24-05-2016 17:16 - Mauritanie, La littérature s'enseigne !

Mauritanie, La littérature s'enseigne !

Traversees-Mauritanides - La littérature mauritanienne d’expression française est absente des programmes scolaires nationaux. Son enseignement à l’université et à l’ENES date de 2009, grâce à la volonté des professeurs M’Bouh Séta Diagana auteur d’Eléments de la littérature mauritanienne de langue française (Editions L’Harmattan, 2008) et de Manuel Bengoéchéa ayant lui commis une thèse sur cette même littérature.

Sinon il faudra remonter dans le temps, pour trouver des travaux sur cette littérature jeune et tout autant prometteuse. Il s’agit de : Ouverture sur la littérature mauritanienne de Catherine Belvaude (L’Harmattan, 1989), Guide de la littérature mauritanienne, sous titré Une anthologie méthodique, écrit par Nicolas Martin-Granel, Idoumou Ould Mohamed Lemine et Georges Voisset (Ed L’Harmattan, 1992).

En 1995, la revue Notre Librairie lui consacre un numéro spécial. Il sera de même en 2015 avec le numéro 26 d’Interculturel Francophonies intitulé Littérature mauritanienne de langue française. Et ce n’est pas faute d’engouement. Car, non seulement de plus en plus de publications sont produites, mais ils sont nombreux les étudiants, universitaires et chercheurs qui se passionnent pour ce qui s’écrit en Mauritanie. Et par des Mauritaniens.

Créé en 2012, le Groupe de Recherches en Littératures Africaines (GRELAF) a donc voulu combler un vide. Il vient de publier l’Anthologie de littérature mauritanienne francophone (Editions Joussour/ Ponts, 2016, 228 pages). Une équipe de six professeurs, tous chercheurs et enseignants au Département, a planché sur près d’une quarantaine d’œuvres.

Au total, dix-neuf écrivains sont étudiés, suivant un ordre de graduation par date de naissance : Oumar Bâ, Tène Youssouf Guèye, Assane Youssoufi Diallo, Djibril Zakaria Sall, Moussa Diagana, Isselmou Ould Abdelkader, Ousmane Moussa Diagana, Abdoul Ali War, El Ghassem Ould Ahmedou, Moussa Ould Ebnou, Oumar Diagne, M’Barek Ould Beyrouk, Harouna Rachid Ly, Aichetou Mint Ahmedou, Idoumou Ould Mohamed Lemine, Abderrahmane Ngaïdé, Bios Diallo, Mama Moussa Diaw et enfin, le benjamin de tous, Mamoudou Lamine Kane.

Rencontre avec le Professeur Mamadou Kalidou Bâ, directeur du GRELAF et coordinateur de l’Anthologie.

Pouvez-vous nous introduire la première anthologie nationale sur la littérature mauritanienne d'expression française, que vous avez coordonnée?

Pr Mamadou Kalidou Bâ : Je pense que cette Anthologie de littérature mauritanienne francophone, que nous publions avec une maison d’édition locale, Joussour/Ponts, est un ouvrage critique phare. D’abord pour ce qu’elle peut constituer dans l’enseignement de la langue française et dans celui de la littérature en Mauritanie.

Ensuite pour ce qu’elle a été dans les projets de recherche réalisés par le Groupe de Recherches en Littératures Africaines (GRELAF) que j’ai l’honneur de diriger depuis sa création en 2012. Unité de recherche qui, je le précise, est une composante de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Nouakchott.

Qu'est-ce qui a prévalu à cette initiative?

J’ai eu l’idée de ce projet d’anthologie lorsque je rédigeais mon mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, HDR, en 2012. J’en ai dessiné les formes dans la dernière partie de ce document, consacré à mes perspectives. J’avais moi-même découvert la littérature mauritanienne quatre ans plus tôt en lisant l’ouvrage de mon ami et collègue Mbouh Séta Diagana intitulé Eléments de la littérature mauritanienne de langue française publié chez L’Harmattan en 2008. Je découvrais ainsi des textes d’une richesse que je ne soupçonnais nullement.

Il faut dire que jusqu’à cette année, 2008, je poursuivais mes recherches dans la dynamique de ma spécialité doctorale : l’analyse du roman africain francophone post-colonial qui a d’ailleurs fait l’objet de mon premier livre que j’ai publié chez L’Harmattan en 2009 et intitulé Le roman africain francophone post-colonial. Radioscopie de la dictature à travers une narration hybride.

Je me suis d’abord étonné de ne découvrir la littérature de mon pays que si tard. J’ai compris que c’est parce que je n’ai jamais eu la chance de l’étudier, à aucun cycle de mon cursus. En effet, comme je le souligne dans l’avant-propos à cette anthologie, la littérature mauritanienne d’expression française est quasi absente dans les fascicules de lecture destinés aux élèves du collège et du lycée.

Ce qui est, de mon point de vue, une aberration ! Dans tous les pays du monde, l’enseignement des langues, ici en l’occurrence le français, s’appuie sur celui de la littérature nationale. Cette approche didactique est d’autant plus cohérente que l’apprenant saisit très vite le sens de l’expression parce qu’elle exprime une réalité culturelle, sociale, géographique qui lui est familière…

Une prise de conscience à combler un vide…

Je m’étais dit qu’il nous revenait, nous autres chercheurs dans cette spécialité, de remédier à ce manquement. Evidemment que nous n’avons pas la latitude de décréter une réforme de l’enseignement, c’est une prérogative des décideurs politiques, mais, à notre niveau, nous pouvions donner plus de visibilité à la littérature mauritanienne francophone en lui consacrant une partie de nos recherches.

De sorte que, quand un jour que j’espère proche, nos gouvernants se rendront compte de l’évidente nécessité de réformer notre système éducatif et donc de revoir, entre autres les programmes des enseignements, eh bien que nous ayons un contenu à suggérer.

Après la soutenance de mon HDR en 2012, et la création effective du GRELAF, j’ai proposé à mes collègues deux projets de recherche, dont celui de cette anthologie. Dès que j’ai obtenu leur aval, je me suis mis à la recherche d’un financement.

C’est la coopération française, à travers son projet AFRAM qui nous a accompagnés dans la réalisation de cette anthologie ainsi que dans d’autres projets. Les moyens alloués par l’université de Nouakchott à la recherche presque inexistants.

Hormis ce manque de moyens, ce qui vous réconforte c’est qu’on peut à présent parler de la littérature mauritanienne, comme on évoquerait les littératures marocaine, algérienne, tunisienne, sénégalaise ou encore malienne… Pour ne citer que nos voisins immédiats

Oui, je pense qu’on peut parler de la littérature mauritanienne comme on le fait pour les autres pays. Non par simple analogie, mais parce qu’elle existe dans les mêmes termes de définition que les autres littératures nationales.

Toutefois, il importe de préciser que, comme la réalité culturelle et anthropologique mauritanienne, la littérature mauritanienne francophone n’est pas uniforme, elle est diverse et variée.

Ainsi, si Idoumou dans Igdi, les voies du temps et El Ghassem ould Ahmedou dans Le Dernier des nomades ou Aichétou Mint Ahmedou dans La couleur du vent proposent une dépeinture de la société bidhane, maure, dans des espaces désertiques (le désert du Sahara), Tène Youssouf Gueye dans Rellà ou les voies de l’honneur, Moussa Diagana dans La légende du Wagadu et Harouna Rachid Ly dans Le Réveil agité déploient des récits où l’histoire et les cultures négro-africaines sont revisitées à travers des postures très critiques.

Parallèlement à ces deux orientations qui consacrent le caractère multiculturel et multiethnique de la Mauritanie, il y a une tendance qui est celle de l’émergence d’une plus grande conscience quant aux défis de construction d’une nation mauritanienne viable.

C’est ainsi que de nombreux écrivains de toutes les origines, arabo-berbères et négro-africains, planchent sur le crucial problème de la cohabitation et ses négatives conséquences sur la paix sociale, l’éducation, l’esclavage, la féodalité … Je pense notamment à Isselkou Ould Abdelkader avec Le Muezzin de Sarandougou, Ousmane Moussa Diagana, Notules de rêves pour une symphonie amoureuse, Moussa Oud Ebnou, Barzakh, et Bios Diallo, Une Vie de Sébile, entre autres.

Cela dit, vous ne semblez pas, non plus, avoir pris en compte tous les écrits

L’élaboration d’une anthologie impose toujours aux critiques de faire des choix d’autant plus difficiles qu’ils sont, à certains égards, aléatoires. Pour la présente anthologie, ce choix a été de deux ordres. Nous y avons circonscrit notre analyse à ce qu’il est convenu d’appeler les « belles lettres » : la poésie, le théâtre, les nouvelles et le roman.

Ensuite, mes collègues et moi avons été obligés de limiter notre corpus à seulement 34 œuvres, écrites par 19 écrivains mauritaniens. Nous aurions bien voulu être plus exhaustifs, mais, vous savez ce qu’on dit, qui trop embrasse, risque de mal étreindre ! C’est d’ailleurs l’occasion de nous excuser auprès de nos écrivains dont des œuvres n’ont pas été traitées dans cet ouvrage. J’en connais beaucoup qui le méritent amplement.

Certes le champ était circonscrit au français, mais dans un pays où cohabitent d'autres expressions littéraires, autant en arabe, poular, soninké et wolof, le lecteur n'aurait-il pas été plus édifié par un texte même lapidaire sous une forme comparative. On aurait peut-être davantage mieux saisi les choix d'écriture en français, et offrir aussi un survol sur les choix de sujets chez les uns et les autres !

Certes, il existe dans notre pays des expressions littéraires en langues nationales très riches qui, c’est ma conviction, méritent une attention particulière parce qu’exprimant, plus que le français, l’âme profonde de nos composantes populaires. La promotion de ces littératures rime nécessairement, j’allais dire d’abord, avec celle de toutes les langues mauritaniennes.

L’arabe est déjà promu, c’est une bonne chose, mais l’impératif de justice exige que le poular, le soninké et le wolof le soient tout autant. Avant que ces langues ne soient introduites dans notre système éducatif pour instaurer l’égalité entre tous, vouloir parler de visibilité de ces littératures est, de mon point de vue, inopportun.

On présume que vous avez pu rencontrer des difficultés dans l'aboutissement de cette œuvre...

Certainement ! La première et sans doute la plus importante, c’est qu’aujourd’hui encore, alors que nous avons des unités de recherches opérationnelles, capables de rayonner au plan international, toutes nos activités dépendent des subventions des bailleurs extérieurs. En effet, tous les projets réalisés par le GRELAF, l’ont été, grâce à l’appui de la Coopération française qu’il me plait d’ailleurs de remercier très sincèrement.

A chaque fois que nous présentons à nos autorités universitaires des projets de recherche, c’est presque toujours la même rengaine : « il n’y a pas de moyens à y consacrer », nous dit-on !

Et quant la direction de la recherche scientifique avoue, quelque fois, avoir vingt millions, à quoi servent vingt millions, à consacrer à la recherche, elle achète quelques ordinateurs qu’elle distribue, non aux unités qui produisent, mais à d’autres qui n’existent que de nom, mais qui sont dirigées par des « copains » ou ceux de sa « tribu ». Il va de soit qu’avec de telles pratiques, la recherche n’est pas prête à décoller à l’université. Il n’ya pas de recherches possibles sans un minimum de moyens, or c’est ce minimum qui n’est pas mis à notre disposition.

A présent que le travail est fait, à qui le destinez-vous?

D’abord à nos étudiants ! Ensuite à l’Institut Pédagogique Nationale, l’IPN, dont on espère qu’elle saisira cette occasion pour, enfin, introduire les textes de littérature mauritanienne dans les livres de lecture. Enfin à tous ceux qui aiment la littérature.

Vous avez parlé de l’IPN, et Joussour qui vous a édité. Mais le manque de maison d’édition d’envergure n’est-il pas un handicap à l’essor d’une littérature ? Puisqu’on entend très souvent des gens dire qu’ils ont des manuscrits sous le bras, et qui finissent dans les caves si ce n’est en décharges !

Oui, éditer au niveau national est aussi une nouveauté de cette anthologie. En effet, c’est la première fois que mes collègues co-auteurs de cette anthologie et moi, éditons au niveau national. Je saisis cette opportunité pour remercier le Professeur Mohamed Ould Bouleiba, directeur des maisons d’édition Joussour/Ponts, pour sa contribution à la publication de cet ouvrage. Je pense qu’en se spécialisant dans la publication des écrits critiques, en fournissant plus d’efforts dans la relecture et la fabrication, déjà de bonne qualité, cet éditeur aura toutes les chances de rayonner sur la sous-région ouest-africaine et maghrébine.

Il pourra ainsi, aux côtés d’autres qui se spécialiseront dans l’édition d’autres genres, contribuer à résorber le grand déficit en édition francophone que nous connaissons dans notre pays. J’espère que le développement des éditions nationales aidera à rendre les livres plus accessibles à la bourse de la majorité des Mauritaniens.

Propos recueillis par Tougué

Anthologie de littérature mauritanienne francophone (Sous la direction de Mamadou Kalidou Bâ), Editions Joussour/ Ponts, Nouakchott, 2016, 228 p



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Commentaires (1)

  • Moutalli (H) 24/05/2016 18:36 X

    Ceci est un travail collectif auquel ont participé d’éminents enseignants-chercheurs : Idoumou Ould Mohamed Lemine Ould Abass et Mamadou Ould Dahmed qu’il aurait fallu citer comme éditeurs. Le coordinateur de ce travail est le plus grand raciste que l’on ait connu dans ce pays depuis 1960, après un certain autre professeur de lettres toucouleur à la retraite, devenu homme politique. Par ailleurs, Les diplômes en lettres, sciences humaines et sciences sociales délivrés par les universités françaises aux étudiants étrangers – doctorat et HDR, notamment - que l’on se targue de posséder et que l’on met en avant ne rendent pas toujours compte du niveau des impétrants, parce que ce sont des diplômes de complaisance ! A l’exception des travaux de Messieurs Abdel Wedoud Ould Cheikh, Lo Gourmo, Ahmed Salem Ould Bouboutt et Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Saleh, pour la Mauritanie ! Le reste c’est de la littérature… !