16-03-2016 23:30 - Libre Expression. La menace de la torture en Mauritanie | Par Mohamed Sidi Abderrahmane Brahim, Avocat

Libre Expression. La menace de la torture en Mauritanie | Par Mohamed Sidi Abderrahmane Brahim, Avocat

Mohamed Sidi Abderrahmane Brahim - La Mauritanie a signé le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, depuis le 27 septembre 2011.. Après avoir marqué le pas durant quatre ans, un autre pas suivit le 10/09/2015 : l’adoption de la loi 2015-034, portant institution du mécanisme national de prévention de la torture..

Un troisième pas, au début de l’année 2016 : le Premier Ministre rendit, l’arrêté 052-2016, portant désignation d’une commission chargée de sélectionner les membres du MNP, qui, selon une affirmation officielle, sera en place avant fin mars courant.

Les optimistes s’attendent à un mécanisme qui marche et qui pourra améliorer le climat des droits. La conscience m’incite à saisir l’occasion pour apporter une modeste contribution qui traite des conditions nécessaires pour une action nationale efficace contre la torture.

La prévention de la torture constitue un engagement international et un devoir civique envers les citoyens. Le premier gage de succès, d’une telle action, est la volonté politique. Qui, pour réussir le défi doit confier le pilotage de l’opération à des cadres compétents, indépendants et dynamiques. La gêne de notre délégation, lors du débat du rapport de la Mauritanie devant le Comité contre la torture, le 10 mai 2013, doit servir de leçon.

Lorsque M. SATYABHOOSUN GUPT DOMAH, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Mauritanie, a affirmé qu’il « aurait aimé que la délégation fût en mesure de répondre à des questions précises sur la formation des magistrats chargés d'instruire les plaintes pour torture; sur les modalités des poursuites contre les auteurs de torture et leurs complices; sur les conditions de la détention provisoire, qui peut s'étendre à six mois en Mauritanie; ou encore sur le contenu de la formation des fonctionnaires à la prévention de la torture. » fin de citation.

La page des reproches des experts onusiens, sur la torture en Mauritanie, ne semble pas tournée : Fraîchement, M. Juan Ernest Mendez, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, a déclaré (en février 2016) : «Il est important que le gouvernement reconnaisse que des engagements formels doivent être pris pour atteindre les standards internationaux parce que, pour le moment, dans les prisons que nous avons visitées, les détenus ne bénéficient pas de conditions de vie humaines..

Les installations sont surpeuplées, inadéquates – elles ont en effet rarement été conçues à cet effet – insalubres et insuffisamment ventilées. Il n'y a pas d'accès effectif aux soins de santé, et le suivi dentaire et psychiatrique est totalement inexistant. Les détenus n'ont pas d'opportunité d'emploi ou d'éducation, ni d'activité physique ou d'accès au soleil»..


La conclusion à tirer, des mises au point des experts et des pratiques déplacées sur le terrain, c’est que le futur Mécanisme National de Prévention de la Torture a du pain sur la planche. Une action efficace pour réduire les pratiques de torture et essayer de panser l’image du pays. Dégraisser la physionomie est plus salubre que tatouer le visage par des traitements artificiels qui n’embellissent que l’apparence et dont l’effet demeure provisoire.

Dans cette contribution j’évoque, les insuffisances de la loi portant institution du MNP (1), les compétences requises pour une instance efficace (2) Et enfin les répercussions éventuelles de l’action du MNP (3).

1. Insuffisances de la loi portant création du Mécanisme National de Prévention de la torture

a. La dénomination du «Mécanisme National de Prévention de la Torture», indique que le législateur mauritanien s’est limité à copier l’appellation commune du protocole facultatif, qui a été collée telle qu’elle dans la loi 2015-034.

Contrairement à la méthode facile du copiage, les autres pays ont choisi des noms propres pour leurs mécanismes : Au Sénégal : l’Observateur National des lieux de privation de liberté ; En Espagne : le Bureau du protecteur du citoyen ; En France : Le Contrôleur National des Lieux de privation de liberté (Personnalité indépendante qui choisit ses collaborateurs)..

b. La norme internationale de désignation, du ou des membres d’un MNP satisfaisant, joint la compétence à l’indépendance, et prévoit un processus de mise en place ouvert, inclusif et participatif. La désignation des membres du MNP Mauritanien présente des failles. La loi a soumis la nomination des membres du Mécanisme à l’appréciation du Président de la République qui choisit, librement, le Président du MNP et sélectionne 12 des 24 membres qui seront proposés par la Commission de sélection.

Les vitres fumées du palais présidentiel, dont le chef n’est pas forcément dans le bain des droits de l’homme, peuvent empêcher une vision claire et transparente. Il serait légitime de craindre le choix des doux et l’exclusion des exigeants, qui, pourtant sont généralement plus efficaces dans de telles taches.

2. Compétences requises pour un MNP efficace

Harmoniser la législation avec les normes internationales, vulgariser les principes de lutte contre la torture, exiger le respect des droits des détenus et contrôler les prisons, constituent les portefeuilles essentiels du Mécanisme National de Prévention de la Torture.

De tels objectifs ne peuvent être réalisés, efficacement, que par les efforts d’experts tendus, dont le savoir ne se limite pas aux connaissances théoriques, mais s’étend à la parfaite perception des tenants et aboutissants des procédures. Experts, qui doivent être dynamiques et outillés pour détecter les actes administratifs et judiciaires démesurés et visiter le creux des geôles en vue d’avertir les autorités des améliorations nécessaires et de mettre un terme aux excès et, en garde ceux qui en sont responsables.. N’oublions pas l’importante dimension communication. Les membres du MNP doivent être en mesure d’établir des rapports fiables.

Dans l’attente de surmonter les insuffisances législatives. Le Président de la République doit combler le vide par le choix d’une équipe professionnelle, compétente et dynamique qui soit capable de forcer la main des autorités en vue de garantir le respect des droits des détenus.

Le choix d’une équipe maniable dont le souci est d’éviter de déranger serait simplement un échec qui équivaut au cautionnement de la dilapidation des biens publics sans contrepartie. Les abus ne profitent aucunement aux états.

L’action du MNP, doit consister, après la mise en place de son Règlement intérieur, à délibérer à propos des règles qui régissent l’espace carcéral national et affronter les problématiques majeures qui se posent dans notre pays et qui sont, de mon point de vue, l’éloignement des prisons, la détention dans des zones militaires fermées et l’omission d’auditer ou de juger les personnes en détention préventive.

L’éloignement semble inopportun car les prisons doivent être à proximité des juges compétents dans les affaires des détenus, dans le contrôle quotidien des lieux et dans l’examen des plaintes éventuelles. La liaison entre les maisons d’arrêts et les Tribunaux doit être quotidienne.

L’éloignement, du point de vue juridique, peut être qualifié d’exil, et constituer une atteinte aux droits de l’homme. L’article 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme qui stipule : « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé. ». Au moins l’exil constitue une peine qui ne saurait être appliquée sans décision judiciaire ayant l’autorité de la chose jugée.

L’accueil d’un détenu dans une zone militaire incarne un isolement incompatible avec les normes internationales car la personne se trouve coupée des siens et peut être maltraitée à l’insu des juges et des avocats.

La personne en détention provisoire doit faire l’objet d’une instruction rapide. Les juges d’instruction doivent interroger les détenus à des cadences raisonnables. Il serait dégradant que les auditions soient espacées de quelques semaines pour ne pas dire mois.

3. Répercussions éventuelles de l’action du MNP Mauritanien : Ailleurs, « .. Un MNP est une autorité administrative indépendante dotée d’une autonomie budgétaire et disposant, le cas échéant, de la capacité de s’opposer avec courtoisie, mais fermement.». La loi mauritanienne 2015-034 ne qualifie pas le MNP comme étant une autorité, mais un organe consultatif ou une espèce d’organisation ayant un pouvoir, plutôt moral : car la loi a, quand même, orienté les autorités d’ouvrir les portes et de prendre en considération les recommandations du MNP dans un délai d’un mois.

Attention au risque d’étouffer notre MNP embryonnaire par l’association du défaut de pouvoir du mécanisme (consacré dans la loi 2015-034), à la souplesse des membres. Une démarche pareille risque de réduire les résultats, dans l’actif de l’intérêt national, au néant. Les pouvoirs publics doivent être conscients qu’un MNP ne peut travailler utilement sans l’assistance des autorités exécutives et judiciaires, ce qui suppose la préparation du terrain.

Le Président de la République, de par ses pouvoirs de désignation, est libre de faire du Mécanisme National de Prévention de la Torture ce qu’il en veut : soit - un machin inoffensif et complaisant, dont le calcul se limite au budget et aux privilèges ; ou - un Protecteur dynamique et efficace des droits des détenus qui contribue à l’instauration d’un état de droit. La sélection des membres du MNP déterminera le choix. Ma conclusion définitive c’est que : les abus ne profitent aucunement aux états.

Mohamed Sidi Abderrahmane Brahim
Avocat



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