28-11-2015 11:11 - Le Burkina Faso aux urnes dimanche pour un premier scrutin démocratique

Le Burkina Faso aux urnes dimanche pour un premier scrutin démocratique

Liberation - Après une année de transition, les Burkinabés s'apprêtent à élire le successeur de Blaise Compaoré. Si ses héritiers font profil bas, ils n’ont peut-être pas dit leur dernier mot.

Pas de meetings spectaculaires, d’affiches géantes, de tournées triomphales, d’hélicoptère pour véhiculer ce candidat-là : bien que désigné par son parti, Eddie Komboïgo a tout simplement disparu. Il est vrai que le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) rassemble les derniers fidèles de l’ancien dictateur du Burkina Faso.

Son candidat désigné a pris la poudre d’escampette il y a déjà plus de deux mois, au moment de la tentative de putsch du 16 septembre qui aurait pu faire capoter le processus de démocratisation du pays qui s’achève ce dimanche.

Au Burkina, «le pays des hommes intègres», 5,5 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour le premier scrutin organisé depuis la chute de Compaoré, au pouvoir pendant vingt-sept ans avant d’en être chassé sous la pression de la rue le 31 octobre 2014.

Le CDP décapité

Les élections présidentielles et législatives de dimanche vont enfin permettre de tourner la page, après un an de transition. L’omnipotent parti qui écrasait la vie politique de ce pays sahélien est désormais atone dans la capitale, Ouagadougou.

Au lendemain de l’insurrection populaire qui a renversé le régime de Compaoré, son parti avait été un temps suspendu. Une modification contestée du code électoral a interdit à ses ténors les plus connus de se présenter aux élections.

Et «les comptes du parti ont été gelés», déplore Désiré Beyi, candidat à la députation à Ziniaré, fief de Blaise Compaoré. «Nous faisons campagne avec nos propres moyens. Nous n’avons rien, même pas de quoi offrir de l’eau.»

Le coup le plus dur est peut-être venu avec l’échec du putsch du 16 septembre, conduit par le général Diendéré, ancien bras droit de Compaoré. Plusieurs chefs du CDP sont soupçonnés d’être impliqués.

Léonce Koné, vice-président du parti, est détenu. Achille Tapsoba, également vice-président, est accusé par une commission d’enquête d’avoir pris «fait et cause pour le putsch» et d’avoir reçu de l’argent en provenance de Côte-d’Ivoire. Fatoumata Diendéré, députée et épouse du général putschiste, a pris la fuite vers le Togo.

Quant au président du parti, Eddie Komboïgo, il se trouverait aux Etats-Unis et ne donne plus signe de vie. Sont-ils inoffensifs pour autant ? «Les hommes politiques qui sont derrière ce putsch ont intérêt à ce que l’élection ne se passe pas bien», relève le commandant Evrard Somda, en charge de la sécurité des scrutins alors que 25 000 hommes seront déployés sur le territoire.

Décapité, le CDP est également désorganisé. Le 21 octobre, il avait annoncé qu’à défaut de pouvoir concourir à la présidentielle, il soutiendrait un autre candidat. Mais depuis, rien. «C’est un grand parti qui n’avait jamais connu ce qu’il est en train de vivre. C’est normal qu’il puisse y avoir de petites divergences», concède Désiré Beyi.

«Travail sous-terrain»

En face, les anciens partis de l’opposition, devenus favoris des élections, ne s’apitoient pas sur le sort des héritiers de Compaoré. Le CDP «nous a fait trop de mal», estime Fatimata Korbéogo, vice-présidente de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) de Zéphirin Diabré, l’un des favoris de la présidentielle.

Selon elle, les responsables du CDP sont «méprisés, haïs, vomis», mais aussi «craints». Candidate aux législatives à Ouagadougou, elle n’a «pas trop vu» le CDP en campagne. Mais suggère qu’ils font «peut-être un travail sous-terrain».

Désiré Beyi, le candidat CDP, soutient pourtant que «le moral est haut». Il compte remporter les deux sièges de députés dans sa circonscription. Son parti pèse-t-il encore ? «C’est dur à évaluer», observe Cynthia Ohayon, analyste à International Crisis Group (ICG). «Ils sont loin d’être morts.

Après tous leurs déboires, ils arrivent encore à faire campagne, ça montre bien qu’ils n’ont pas disparu.»
Si dans les villes favorables à l’insurrection d’octobre 2014 ils sont honnis, ce n’est peut-être pas le cas dans les campagnes, plus conservatrices, où le CDP bénéficie d’un réseau important. «Or 70 % de la population vit dans les campagnes», souligne Cynthia Ohayon.

«Faiseur de roi»

«En ville, on ne veut pas les voir. Mais dans les campagnes, on ne comprend pas toujours pourquoi Blaise a été chassé. On continue de voter pareil. Ils pourraient peser aux législatives», reconnaît une source à l’UPC. En brousse, les petites affiches du CDP sont omniprésentes.

Si ce dernier réalisait un bon score au premier tour des législatives, il pourrait bien devenir un potentiel «faiseur de roi» en cas de second tour à la présidentielle. Cynthia Ohayon invite à se défier de tout pronostic.

Avec la chute de Compaoré, qui vit désormais une retraite dorée dans le quartier de Cocody, à Abidjan (Côte-d’Ivoire), «ces élections sont peut-être les plus ouvertes de l’histoire du Burkina Faso». Le pays se trouve dans une situation inédite, avec une présidentielle sans que «le sortant soit au pouvoir».

Néanmoins, deux candidats font figure de grands favoris : Zéphirin Diabré et Roch Marc Christian Kaboré. Tous les deux ont été ministres de Compaoré, mais Diabré s’est écarté du régime en 1997 pour occuper des fonctions au Programme des Nations unies pour le développement, puis chez Areva.

Kaboré, ancien président de l’Assemblée nationale, ex-président du CDP, a quitté le giron de Compaoré seulement dix mois avant sa chute, accompagné de deux autres barons (Salif Diallo et Simon Compaoré). Une trahison mortelle pour le CDP, qui n’appellera certainement pas à voter pour lui.

Pierre Nkoghé Correspondance à Ouagadougou



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