comme on dit à Atar: «Yadhak ili ma bouh Dahah (rira bien celui qui n’a pas comme père Dehah)». Ironie du sort, la CNDH est qualifiée aujourd’hui par plusieurs comme étant une coquille vide, sans crédibilité devant les instances internationales et inaudible parmi les institutions de la République.

En dépit de ce que certains veulent bien nous faire croire, Biram Ould Dah O. Abeïd est aujourd’hui la «poussière coriace dans l’engrenage» de la politique des droits de l’Homme en Mauritanie, mais aussi symbole de la lutte anti-esclavagiste pour les grandes démocraties occidentales, sans parler des organisations internationales.

Honnêtement, tout ça c’est uniquement à cause de la médiocrité de la CNDH et son incapacité de se crédibiliser, de canaliser et de rassembler autour d’elle, comme l’avait si bien réussi El Marhoum Saïd.

Cette tare d’organisation est tellement inféodée au pouvoir politique et sans initiative qu’elle est allée même jusqu’à demander l’application de la peine de mort à un prisonnier d’opinion avant même qu’il n’ait subi le moindre procès, et ce, après que le Président ait reçu des manifestants désœuvrés excités devant le palais présidentielle!! C’était le cas de Ould M’Kheittir, aujourd’hui abandonné de tous au fond des oubliettes.

Conclusion

Des consciences comme notre Doyen, elmarhoum Mohamed Saïd Ould Hemody (Dehah) Ould Mahmoud Ould Ahmed Mouloud, ne peuvent vivres dans un environnement comme celui de cette Mauritanie, ici bas. Un environnement plein de mesquineries, de sensibilités idiotes, de fils entrelacés, tissés serrés, dans lequel la vie devient, pour beaucoup, plus intenable que la mort!

Alors, repose en paix Doyen! Et rassure toi, malgré tous les flas flas et les brouhahas de certains, leur force ou leur faiblesse du moment, une implacable Justice demeure: nous sommes tous mortels, Dieu merci!

Rahmatoulahou Alâ Mawtanâ We Aleïk! Amin.

Maître Takioullah Eidda, avocat
Québec, Canada



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Commentaires (4)

  • soumaremohamed (H) 25/08/2015 03:33 X

    @Moutalli: (***) lâche anonyme, (***) Essaie d'être un peu pertinent!!!! Sinon "dégage"!!

  • observateurseulement (H) 25/08/2015 00:34 X

    Aucun hommage ne peut être aussi éloquent que celui-ci qui met les actions de l'homme au devant comme dans le jugement dernier ''icraa kitabeka keva bi nevssika alyawma aleika hassiba''اقْرَأْ كِتَابَكَ كَفَىٰ بِنَفْسِكَ الْيَوْمَ عَلَيْكَ حَسِيبًا Merci Maitre. Dommage que ce n'est que trop tard qu'on connaisse bien la valeur de l'homme sur cette terre. Ceci doit encourager chacun de nous à chercher à faire du bien avant son départ définif.

  • Salek Ould Aziz (H) 24/08/2015 19:42 X

    Merci pour ce très bel hommage Maître! Dah était vraiment un homme de principe et d'engagement et ce n'est pas pour rien que Biram l'a suivi au sein de la CNDH. Dire que cet éloquent rapport 2008-2009 existe et j'ignorais, avec plusieurs son contenu!

  • Moutalli (H) 24/08/2015 18:51 X

    «Yadhak ili mabouh Dahah (rira bien celui qui n’a pas comme père Dehah)». C’est comme cela que vous traduisez cet énoncé, avocat à la noix ? Et n’allez pas me dire encore que cela est dû à votre empressement (atavique) !