28-11-2015 14:30 - Fête du 28 novembre : Entre fierté et crise de conscience

Fête du 28 novembre : Entre fierté et crise de conscience

L'Authentique - La Mauritanie s’apprête à célébrer le 55ème anniversaire de son indépendance nationale, le 28 novembre 2015. Déjà, la symbolique de cette date est surchargée de sentiments mitigés, entre ceux qui éprouvent une fierté renouvelée face à la célébration d’une souveraineté acquise le 28 novembre 1960, et ceux qui voient dans tous les 28 novembre, « un bal des vampires » où le buffet n’est qu’une énorme plaque de sang, celui de milliers de victimes d’un crime génocidaire qui a jalonné l’histoire de la Mauritanie de 1989 à 1991, et qui atteignit son macabre raffinement un certain 28 novembre 1990, avec les 28 pendus d’Inal.

Rarement la célébration d’un 28 novembre n’a suscité autant de réminiscences… Par delà les aspects factuels liés aux cérémonies prévues en ce jour de grand rassemblement, jamais dans le passé, la réflexion n’a été aussi dense sur la symbolique que représente cet événement, fêté dans l’allégresse par certains, dans la douleur et le silence par d’autres.

En effet, pour une partie de l’élite, le 28 novembre est le lieu de bilans à dresser et de failles à combler pour l’émergence d’un Etat-nation imprégné des valeurs républicaines et citoyennes, à l’image de la pertinente contribution de Brahim Salem Ould Bouleïba sous le titre « Dans quelques jours un nouveau 28 novembre : quelle signification lui donner aujourd’hui ».

Dans cet article publié dans la presse, cet ancien haut fonctionnaire de l’Etat qui fait partie des rares intellectuels dont les positions sont jugées par certains de non partisanes, l’élite mauritanienne doit se démettre de « ses égoïsmes conjugués à sa démission collective » pour non seulement « empêcher les pouvoirs de contraindre les esprits » mais aussi « les entraîner à la réflexion ».

Il regrette l’incapacité de ces « veilleurs et éveilleurs, que sont les élites nationales, à imposer la raison et non la passion dans le débat politique.

Ould BouleÏba revient sur l’histoire de la colonisation de la Mauritanie et sur la naissance de l’Etat nation mauritanien, ainsi que le caractère particulier d’un espace dont le seul intérêt fut qu’il permit de relier les possessions françaises du Maghreb au Nord à celles du Sénégal et du Mali au Sud.

D’où l’absence d’un héritage étatique et républicain qui fut celui de la Mauritanie, où tout devait se construire à l’indépendance, des infrastructures de base au citoyen mauritanien encore prisonnier de ses schémas socio-traditionnels.

Face à un monde qui a énormément changé, Ould Bouleïba invite « la nouvelle génération moulée à la société de consommation et au monde virtuel, à puiser dans l’héritage laissé par les pionniers de la Mauritanie indépendante, notamment leurs valeurs, leurs principes et codes moraux pour bâtir de grands et perdurables projets d’avenir ».

C’est la même angoisse qu’éprouve El Wely Sidi Haïba, face à un pays qui n’a pas pu se doter, selon les analystes, du même legs colonial que les autres colonies, en termes de traditions administratives, de primautés de l’Etat et de la République, de citoyens formés à l’exercice de leurs droits et de leurs devoirs.

Dans son article qu’il vient de publier à l’occasion de la célébration du 28 novembre, et intitulée « Quelle élite stimulée pour quelle indépendance à commémorer », il interpelle l’élite intellectuelle du pays auprès de qui il tente de susciter « un certain éveil équilibré et une capacité d’analyse » face à ce qu’il appelle « les fluctuations inhérentes aux imperfections de la gouvernance, aux humeurs versatiles des populations et aux influences externes incontrôlables mais abordables ».

Alors que le pays s’apprête à célébrer avec emphase son indépendance dans une ville de Nouadhibou drapée de toutes ses rénovations, il s’interroge, « alors, quelle importance peut revêtir aujourd’hui la commémoration de la fête d’indépendance en cette situation toujours ambiguë et hypothétique », celle d’un pays qui selon lui, « marche vers une consistance qui traîne le pas depuis cinquante cinq longues années d’indépendance ? »

El Wely de se demander en outre, quelle classe intellectuelle et politique mauritanienne viendrait mimer, dans la situation actuelle que traverse le pays, son alter ego français qui vient de s’unir dans un grand élan de solidarité, face à l’épreuve du terrorisme qui frappe la France, à la lumière des derniers attentas de Paris.

Cette élite, selon lui, a pourtant toutes les raisons de s’unir pour « défendre ensemble les grandes lignes de mutation pour un pays qui a tout, absolument tout, pour opérer un changement de cap vers un réel établissement des fondements et valeurs de la République ».

Mais n’en déplaisent aux chantres de la « Résistance à la colonisation française » qui, à travers un groupe de pression qu’ils ont réussi à créé, semant déjà la discorde au niveau national en imposant le nom d’une controversée ancienne bataille coloniale, « Oum Tounsy », au futur aéroport de Nouakchott, Ould Moine vient de jeter une pierre dans leur marre, en soutenant que l’indépendance de la Mauritanie fut l’œuvre du seul général De Gaule.

Pour lui, la Mauritanie a obtenu son indépendance sur un plateau d’argent, car c’est la France qui avait continué à assurer la protection de son territoire, qui finança entièrement la construction de la capitale Nouakchott et qui alimenta entièrement les premiers budgets de l’Etat naissant.

Cette indépendance, comme celle de toutes les autres colonies, furent selon lui une conséquence de la deuxième guerre mondiale, car la France désormais préoccupée par sa reconstruction, devait se concentrer sur son propre développement interne, trouvant encombrant ce vaste territoire aux trois quart désertiques et difficile à régenter.

Même si, dira-t-il, rien ne nous lie à une France mécréante, lieu de dépravation et de paganisme, comme les chantres de la « Résistance » aiment à la décrire, elle fait désormais partie de la réalité intrinsèque de la Mauritanie, une partie indissociable de son histoire, n’en déplaisent à certains, note-t-il.

Mais c’est sans aucun doute le cri d’indignation de l’ancien colonel de la garde à la retraite, Oumar Ould Beibacar, qui fait plus de mal.

Dans un article publié le 19 novembre dernier, et repris dans plusieurs sites et dans les réseaux sociaux, il soutient que la Mauritanie n’a plus aucune raison de célébrer le 28 novembre, car cette date fortement entachée de sang est devenue un point de discorde sur le plan national.

Ould Beibacar qui fut acteur lors des douloureux événements qui ont ensanglanté la Mauritanie entre 1989 et 1991, trouve qu’à la « joie de l’indépendance et de la liberté, se sont désormais mêlées la souffrance morale et la détresse de la cruauté, pendant ce jour mémorable ».

Ce jour est selon lui désormais immanquablement marqué par la pendaison de 28 soldats négro-africains, le jour aussi où en 2001, la Mauritanie livra le citoyen Mohamedou Ould Sellahi au USA, souillant un peu plus cette journée mémorable.

Le 28 novembre n’est plus, d’après lu, le symbole de la réconciliation, mais celle de la fracture nationale. Il propose à cet effet le 25 novembre, date « encore intacte » selon lui et qui marque la création des forces armées nationales.

Le 28 novembre quant à lui devra être dédié, selon lui, aux martyrs, pour permettre à tous ceux qui ont souffert ou qui souffrent encore de la cruauté de leurs propres concitoyens de partager leur souffrance morale et leur détresse.

Dans cet article réquisitoire contre le régime du CMSN, de l’armée et contre son propre corps, Ould Beibacar livre des informations sensibles, égrène des faits liés au génocide des Noirs de Mauritanie durant cette période, où des centaines d’entre eux ont été tués, des milliers déportés et déchus de leur nationalité dans une vaste épuration à caractère ethnique.

Il nomme des endroits qui renferment encore des charnières, fait le récit des viols collectifs, des tortures physiques, des meurtres élevés jusqu’au raffinement.

Dénonçant la scélérate loi d’amnistie du 14 juin 1993 qui consacra l’impunité aux bourreaux, voire leur récompense, leur décoration et leur élévation à des grades ou à des fonctions supérieurs, il trouve que cette journée du 28 novembre n’en est que plus maudite, plus insultante aux yeux des martyrs, plus chargée de frustration pour les ayant droits, un coup fatal porté à l’unité nationale et à la justice.

« Le 28 novembre ne peut plus constituer une fête nationale pour notre peuple » martèle Ould Beibacar, car selon lui, « on ne peut pas fêter le sacrifice de 28 martyrs pendus pendant ce jour », car leur « sang entache à vie l’anniversaire de notre indépendance et souille notre drapeau national ».

Cheikh Aïdara





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Commentaires (1)

  • Gorkovitch (H) 28/11/2015 15:16 X

    Et la crise de conscience l'emporta! Parce que concernant les trois-quarts de la population.