03-12-2017 15:55 - Extorsion de fonds en Mauritanie : dans la peau d'un négociateur d'élite

Extorsion de fonds en Mauritanie : dans la peau d'un négociateur d'élite

Atlantico - Plongez dans l'univers fascinant de la négociation professionnelle, en suivant Marwan Mery et Laurent Combalbert.

Confrontés à des situations hors du commun - kidnapping, extorsion, grève de la faim, gourou manipulateur, ransomware, prise d'otages... -, ils livrent leurs secrets et expliquent comment faire la différence en situation désespérée.

Pour chaque cas raconté, le lecteur apprendra trois à cinq techniques de négociation. Un ouvrage unique et captivant. Extrait de "Dans la peau de deux négociateurs d'élite" de Marwan Mery et Laurent Combalbert aux éditions Eyrolles.

Il est frappant de constater le paradoxe créé par l’implantation de grosses sociétés occidentales dans des régions du monde marquées par la pauvreté et la précarité.

Des machines de chantier de plusieurs dizaines de millions de dollars parfois, conduites par des ouvriers qui ne gagnent que trente dollars par mois. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que, parfois, la machine se grippe…

Nouakchott, Mauritanie, 19 h 15

La journée se termine enfin et je ne suis pas mécontent : trois journées de formation d’une équipe de négociateurs de crise m’ont laissé sur les rotules, et j’ai hâte de rejoindre mon hôtel.

Même à cette heure déjà bien avancée, la chaleur est terrible, et l’humidité typique des pays de l’Ouest africain n’arrange rien à la sensation de moiteur qui m’enveloppe.

Voilà cinq jours que je suis dans la capitale, et je ne m’y suis toujours pas habitué : j’ai l’occasion de venir régulièrement dans la zone sahélienne, mais on ne s’y accoutume jamais vraiment.

En sortant de ma douche, je constate un appel en absence sur mon téléphone. Et le numéro indique sur l’écran ne laisse aucun doute quant à l’objet de l’appel : il s’agit d’un numéro américain, celui de Jack S., chef des opérations d’une assurance KR avec laquelle nous travaillons régulièrement. Je le rappelle immédiatement.

— Salut, Jack, tu as essayé de me joindre ?

— Oui, Laurent, merci de me rappeler. Nous avons un problème dans un pays de la zone sahélienne que tu connais bien, et je crois même que tu t’y trouves en ce moment.

— Tu es bien informé. Tu peux m’en dire un peu plus sur l’affaire ?

— Nous venons d’être sollicites, il y a une petite heure, pour assister un de nos clients aux prises avec une tentative d’extorsion.

Ma soirée tranquille s’annonce mal, mais l’excitation d’une nouvelle opération l’emporte toujours sur le désir de se poser.

Jack me présente rapidement l’affaire. Implantée en Afrique depuis plus de quinze ans, la société EveryRoad participe à la construction de routes et de pipe-lines dans la zone sahélienne.

Dans le cadre d’un chantier majeur, les équipes d’EveryRoad doivent traverser des territoires tenus par des communautés locales, ce qui fait régulièrement l’objet de discussions dont l’objet est d’impliquer ces populations dans le chantier et de sécuriser le passage des équipes. Mais à l’occasion d’un de ces échanges, le leader d’une des communautés a contacté discrètement un des employeurs de la société pour lui demander, en tête a tête, une somme de 200 000 dollars afin de garantir la sécurité des collaborateurs d’EveryRoad et la continuité du chantier. Il a laissé entendre le risque que prendrait la société si elle refusait de payer. C’est un racket caractérisé, assorti d’une menace larvée.

— Une belle tentative d’extorsion, visiblement. La somme n’est pas anodine — Oui, cette demande est inédite pour EveryRoad. Ils ont toujours donne un peu d’argent, mais jamais autant. Et dans ce cas, la menace est claire : si la société ne verse pas les 200 000 dollars, le chantier ne pourra pas continuer, avec un cout important du fait de l’arrêt des travaux. Nous pourrions solliciter les forces de l’ordre, mais tu sais ce que c’est, on n’est jamais sûr de rien. De toute façon, le client refuse cette option. Tu peux te rendre sur place pour faire un point et voir ce que nous pouvons faire ?

— Oui, bien sûr. Il me faudra quelques heures. Je m’organise des que tu m’auras envoyé les détails et le lieu où je retrouve le client.

Quelques coups de fil me permettent d’organiser un déplacement rapide. Le lendemain, en fin de matinée et après plusieurs heures de pistes arides, j’arrive sur le site qui abrite le chantier d’EveryRoad. Des engins mécaniques à l’arrêt, une route sans revêtement et des rochers empilés. Rapidement, on me conduit vers le responsable.

— Bonjour, je suis Laurent, de la société ADN Group. C’est votre assurance Kidnap & Ransom qui nous envoie.

— Bonjour, Pierre Kovak, je suis le directeur d’EveryRoad. Bienvenue sur notre site, j’aurais préféré vous rencontrer dans d’autres circonstances.

— Nous allons faire en sorte que les circonstances s’améliorent. Pierre n’est pas très grand, mais on voit assez vite que c’est un baroudeur. Trapu, sec, il pourrait parfaitement faire partie d’une équipe de ≪ security managers ≫ sur le chantier. Les premiers échanges sont très directs, ce qui me convient tout à fait.

— Les infos que j’ai eues avant mon départ faisaient état d’une tentative d’extorsion pour un montant de 200 000 dollars. C’est correct ?

— Oui, c’est bien ça. Le chef, de la communauté que nous devons traverser, menace d’arrêter le chantier si on ne le paye pas, et je sais qu’il a les moyens de mettre sa menace à exécution. Il a beaucoup d’influence sur les autres membres.

— La situation a évolué depuis que vous avez prévenu l’assurance, vous avez eu de nouvelles informations ?

— Oui, nous avons proposé d’employer des membres de la communauté sur le chantier, pour la cuisine, la logistique, ce que nous faisons habituellement. Nous avons aussi proposé de laisser, après notre départ, des pompes qui pourraient leur permettre d’augmenter le débit de leur puits d’eau. Nous avons même évoqué le fait de leur faire don d’un minibus, parce que l’école ou vont les enfants est à 17 kilomètres. Il fait mine de minimiser ces propositions, et quand nous sommes en tête à tête, il maintient toujours sa demande de 200 000 dollars.

— Qui a fait ces propositions, c’est vous ?

— Non, c’est un de mes collaborateurs, le directeur de travaux, qui a eu un échange avec le leader de la communauté. Moi, il ne m’a encore jamais vu, je préférais attendre votre arrivée pour aller à sa rencontre. D’ailleurs, les contacts se font désormais par radio. Il ne veut pas que l’on se voie directement, je pense qu’il ne souhaite pas que sa communauté sache qu’il demande de l’argent.

— C’est lui qui a demandé cette discrétion ?

— Oui, dès les premiers échanges. Nous communiquons par radio depuis hier.

— D’accord. Pas de prise de contact directement avec vous ?

— Non, mais je vais prendre en charge le prochain contact, il est prévu dans une heure.

— Le chef de la communauté a-t‑il expressément demandé à vous parler ?

— Non, il discute avec mon chef de chantier. Mais je crois que nous devons discuter d’égal à égal, de chef a chef. Cela va le flatter et il sera peut-être plus enclin à revoir ses prétentions.

— Vous ne pouvez pas aller négocier directement, c’est une règle de base : le décideur ne négocie pas, et le négociateur ne prend aucune décision stratégique, uniquement des décisions tactiques.

— Mais pourquoi ?

— Pour plusieurs raisons : si vous rentrez en contact, votre chef de chantier va perdre son rôle de négociateur. Il ne sera plus légitime, puisque le chef de la communauté pourra vous parler directement. Ensuite, vous n’aurez aucun recours pour justifier un refus. Ce que peut avoir votre chef de chantier s’il continue la négociation directement : il va pouvoir se positionner dans le rôle de ≪ médiateur ≫ entre le chef de la communauté et vous. C’est un gros avantage pour nous, cela nous laisse un temps d’avance.

Extrait de "Dans la peau de deux négociateurs d'élite" de Marwan Mery et Laurent Combalbert aux éditions Eyrolles

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Laurent Combalbert est consultant indépendant, formateur et conférencier, il forme de nombreux négociateurs et conseille des dirigeants d’entreprises et d’institutions dans la gestion de leurs situations complexes, le recrutement et la formation de leurs équipes et dans la mise en œuvre de leurs politiques de sûreté et de prévention des risques.

Laurent Combalbert a été pendant plusieurs années officier-négociateur au sein du RAID, le groupe d’intervention de la police française.

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Diplômé de la Sorbonne et expert en détection du mensonge, Marwan Mery a dirigé des équipes de négociateurs dans le monde des affaires et des relations sociales avant de consacrer sa carrière à la gestion et à la résolution de situations critiques.





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