14-05-2018 19:30 - Médias : le vrai combat en Mauritanie est économique [Tribune]

Médias  : le vrai combat en Mauritanie est économique [Tribune]

La Tribune Afrique - Chacun connait l'expression Jeter le bébé avec l'eau du bain ! Alors oui, ici à Nouakchott comme ailleurs dans le monde, l'idéal de la presse libre est encore un horizon.

Au jour le jour, nous poursuivons la quête inlassablement. Pourtant, la Mauritanie accuse un recul de 17 points dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse récemment établi par Reporters sans frontières. Pour justifier ce classement, l'organisation rappelle notamment l'adoption d'un projet de loi «qui punit de la peine de mort l'apostasie et le blasphème, même en cas de repentir».

L'affaire Mohamed Mkheitir a produit son effet : ce jeune blogueur a été condamné à deux ans de prison en appel, après une première condamnation à la peine capitale, ceci pour avoir publié un billet jugé blasphématoire.

On peut dire que la gestion de ce dossier a été frappée de graves maladresses. Sous la pression populaire, les forces vives du pays ont été tétanisées et incapables de réaction modérée. Même les partis politiques les plus progressistes n'ont pas osé dénoncer la situation ou prendre une position sans équivoque.

«L'esclavage, pratique illégale mais toujours en vigueur dans le pays, est un sujet très sensible qui entraîne parfois l'expulsion de journalistes étrangers», ajoute l'ONG. Il s'agit là du cas de Seif Kousmate, un photojournaliste franco-marocain selon RSF entré clandestinement en Mauritanie et qui voulait en sortir tout aussi discrètement.

Interpellé à la frontière avec le Sénégal alors qu'il s'apprêtait à la traverser, on sait peu de choses de ses objectifs et de ses employeurs ou commanditaires. La question de l'esclavage est effectivement au centre de controverses multiples.

Mais il est courant de voir des journalistes étrangers venir enquêter sur cette thématique sans que cela ne pose problème. Les Mauritaniens supportent d'ailleurs souvent la répétition de clichés - savamment entretenus par des ONGs locales ou des partis politiques qui en ont fait des fonds de commerce - qui ignorent les réalités complexes de la société mauritanienne.

Notre société encore traditionnelle est «castée», avec des hiérarchies admises et intériorisées par l'immense majorité de la population, comme dans d'autres pays de la sous-région. Parler d'esclavage «moderne» relève d'une méconnaissance de la Mauritanie.

Cet abus de langage crispe et «hystérise» le débat et empêche de lutter contre le vrai sujet : mettre de l'égalité dans les relations entre individus dans une société traditionnelle.

Dans ce classement RSF, la Mauritanie voisine des pays comme le Cameroun ou la République démocratique du Congo qui connaissent de fréquentes coupures d'internet, des agressions et des arrestations de journalistes, et d'autres qui ont pu échapper récemment à des régimes coercitifs (Zimbabwe, Angola, Gambie...).

Rien de tout cela n'existe chez nous, ni «entraves à l'exercice du journalisme sur le terrain», ni impossibilité pour les journalistes «de remplir pleinement leur rôle et d'assurer une information indépendante, plurielle et libre», ni violences physiques, ni menaces proférées par des officiels.

Pendant ce temps-là, en Europe centrale, des pays mieux notés sont le théâtre d'exécution d'enquêteurs gênants (Jan Kuciak, Daphne Curuana Galizia). Pour le Premier ministre slovaque Robert Fico, les journalistes sont de «sales prostituées anti-slovaques» ou de «simples hyènes idiotes».

Une engeance que le président tchèque Miloš Zeman sait tenir en respect, comme lorsqu'il se présente en conférence de presse muni d'une Kalachnikov - heureusement factice - ornée de l'inscription «pour les journalistes».

Depuis Nouakchott où je suis journaliste depuis une trentaine d'années, je sais de quoi je parle et d'où l'on vient. Ces scènes d'un autre âge sont inenvisageables.

Induit par un véritable consensus national, le grand acquis démocratique de ces dernières années, tant aux yeux des décideurs que des opposants institutionnels, des acteurs étatiques et non étatiques, s'appelle la presse et sa liberté en progrès. Dépénalisation du délit de presse, garanties légales concernant notamment la protection des sources, la législation mauritanienne garantit aujourd'hui l'exercice du métier.

Le problème est en fait ailleurs et quand RSF évoque la fermeture de télévisions, l'ONG se trompe de combat. Ces télévisions n'ont pas été les victimes d'une volonté de censure mais d'un modèle économique fragile et non pérenne. Voilà la triste réalité.

Notre combat, pour nous les journalistes mauritaniens, est donc de travailler à une meilleure structuration économique de ce secteur vital pour l'expression démocratique.

L'Etat et les grands groupes privés doivent se saisir de l'urgence en favorisant l'expression de médias indépendants, pilotés par des professionnels rémunérés, décemment et en transparence, par le public (lecteurs ou téléspectateurs), les annonceurs ou l'Etat via des subventions officielles votées par le Parlement.

Plutôt que de voir disparaître les unes après les autres les chaînes de télévision, faute d'assise commerciale, nous avons besoin d'élaborer un modèle économique pour multiplier les canaux de diffusion d'une information objective et fiable. Au lieu de voir fleurir, comme les champignons après la pluie, des sites d'infos «low cost» mais peu crédibles et souvent obscurs.

Par Mohamed Fall Ould Oumeir, journaliste mauritanien



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Commentaires (10)

  • Belphegor (H) 15/05/2018 15:13 X

    @foutatoro Plus je vous lis avec vous et plus je me rends compte de votre complexe de supériorité intellectuelle doublé d’un ego surdimensionné…Merci d’apprendre à l’inculte (je le prends plutôt comme un beau compliment venant de vous) que je suis l’étymologie du mot apartheid, vu que ni moi ni vous n’avez vécu l’apartheid en Afrique du Sud et que vous le rabâchez dans vos commentaires a toutes les sauces je vous ai demandé clairement quel chaine de télé ou radio privée était détenue par les noirs au plus fort de l’apartheid alors qu’il étaient privés de leurs droits les plus élémentaires ? Je m’attendais plus à des invectives et/ou des injures de la science infuse que vous êtes (ou plutôt que vous croyez être) qu’à une réponse claire de votre part et vous ne m’avez pas démenti…Quant aux multiples rapports de l’ONU (en partie discutables) et/ou d’ONG affiliées de près ou de loin à l’IRA au sujet de l’esclavage, du racisme et du tribalisme que vous prenez en références absolues comme l’évangile ou le saint Coran, l’intellectuel de haut vol que vous êtes devrait savoir que la teneur de leur contenus est tributaire des relations du pays avec ces entités exactement comme quand le FMI ou la Banque Mondiale distribuent des notes positives a des pays en termes de bonne gouvernance alors qu’en réalité leur l’économie est ruinée.

  • bleil (H) 15/05/2018 14:27 X

    BULL CRAP comme disent les ricains ! le Combat est celui de la LÉGITIMITÉ DU POUVOIR, une représentativité réelle des populations qui engendre leur adhésion aux politiques économiques et de progrès d'un gouvernement légitime... Un semblant de pouvoir démocratique, alors que nous savons tous l’ignorance des dirigeants militaires qui ne font qu'accentuer la main mise économique d'une oligarchie militaro-mafieuse ! Le combat est d'abord celui d'un pouvoir légitimé par les urnes pour plus de liberté et de démocratie ..

  • foutatoro (H) 15/05/2018 13:51 X

    @Belphegor, quand on est inculte on se fait tout petit. Étymologiquement, Apartheid veut dire "Développement séparé". Et donc, en Afrique du Sud de l'Apartheid démoniaque, il y avait des radios, TV, entre autres... bref tout, pour les noirs...mais à part. L'Apartheid avait au moins le "mérite" d'être clair et assumé, alors que dans notre pays c'est une hypocrisie sournoise qui cache les agissements les plus racistes de notre époque. C'est tout. Moi, à votre place, au vu des observations onusiennes sur l'état catastrophique des droits de l'homme Noir dans ce pays, je crèverai de honte de voir « vos compatriotes » vivre une tragédie inouïe sur une terre dite abusivement République Islamique.

  • Belphegor (H) 15/05/2018 10:36 X

    @Foutatoro «Même sous le régime bestial et bandit de l'Apartheid, les noirs avaient leurs TV et Radios privées" Sous le régime bestial et inhumain d l’apartheid les noirs étaient confinés dans leurs ghettos et étaient assujettis a des laisser passer pour aller dans les quartiers blancs du moins pour ceux qui travaillaient comme domestiques ou ouvriers, pouvez-vous nous citer quelles chaines de radios et TV les noirs possédaient du temps de l’apartheid en Afrique du Sud ? Votre obsession viscérale à faire un parallèle entre la Mauritanie (passée et actuelle) avec l’Afrique du sud de l’apartheid vous a fait dépasser les limites de la bonne foi et de l’honnêteté intellectuelle. Allez discuter avec un afrikaner ou un noir qui ont vécu cette sombre période de leur pays en essayent de les faire croire que c’est exactement la même chose en Mauritanie et ils vous riront a la figure….Votre « science infuse » n’a d’égale que votre mauvaise foi, votre malhonnêteté intellectuelle et surtout votre haine aveugle du maure que vous dissimulez très mal sous le masque de l’humaniste et citoyen épris de paix et de justice sociale, la Mauritanie a beaucoup à faire en matière de justice sociale mais est très très très loin de l’Afrique du sud de apartheid que vous ramenez a toutes les sauces avec vos contrevérités car a défaut de l’avoir vécu ou parlé avec ceux qui l’ont vécu il faut au moins se documenter dessus et comparer ce qui est comparable.

  • hamadel (H) 15/05/2018 08:48 X

    a la faveur d'un debat televisé hormatallah est nommé directeur de la radio;pour avoir pleuré une deputé est nommée ministre;et grand fall aussi aura quelque chose pour avoir defendu le regime plus-ou-moins sur le plateau d'africa 24 donc chers Mauritaniens pleurer-pleurer ça donne mieux que les hautes etudes

  • hamadel (H) 15/05/2018 07:40 X

    grand fall il ne faut pas occulter les vrai problemes de la Mauritanie l'exclusion et le racisme fait rage dans le pays vous vous faites le journal de diversion pour aider ton regime grignoter quelques jours de survie

  • Selmedine (H) 15/05/2018 01:14 X

    Je voudrais rappeler à fotatoro que le faite que le capital appartienne en majorité à une frange de la population est normal puisque celle-ci a toujours cru au developpement de ce pays désertique malgres la persistance des vents et des marées...Alors que d'autres ont toujours cru que la Mauritanie fondera en boule de neige dans le grand Soudan .La plupart des nationaux ont répartie leurs capitaux du senegal à l'aube de l'indépendance alors que nos frères de la vallée sont restés confinés au senegal .Inutile de revendiquer car la Mauritanie en tant que pays a pris son élan avec les plus fidèles de ses fils toute communautés confondues.

  • pamota (H) 14/05/2018 22:05 X

    Analyse limpide du secteur !!!!

  • foutatoro (H) 14/05/2018 20:16 X

    Évidemment, le fameux Ould Oumer, dont le peu de crédibilité a volé en éclat après son passage récent, complétement raté, sur Africa24 pour défendre l'indéfendable, ne s'offusque pas de ce que : 100% des TV privées appartiennent aux seuls beïdanes, 100% des radios privées aux seuls beïdanes, sans parler des fameuses TV "nationale" et radio "nationale" à 95% beïdanisée. Dans un "pays" aussi multiethnique. Même sous le régime bestial et bandit de l'Apartheid, les noirs avaient leurs TV et Radios privées. Ce pays du faux absolu en tout rend malade. Que d'hypocrites !

  • abma (H) 14/05/2018 19:51 X

    Combat économique est vain sous une dictature-militaro-mafieuse. Le combat est d'abord de démocratie et social pour libérer les forces vives les forces de progrès de l'emprise mafieuse de ce système discriminatoire et raciste.