09-12-2016 00:15 - Dr Mariella Villasante Cervello : A propos de l’histoire et du présent en Mauritanie (1ere partie)

Dr Mariella Villasante Cervello : A propos de l’histoire et du présent en Mauritanie (1ere partie)

Adrar-Info - Présentation du livre Le passé colonial et les héritages actuels en Mauritanie, et du livre en préparation Histoire et politique dans la vallée du fleuve Sénégal, Mauritanie

A propos d’ l’histoire et du présent en Mauritanie

Dr Mariella Villasante Cervello – Rabat, décembre 2016

Présentation du livre « le passé colonial et les héritages actuels en Mauritanie. État des lieux de recherches nouvelles en histoire et en anthropologie sociale » (2014)

et du livre en préparation : « Histoire et politique dans la vallée du Fleuve Sénégal Mauritanie. hiérarchies, échanges, colonisation et violences politiques, VIIIe-XXIe siècles » (2017)

En novembre 2014, est paru le livre Le passé colonial et les héritages actuels en Mauritanie, que j’ai eu l’honneur de diriger, en collaboration avec Christophe de Beauvais (Paris, L’Harmattan, Collection Études africaines, 572 pages).

J’aimerais faire une brève présentation de la Préface et d’une partie de l’Introduction pour mieux diffuser le contenu de notre livre en Mauritanie, où l’on observe un intérêt renouvelé sur les thèmes d’histoire. Dans un deuxième temps, je voudrais présenter la table de matières d’un nouveau livre en préparation, « Histoire et politique dans la vallée du fleuve Sénégal, Mauritanie », que je co-dirige avec mon collègue Raymond Taylor (directeurs), avec la collaboration de Christophe de Beauvais.

Préface

Mariella Villasante Cervello

Les textes de cette publication consacrée à la République Islamique de Mauritanie sont parus dans l’ouvrage collectif que j’ai dirigé Colonisations et héritages actuels au Sahara et au Sahel (L’Harmattan, 2 vols., 2007), qui traitait sur plusieurs pays : Cap-Vert, Gambie, Libye, Mali, Maroc, Mauritanie et Sénégal. Cependant, ils sont restés peu connus en Mauritanie et ailleurs.

Pour cette raison, j’ai décidé de publier les chapitres portant sur ce pays, en ajoutant un chapitre sur la question de l’esclavage contemporain écrit par Meskerem Bhrane, l’une des meilleures spécialistes du thème, dans le livre collectif Groupes serviles au Sahara (dir. Villasante, cnrs Éditions, 2000). L’Introduction publiée en 2007, co-signée avec Raymond Taylor, a été conservée dans ce texte car elle est indispensable pour situer le cas de la Mauritanie dans le contexte saharo-sahélien.

On aura l’occasion de voir ici que le passé colonial mauritanien a laissé des héritages nombreux dans la société et dans l’ordre politique, mais également dans les manières de concevoir et d’écrire l’histoire ancienne et celle contemporaine. Une certaine influence orientaliste, au sens d’Edward Said, centrée sur la seule société arabophone bidân, au détriment des communautés noires du pays, a prédominé dans les études mauritaniennes.

Et on peut dire aussi que l’histoire saharienne s’est développée au détriment de l’histoire sahélienne du pays, largement passée sous silence dans l’histoire officielle et dans l’historiographie actuelle.

Cette perspective a commencée à être dépassée par les travaux des jeunes chercheurs au cours des années 1990. Cela dit, beaucoup reste encore à être fait en matière de renouvellement des perspectives de recherche indépendante et post-coloniale.

En effet, les diverses communautés bidân et africaines de la société mauritanienne, restent toujours mal connues et peu étudiées ; en outre, les idéologies ethnicistes et/ou les propagandes officielles sur les violences ethniques des années 1980-90 remplacent souvent l’analyse distancée des faits.

Dans ces conditions, j’ai l’espoir que cette publication apportera un nouveau souffle aux intérêts des chercheurs confirmés et des jeunes universitaires pour développer des nouveaux travaux de recherche fondamentale dont le but central reste la mise en avant des faits vrais. La recherche de la vérité des faits sociaux, dans le passé et dans le présent, est le seul objectif que nous, chercheurs et universitaires, devons essayer d’attendre.

Introduction [extraits]

La Mauritanie dans le contexte colonial saharo-sahélien

Raymond Taylor

St Xavier University, Chicago

Mariella Villasante Cervello

Instituto de democracia y derechos humanos de la pucp, Lima

Dans cet ouvrage collectif, nous proposons une analyse du passé colonial et des héritages actuels en Mauritanie à partir d’une distinction entre les questions de méthode (Première partie) et les interprétations des données d’histoire et d’anthropologie (Deuxième partie). L’horizon temporel couvre le XIXe siècle, le XXe siècle et les deux décennies du XXIe siècle.

Les contributions sont le fait de chercheurs qui travaillent sur la Mauritanie depuis les années 1980 (Mc Dougall), et les années 1990 (Villasante Cervello, Taylor, Cleaveland, Bhrane, Acloque, El Bara, López Bargados). Nous comptons aussi avec la participation de deux collègues africanistes dont les travaux sur la période coloniale française en Afrique de l’ouest font autorité : Christopher Harrison et (feu) James Searing — il nous a quitté le 3 décembre 2012, alors qu’il était dans la force de l’âge et qu’il développait des beaux projets de recherche au Sénégal.

Les études présentées sont riches d’informations historiques puisées dans les archives européennes et africaines, mais les sources contemporaines sont également présentes par le biais d’entretiens et de travaux de terrain.

D’autre part, certains textes ont été écrits en anglais et en castillan, et un travail considérable de traduction française a été réalisé par Christophe de Beauvais, collaborateur principal de cet ouvrage. Nous voulions en effet diffuser des travaux novateurs et stimulants de collègues anglophones qui sont peu connus des chercheurs francophones, notamment en Mauritanie.

Les reconstructions historiques du passé et les examens du présent, se fondent autant sur des sources d’archives et des entretiens que sur des analyses des discours, des idéologies et des stratégies politiques utilisées par les administrateurs coloniaux, puis appropriées et manipulées par les populations locales.

Dans notre livre Colonisations et héritages au Sahara et au Sahel (2007), nous avons montré qu’au cours de leur expansion, les puissances coloniales européennes partageaient des défis similaires et elles répondirent de manière comparable, en brandissant les idées de progrès social, de civilisation et d’amélioration des conditions de vie des Africains, légitimées à partir des théories de la « race ». Cependant, des différences importantes dans les méthodes de colonisation concernèrent les puissances les mieux loties dans la répartition du continent, l’Angleterre et la France, et celles moins riches, l’Espagne et l’Italie.

Première Partie : Problèmes conceptuels et de méthode

Dans le premier chapitre, Mariella Villasante Cervello (a), anthropologue, analyse le devenir des catégories coloniales de classements collectifs : « les races, les tribus et les ethnies », qui légitimèrent l’esclavage africain d’abord, puis l’expansion coloniale. Elle propose également que le flottement qui caractérise l’emploi des termes « ethnie » et « tribu » dans la production anthropologique française est associé à la persistance des idées coloniales dans les travaux de certains spécialistes.

Après avoir présenté une critique de certains travaux de ceux qu’elle désigne comme « orientalistes », qui reprennent à leur compte les données coloniales, elle examine les héritages des classements coloniaux et leurs manipulations au sein des élites mauritaniennes.

Une autre notion d’invention coloniale, « l’islam noir », est analysée par l’historien Christopher Harrison [a, chapitre 2], telle qu’elle fut construite par trois administrateurs de l’Afrique occidentale française durant la Première Guerre mondiale, François Clozel, Maurice Delafosse et Paul Marty.

Les interprétations de ces administrateurs influencèrent les Européens et les dirigeants politiques africains dans un contexte marqué par les luttes des Alliés contre l’Empire Ottoman, et par le recrutement des soldats Africains musulmans pour la plupart.

L’islam noir fut ainsi défini comme une religion distincte de l’islam arabe car il était « coloré » par une « culture indigène » et par les « traditions ethniques africaines ». D’après eux, les Français devaient avoir une stratégie double de protection des religions africaines contre l’intrusion islamique, et d’alliances avec les chefs musulmans dans les régions à dominance islamique.

James Searing [chapitre 3], historien [décédé en décembre 2012], examine les problèmes méthodologiques liés à l’étude de l’ordre mouride au Sénégal, mais qui est également présent en Mauritanie. Il avait été classé par les colonisateurs français comme une « branche bâtarde de l’islam noir ».
D’après les interprétations coloniales françaises, l’ordre confrérique mouride poursuivit une résistance passive à la monarchie wolof après que les troupes coloniales aient tué le Lat Joor [dammel, roi] en 1886.

L’auteur s’oppose à ces manières de voir et avance que les rapports officiels qui ont guidé le travail de certains chercheurs contiennent des erreurs dues à l’ignorance des Français, mais aussi d’autres erreurs conscientes destinées à manipuler les faits.

À partir d’une lecture critique des archives coloniales, mais surtout des sources mourides orales, Searing propose une nouvelle interprétation de l’arrestation du chef de l’ordre mouride, Amadou Bamba, en 1895, et remet en question l’importance accordée aux sources écrites dans les recherches contemporaines.

Le problème du langage d’autorité politique et de ses traductions en Mauritanie précoloniale est étudié par Raymond Taylor [a, chapitre 4], historien. Il explore la logique du dialogue dans la rencontre entre les officiels Français et les guerriers nomades dans la vallée du fleuve Sénégal durant les premiers temps de l’expansion impérialiste.

Son étude se fonde sur un riche corpus de lettres échangées entre les Gouverneurs de Saint-Louis et les « émirs » des régions du Trârza et du Brâkna, ou gebla mauritanienne.

Concevant ces échanges comme des « rencontres de persuasion mutuelle », l’auteur suggère que chacune des parties cherchait à interpréter son propre ordre social de manière à ce qu’il résonne avec les valeurs de l’autre, tel qu’elles étaient comprises par les interlocuteurs eux-mêmes. Bien évidemment, les incompréhensions étaient endémiques.

Cependant, l’invention des traditions était ici le plus souvent une invention personnelle, c’est-à-dire la réinterprétation consciente de sa propre culture motivée par le désir de persuader l’Autre. Les communications étaient remplies de méprises, mais de ce flux d’interprétation et de déformation de sens émergea un discours commun, une lingua franca, sur l’autorité, le pouvoir et la légitimité, qui évolua en changeant les perceptions des Français mais aussi des Bidân de la gebla sur leurs propres systèmes politiques.

Les discours coloniaux sont également examinés par Ann McDougall [chapitre 5], historienne, qui consacre son étude à l’examen des textes sur le travail et la classe ouvrière en Mauritanie dans la période de l’entre-deux-guerre et au cours de la Seconde Guerre mondiale.

Consciente du fait que la recherche d’une classe ouvrière dans les sources coloniales peut être perçu comme une tâche passéiste ou comme un travail impossible dans le contexte de recherche postmoderne et postcolonial, plutôt intéressé aux discours et aux déconstructions, McDougall avance que le problème reste posé dans la mesure où le travail manuel reste accompli par les mêmes groupes de « travailleurs » issus des groupes serviles de la Mauritanie contemporaine.

À partir d’une perspective qui privilégie la relation entre les maîtres et les esclaves, elle aborde ces questions à la lumière des données d’archives et des entretiens sur l’esclavage endogène, sur la référence islamique comme source de légitimation de cette pratique, et sur l’émergence d’une nouvelle classe des travailleurs « hrâtîn » ; elle avance enfin que ces derniers avaient une conscience identitaire distincte de celle des esclaves (‘abîd).

Alberto López Bargados [chapitre 6], anthropologue, s’attache à présenter une analyse comparative des représentations des Espagnols et des Français sur l’ordre social des Bidân de la région du Sahara occidental et du nord de la Mauritanie, entre la fin du XIXe siècle et la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Ces représentations étaient associées à l’action coloniale et aux stratégies de commandement, mais aussi à l’histoire spécifique de la France et de l’Espagne. L’auteur avance que le Sahara occidental était d’un intérêt limité pour l’Espagne qui tentait encore de conserver ses dernières colonies américaines (Cuba et Puerto-Rico) et les Philippines.

Lors du partage de l’Afrique, l’Espagne avait obtenu seulement trois territoires : le Sahara, la Guinée Équatoriale et quelques territoires au nord du Maroc. Sa situation était bien différente de celle de la France qui avait obtenu des territoires considérables.

Or, les administrateurs espagnols qui géraient une zone restreinte en nombre de « sujets » et qui ne s’intéressaient pas aux modèles globaux comme les Français, firent des observations plus proches de la fluidité qui caractérisait les hiérarchies sociales des Bidân, et assez éloignées de la rigidité statutaire qui séparait, d’après les Français, les groupes guerriers et les religieux.

Dans le chapitre 7, Mariella Villasante Cervello (b) aborde les malheurs de l’influence coloniale dans la construction du passé historique de la Mauritanie contemporaine. Malheurs car les administrateurs coloniaux inventèrent une « histoire mauritanienne » biaisée par leurs propres idéologies sur ce que devait être une nation selon le modèle français.

Les producteurs de l’histoire de Mauritanie ont été influencés pendant longtemps par les conceptions et les stéréotypes forgés par les auteurs coloniaux et néocoloniaux qui ont privilégié les distinctions sociales fondées sur la « race », l’histoire-traités-batailles, la rigidité des hiérarchies sociales distinguées en « trois ordres », guerrier, religieux et tributaire, et enfin l’invention d’un passé politique « centralisé », les « émirats ».

Plus pernicieuse encore fut la correspondance établie sur le plan politique entre le « peuple bidân » et le « peuple mauritanien », qui relègue dans un second plan les communautés africaines halpular’en, soninké et wolof, correspondance reprise par les gouvernements mauritaniens, et qui reste une source de tension ethnique et nationale importante dans le pays.

Deuxième Partie : La colonisation et les héritages actuels

Yahya Ould El-Bara : [chapitre 8], anthropologue et historien, aborde les effets….

A suivre……/



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