08-09-2017 16:33 - En Mauritanie, les dernières convulsions d’un régime agonisant

En Mauritanie, les dernières convulsions d’un régime agonisant

Le Monde - Moussa Fall, membre de la coalition de l’opposition mauritanienne, dénonce les « méthodes antidémocratiques » du régime de Mohamed Ould Abdel Aziz. En tant que responsable politique mauritanien, il est de mon devoir d’en appeler à la conscience de tous dans cette période particulièrement dangereuse que traverse mon pays.

Avec son vaste territoire situé dans un Sahel aux prises avec des bandes terroristes, sa petite population et ses importantes ressources naturelles (fer, or, cuivre, poissons, gaz, etc.), la Mauritanie a tous les ingrédients pour se développer, pour se défendre et pour contribuer efficacement à l’effort international engagé pour stabiliser et sécuriser la sous-région.

Pourtant, l’accaparement des ressources par le clan présidentiel et la dérive autoritaire entraînent le pays dans une crise endémique. Depuis quelques mois, le régime du président Mohamed Ould Abdel Aziz s’efforce d’étouffer toute opposition alors que se profile à l’horizon 2019 une nouvelle élection présidentielle à laquelle il n’a pas le droit de se présenter, la Constitution mauritanienne l’empêchant, par des articles verrouillés, de prétendre à un troisième mandat.

Peut-il se résoudre à partir, lui qui est en train de laisser un pays exsangue à cause d’une gestion catastrophique des ressources publiques ? Peut-il se résoudre à partir, lui qui se complaît dans un enrichissement illicite avec une accumulation de biens indus ? Peut-il se résoudre à partir, lui dont l’avidité l’a poussé à vendre les locaux d’écoles publiques à des commerçants dans un pays où la moitié de la population est analphabète ?

Les manœuvres pour un troisième mandat

Déjà le 29 novembre 2016, lors d’un dialogue national organisé par le dernier militaire chef d’Etat d’Afrique de l’Ouest, le général président avait pu voir une foule immense défiler contre ses velléités de rester au pouvoir.

Soucieux de tester l’acceptabilité d’un troisième mandat par référendum, il a initié de nouvelles réformes constitutionnelles ne présentant aucun intérêt et aucune urgence : modification du drapeau national, suppression du Sénat, changement de l’Hymne national, etc. Et ce, alors même que des problèmes majeurs comme l’esclavage, l’unité nationale ou la pauvreté ne sont pas traités.

Si ces projets de réforme ont d’abord été acceptés par l’Assemblée nationale, ils ont ensuite été massivement rejetés par le Sénat pourtant dominé par la majorité présidentielle, le 18 mars. Le président s’en est immédiatement pris aux sénateurs en les accusant de traîtres et de corrompus alors qu’il les avait reçus, un à un, avant le scrutin, pour les inciter à voter en faveur de ses projets en échange de certains avantages.

Dans sa ligne de mire : Mohamed Ould Ghadda, un jeune sénateur intransigeant et incorruptible ayant milité contre ces réformes, et qui présidait la commission parlementaire d’enquête sur les marchés de gré à gré. Il a été arrêté une première fois au lendemain du vote sénatorial en dépit de son immunité parlementaire, ses téléphones ont été saisis et piratés pour soutirer des informations secrètes et privées, en violation des libertés consacrées par la Constitution et le droit international.

Le général président, se sentant humilié par le Sénat, a décidé de passer outre le rejet des sénateurs et de violer la Constitution en tentant de la modifier par référendum. Pour battre campagne pendant l’été, Aziz a embrigadé des hauts fonctionnaires, s’est appuyé sur des autorités administratives régionales et locales et a saigné à blanc le trésor public pour financer la logistique. Pour museler l’opposition, qui a appelé au boycottage, le régime a réprimé, intimidé et arrêté les opposants.

La politique du bâton

Quelques jours après la « victoire » présidentielle tronquée au référendum, le sénateur Ghadda a été enlevé en pleine nuit par des inconnus en civil, sans mandat d’arrêt et sans motif. Pendant plusieurs jours, ni sa famille, ni ses avocats n’ont pu le voir ou obtenir une quelconque information à son sujet. Pressé de toutes parts, le régime dictatorial a ordonné à son procureur d’engager une information judiciaire afin de donner un habillage légal à son forfait.

Seulement, dans sa précipitation, le procureur s’est empêtré dans des notions ambiguës, au point de justifier l’arrestation du sénateur et celles de futurs « complices » par un délit non encore prévu par le Code pénal mauritanien, celui de « grands crimes de gabegie transfrontaliers », afin de justifier les poursuites contre des opposants réels ou supposés installés à l’extérieur et donc hors de portée des visiteurs de nuit du dictateur.

Plus triste encore, l’arrestation de Ghadda sert de prétexte pour poursuivre 22 personnes, parmi lesquelles les dirigeants des principaux syndicats, des journalistes, des hommes d’affaires et des sénateurs qu’il faut punir avec sévérité pour avoir osé voter contre la volonté du chef.

Ne supportant pas la compétition politique et pacifique, le régime, à l’instar de tous les pouvoirs d’essence dictatoriale, réprime l’opposition pour l’affaiblir et stopper son expansion. Il arrête des opposants et poursuit des personnalités dont certaines sont à l’extérieur, comme l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou.

Il s’attaque à ceux-ci en délivrant des mandats d’arrêt pour les mettre hors la loi et les neutraliser pour la suite des événements. Il prend leurs biens quitte à fermer leurs entreprises et à mettre au chômage leurs employés pour asphyxier l’opposition et la désarmer avant les prochaines échéances électorales.

En recourant à des méthodes antidémocratiques et, faisant face à une opposition grandissante qui a su unir de nombreux partis dans une coalition représentative de toutes les composantes de la société, à une jeunesse qui s’engage courageusement pour l’émancipation du pays et à une opinion publique qui exprime son ras-le-bol contre le système autocratique, le général président devra s’attendre à affronter, au cours des mois à venir, les pires moments de sa longue présidence.



          Moussa Fall est le président du Mouvement pour le changement démocratique (MCD) membre de la coalition de l’opposition mauritanienne, le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU)


Par Moussa Fall



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Commentaires (12)

  • overview (H) 12/09/2017 17:28 X

    @Aboulamine on ne peut reprocher à Moussa Fall de s'adresser à un media étranger, Ould Abdel Aziz lui même fait toujours ça, rien qu'après s’être remis de la balle de TWEILA, il a accordé un entretien à des médias français au lieu de réserver l'exclusivité aux médias nationaux. Ould D'abdel Aziz fait constamment des entretiens (lifting) avec des médias français dans leurs editions abonnées en racontant n'importe quoi aux lecteurs non avertis.

  • Aboulamine (H) 12/09/2017 13:26 X

    Cet article du Président du parti MCD, Mr Moussa Fall, semble être commandé. Car je ne sais pas comment une personnalité politique de ce rang, qui se dit Président d’un parti Mouvement pour le changement Démocratique peut tomber si bas en allant s’adresser au journal le Monde uniquement pour défendre deux hommes d’affaires qui d’ailleurs se confondent en un? En effet, le long détour suivi qui a consisté à n’aborder qu’en dernier lieu le cas Bouamatou était un manège pour tromper la vigilance du lecteur non averti, mais la conclusion est claire. Je dis bien deux hommes d’affaires, car O Ghadda Sénateur, aurait pu trouver beaucoup à défendre en terme de droits humains bafoués ça et là que de s’attarder sur des marchés de gré à gré qui n’existent que pour sa préoccupation d’homme d’affaire. Tout le monde sait que les marchés Publics ont connu une réforme profonde depuis 2010 (après l’arrivée de Mohamed Ould Abdel Aziz au pouvoir) et le marché gré à gré ne peut être passé que selon une procédure exceptionnelle prévue par la loi 2010-044 , voir le site www.armp.mr pour être édifié. Aucun ministère n’a plus d’emprise sur les marchés passés par son département, contrairement à ce qui se passait alors à la Sonimex. Pourquoi vouloir transformer l’affaire privée du tandem (O Boumatou - O Ghadda& consorts) en une question d’une dimension nationale alors qu’elle n’a aucune incidence positive d’ordre économique, sociale, sécuritaire.. .etc … sur la vie de la Nation et du peuple mauritanien? Pourquoi votre priorité se trouve plus à ce niveau alors que des actes graves d’atteintes aux droits humains , de pogroms se sont produit depuis 1989 dans ce pays , alors que vous étiez là sans jamais lever le petit doigt, en un mot, des questions de cohabitation et de cohésion nationale , se sont posé avec acuité dans ce pays et on n’a jamais entendu une quelconque initiative, une ébauche de solution même dérisoire venant votre part ?

  • sîdaty (H) 10/09/2017 12:26 X

    Comment as-tu faits pour avoir 3 villas à Not TZ ? Tu as trahi le Mnd et l' Ufd pour de l'argent à qui le prochain tour?

  • overview (H) 09/09/2017 10:49 X

    c'est bien un régime agonisant, il accumule provocation sur provocation,il s'en prend à toutes les voix discordantes. bref historique : En décembre 2011, Abdelhafid El Bekkali, journaliste et chef du bureau de l’Agence marocaine de presse (MAP) est déclaré persona non grata et expulsé par les autorités mauritaniennes. Ce qui suscitera un communiqué cinglant de condamnation de la part du Comité pour la protection des journalistes (CPJ) qui cria au scandale, jugeant la mesure «injustifiée et en violation de la déclaration universelle des droits de l’homme ». Le 1er octobre 2013, notre confrère Camara Mamady, journaliste guinéen qui travaillait pour le compte du journal «Rénovateur Quotidien », un périodique mauritanien, est refoulé de l’aéroport alors qu’il revenait d’une conférence à Alger pour le compte de sa rédaction. En août 2015, Hoffman Michel Lawrence, président de l’organisation des droits de l’homme Vivere basée en Suisse a été refoulé lui aussi à partir de l’aéroport après que l’ambassade de Mauritanie à Paris lui ait assuré qu’il aura le visa une fois sur place. Dès sa descente d’avion, un policier l’a conduit au bureau du commissariat de police de l’aéroport où on lui a d’abord expliqué que le système de visa est en panne avant de l’expulser. Le 17 juillet 2016, l’islamologue et prédicateur suisse Tariq Ramadan est déclaré persona non grata en Mauritanie et refoulé dès sa descente d’avion en provenance du Maroc. Il devait animer une série de tables-rondes et de conférences à Nouakchott. En avril 2017, la Mauritanie expulse Mary Foray, universitaire en droits de l’homme et Tiphaine Gosse, journaliste. Les deux jeunes Françaises entreprenaient des recherches sur l’esclavage et le racisme en Mauritanie. Cette énième expulsion, selon certains observateurs, fait du régime de Mohamed Abdel Aziz, le plus grand prédateur des défenseurs des droits de l’homme en dix ans de règne. Elle intervient au milieu d’un climat délétère, poussant les opposants les plus radicaux à parler de «relent de Coréinisation et de Birminisation de la Mauritanie», un pays qui selon eux, «s’enferme de plus en plus alors qu’une véritable chasse aux opposants est engagée à huis clos, sur fond de dilapidation à l’échelle des ressources publiques et d’une paupérisation galopante de la population mauritanienne». A rappeler que le Pr.Jonathan Jackson avait reçu chez lui le président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) Birame Dah Abeid, lors de son passage aux Etats-Unis. Cheikh Aïdara

  • Sidikader200 (H) 09/09/2017 07:32 X

    Dans une "démocratie " où les on bourre les urnes et où on fait voter les morts, le nombre d'élus n'a aucun sens. L'opinion nationale et internationale s'en est d'ailleurs rendu compte lors du dernier référendum carnaval de Aziz . Ses resultats ont été superbement ignorés par le monde entier. Notre Kim national a encore cet échec en travers de la gorge.

  • abouth (H) 08/09/2017 20:45 X

    C'est ce qu'on appelle "prendre ses désirs pour des réalités". Moussa Fall, homme politique, soit!, mais avec "combien d'......élus"? En démocratie, on raisonne avec ce critère de nombre d'élus. Moussa Fall ne représente que lui-même. Ces insanités, il les a toujours ressassées, grâce aux libertés publiques promues par le président Aziz. Insignifiants, lui et ses propos ubuesques...

  • aminatat (H) 08/09/2017 20:34 X

    le régime n'étouffe personne. l'opposition est irresponsable et elle ne sait que boycotter à chaque échéance électorale comme pour échapper au constat certain et prévisible de ses échecs. vous ne pouvez plus tromper le peuple mauritanien.

  • Lebatmohamed (H) 08/09/2017 20:15 X

    Cet article bien documenté publié dans le plus grand quotidien francais au moment où le president Aziz séjourné à Paris va contribuer à éclairé l'opinion française et internationales sur les conditions arbitraire de la poursuite et de l'arrestation des sénateurs , journalistes , syndicalistes, hommes d'affaires dont le seul tort est de s'opposer à la volonté de Aziz de briguer un 3eme mandat en violation de la constitution .

  • mauritanievive (H) 08/09/2017 19:09 X

    est ce que les mauritaniens au lieu de s'insulter ,ne peuvent pas s'assoir ensemble pour faire avancer le pays. demander a chacun ce qu'il desire et lui donner . sauver la nation au lieu d'entrer daNS UN CYCLE ,DONT LES CONSEQUENCES SERONT REGRETTABLES POUR TOUS.

  • aminatat (H) 08/09/2017 18:28 X

    il est facile de se cacher derrière le clavier pour utiliser des expressions galvaudées et sans fondement. aziz a mis la Mauritanie sur la voie du progrès en luttant contre la gabegie et en sécurisant le pays contre les menaces de toutes parts. des routes ont été construites, des établissements ont été ouverts pour lutter contre le manque de qualification des jeunes mauritaniens. c'est pour cette raison que nombre de mauritaniens sont convaincus que le président aziz est l'homme de situation.

  • Sidikader200 (H) 08/09/2017 17:15 X

    Moussa Fall un grand homme politique dont la pondération et la sagesse n'ont d'égales que la volonté et la détermination à servir les intérêts de la Mauritanie dans toute sa diversité . Si le journal le Monde lui ouvre ses colonnes , c'est une reconnaissance de la justice du combat pacifique mais sans concession qu'il livre , avec toutes les forces de l'opposition démocratique contre les dérives dictatoriales du president Aziz .

  • jakuza (H) 08/09/2017 16:42 X

    Moussa Fall c'est pas de chance pour ce pays d'avoir un "politique" comme vous, prompt à la trahison et au complot. Vous ignorez le nombre de vos victimes sinon de sommeil point!