18-04-2019 17:16 - Moi aussi j’étais à Walata (troisième partie)/Par le colonel (E/R) Oumar Ould Beibacar

Moi aussi j’étais à Walata (troisième partie)/Par le colonel (E/R) Oumar Ould Beibacar

Le Calame - Arrivés des Walis sortants et entrants

Le samedi 3 septembre 1988 à 11h, arrivée des capitaines Ainina ould Eyih, le wali sortant, nommé directeur général de la Sonelec, et le capitaine Wellad Ould Haimdoune, nouveau wali de Néma. Vers 14h, j'étais convoqué par le capitaine Ainina dans le domicile du wali, on lui aurait remonté les bretelles au ministère de l'Intérieur, au sujet de la situation catastrophique des prisonniers dénoncés par mon chiffré.

Il m’avait dit : "quel est ce tintamarre que tu as provoqué depuis ton arrivée, et pourquoi tu n’as pas attendu notre arrivée pour nous faire les comptes-rendus nécessaires ? Tu as rendu compte à Guèye Elhadj qui est peut-être un flamiste. Ces gens là sont des éléments dangereux, ils voulaient mettre le pays à feu et à sang, soutenus par Israël et le Zaïre".

Je lui ai répondu : "mon capitaine, Israël et le Zaïre ne me concernent pas, moi je suis responsable de la prison qui est régie par une loi. Pour le cas de Tène Youssouf Guèye, c’était très urgent, et il souffrait du foie. Sa maladie était en phase terminale et il était trop faible à cause du mauvais traitement et de la malnutrition.

Au sujet de votre adjoint, ces opinions politiques ne me concernent pas non plus, l’administration est une continuité, et lui il est le wali adjoint, votre absence m’impose de m’adresser à lui, pour lui faire les comptes-rendus au sujet de la situation catastrophique des prisonniers et de l’urgence du cas de Tène. Et il avait agi correctement et rapidement en mettant à notre disposition un médecin pour faire accélérer l’évacuation de Tène et voir l’état de la situation des autres prisonniers."

Pour toute réponse, le wali rétorqua : "toi tu es bizarre et tu le regretteras, tu peux disposer", et depuis lors il ne me porte plus dans son cœur. Plus tard, j’avais reçu l’information bien recoupée, que les deux walis sortant et entrant faisaient partie des dizaines d’officiers baathistes, parmi les meilleurs des forces armées, majoritairement originaires des régions de l’Est et du Sud qui avaient été tous révoqués sauf cinq, que le chef de l’Etat avaient maintenus en activité, et sur lesquels il avait fondé son pouvoir, il s’agit des colonels Ely ould Mohamed Vall, Sidi Mohamed Ould El Alem, Wellad Ould Haimdoune, Ainina Ould Eyih et Mohamed Cheikh Ould Elhady. C’était la première connerie du président du CMSN.

Le lundi 5 septembre, on m’annonce une mission de l’état-major conduite par l’officier adjoint, le commandant Ndiaye Ndianko, par le vol d’Air Mauritanie à Nema. Arrivé à l’aéroport, le chef d’agence me confirme que l’avion n’avait pas pu atterrir à cause du mauvais temps et a fait demi-tour sur Nouakchott. Après contact avec l’état-major, on me confirme que la mission rejoindra Néma dès le lendemain, par voie terrestre.

Le jeudi 7 septembre, la mission est arrivée à Néma et m’a demandé de lui chercher un chauffeur maure avec la région militaire, pour remplacer leur excellent chauffeur Ba Aly, un peul, qui ne peut pas voir la prison de Walata. Je suis allé voir le commandant de la 5ème région militaire, un ami qui a aussitôt mis à ma disposition un chauffeur maure que j’ai envoyé à l’officier adjoint. J’ai aussitôt proposé au Wali de nous accompagner avec le médecin chef Mohamed Ould Menou, car leur présence est très utile. Ce que le wali a accepté.

Le lieutenant Mohamed Lemine Ould Ahmedou

L’officier adjoint était accompagné par deux officiers, dont le lieutenant Mohamed Lemine Ould Ahmedou, originaire comme moi de la région de l’Assaba, qui était commandant de l’escadron de sécurité de la prison de Walata avant d’être muté chef du deuxième bureau en juillet 88. A son arrivée a Walata en avril 1988, quand il a vu la situation catastrophique des prisonniers, il a beaucoup pleuré et a même pensé à démissionner.

Il avait réussi à ouvrir quelques fenêtres de la grande salle, améliorer un peu l`alimentation, et avait rendu compte de la mauvaise nutrition et du mauvais traitement des prisonniers à sa hiérarchie, avant d’être muté à l’état-major comme chef du 2ème bureau en juillet 1988. En cette qualité, il avait aussi rendu compte au chef d’état-major de la situation des prisonniers et avait cherché vainement à mettre fin à leur calvaire.

Certains prisonniers pensaient qu’il ne pouvait faire plus par manque de personnalité. Or il était un simple commandant d’escadron chargé de la sécurité de la prison, cependant la situation des prisonniers et leur alimentation relevaient directement de l’adjudant Bobaly régisseur de la prison et qui était lui aussi soumis à l’autorité du commandant du groupement, qui est le premier responsable.

Arrivée de la mission à Walata

A 13h 30 départ de la mission pour Walata, arrivée à 17h30, consultation, médicale à tous prisonniers et à quelques gardes de l’escadron. A la fin de la consultation, j’ai contrôlé comme d’habitude la liste des consultants et j’ai constaté l’absence de deux prisonniers, le lieutenant Bâ Abdoulghoudouss et le professeur Sarr Abdoulaye, je les ai convoqués pour leur demander les raisons pour lesquelles ils ne se sont pas fait consulter, ils m’ont répondu : On n’est pas malade.

J’ai répliqué que la consultation est obligatoire pour tous les prisonniers, ils se sont alors fait consulter immédiatement par le docteur Mohamed Ould Menou. Six jours après le lieutenant Bâ Abdoulghoudouss trouvera la mort. Auparavant le 9 septembre à 18h j’avais trouvé mon frère et ami Bâ Abdoulghoudouss, d’apparence en pleine forme, un peu plus gros que d’habitude, devant une chambre à coté du poste de police. Le médecin me dira plus tard, qu’il était atteint de béribéri, c’est pour cela qu`il donne l`impression d`être en pleine forme.

Je lui ai demandé qu’est ce qu’il faisait là bas, il m’a répondu qu’il était avec les ‘’anciens’’, le commissaire Ly Mamadou, le capitaine Diop Jibril et un civil portant le nom de Ly Moussa Hamet, qui se trouvaient dans des meilleures conditions. Je lui ai proposé de regagner la grande salle avec ses collègues, en précisant que maintenant les choses vont s’améliorer, que je vais le faire remplacer par Djigo Tafssirou, un vieux malade, et un ancien ministre, et que sa place doit être avec ses compagnons. Il m’a répondu : "tu as parfaitement raison, et je suis parfaitement d’accord pour être remplacé par notre imam", avant de regagner ses collègues.

La mission a regagné le domicile du préfet et nous a conviés, le médecin et moi, pour une réunion. Au cours de cette réunion, il a été décidé d’améliorer la sécurité et l’alimentation des prisonniers, de mettre en place les moyens sanitaires nécessaires pour assurer une bonne santé et une bonne hygiène pour les prisonniers et les gardes, et d’améliorer l’habillement des prisonniers.

En fin de réunion, j’ai dit que les prisonniers avaient d’autres doléances, notamment le problème des chaines, certains d’entre eux sont encore enchainés, ils cherchent aussi le contact avec leurs familles, de la lecture et des radios pour écouter les informations. On m’a répondu : on verra cela plus tard. Nous avons passé la nuit à Walata, que nous avions quitté le lendemain à 9h45 à destination de l’Azib, le troupeau de chameaux de la garde que l’officier adjoint voudrait contrôler.

Décès de Bâ Abdelghoudouss

Nous avons passé une très belle nuit à l’Azib, que nous avions quitté le 9 septembre à 8h, pour Néma ou nous sommes arrivés à 10h. Après la sieste, la mission de la garde a quitté Néma pour Nouakchott à 16h. Cette mission a sans doute amélioré les conditions des prisonniers. Auparavant, Il y avait eu deux missions, la première était dirigée par le lieutenant Mohamedou Ould Sid’Ahmed, chef du B2.

Cette mission, venue le 23 janvier 1988 à 13h à Walata, soit 13 jours après l`arrivée des prisonniers, avait pour objectif d`enquêter au sujet de la torture et de l`humiliation d’un prisonnier ainsi que d’un nomade, par le commandant du peloton, dénoncée par le préfet.

Le chef du B2 avait fait un tour au fort pour voir l`état des prisonniers. Constatant qu’il y avait quatre prisonniers politiques qui étaient plus privilégiés que les autres, il avait posé la question au chef de peloton qui lui a répondu qu’ils étaient ses agents de renseignement, indispensables en pareille circonstance.

Le chef du B2 lui a répliqué : "comment peuvent-ils te renseigner alors qu’ils n’ont aucun contact avec les autres prisonniers, ils doivent nécessairement rejoindre leurs collègues dans la grande salle, je donnerai des instructions les concernant, au commandant du groupement". La deuxième mission était venue à Walata le 9 février 1988, elle était dirigée par le commandant Frank Guerlain intendant de la garde et concernait exclusivement l’alimentation des prisonniers et des gardes.

Le lendemain 10 septembre, je continue ma passation de service pour Amourj, Adelbegrou, Bassiknou et Fassala. Départ pour Amourj à 12h, arrivé à 14h. Vers 15h à Amourj, on me signale que mon frère et ami le lieutenant Bâ Abelghoudouss avait une forte fièvre, et que l’infirmier l’avait soumis à l`aspirine et la Tétracycline, j’ai alors demandé à l`infirmier de m’informer de l’évolution de sa maladie.

A 17h, arrivée à Adelbegrou, départ à 19h30 pour Bassiknou, à ce moment on me signale que Abdoulghoudouss va mieux et qu’il avait une toux banale. Arrivés à Bassiknou à 23h45, le lendemain dimanche 11 septembre vers 8h, l’infirmier m`annonce, entre Bassiknou et Vassala, qu`il l’a soumis au charbon, à l’aspirine et la Tétracycline mais la fièvre persiste avec un ballonnement abdominal périodique, selon lui. Je lui ai dit que si son état de santé nécessite une évacuation sanitaire sur Néma, il ne doit pas hésiter pas à m`en informer.

A 5h30 départ pour Vassala, arrivés à 12h, retour sur Bassiknou à 18h, pour y passer la nuit. Le lendemain, mardi 13 septembre à 10h, l` infirmier m’annonce qu’il l’a mis sous perfusion et qu’il y a une amélioration dans la santé du lieutenant, malgré des battements de cœur importants. Compte tenu de l`amélioration de la santé du lieutenant, et de la fin de la passation de service, et étant complètement épuisé, j’ai décidé de passer la journée à Bassiknou pour repartir en fin d`après midi à Néma.

A 17h, nous avons fait mouvement sur Néma, et à 17h45, l`infirmier m’annonce malheureusement la dégradation subite de la santé du lieutenant qui nécessite une évacuation sanitaire sur Néma. Le temps de prendre contact avec mon adjoint pour en informer le Wali, à 18h50, l’infirmier m’annonce la perte de connaissance du lieutenant avec des difficultés respiratoires, le temps d’en rendre compte à mes chefs hiérarchiques, l`infirmier me confirme malheureusement le décès du lieutenant Bâ Abdoulghoudouss à 19h d’un neuropaludisme.

(A suivre)



Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité


Commentaires : 3
Lus : 2922

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (3)

  • medabdul (H) 18/04/2019 21:26 X

    ALORS COLONEL MÊME DANS UN MOUROIR LE PLUS SORDIDE ET DANS une misère absolue tes chers cousins se bouffent entre eux?

  • medabdul (H) 18/04/2019 21:24 X

    oui mais pourquoi ne pas citer les noms des quatre détenus politiques qui étaient agents de renseignement? AU COLONEL BEIBACAR de savoir que ces gens qu'il défend bec et ongle s’entre tuent entre eux-mêmes dans un mouroir certains espionnent d'autres cela mérite une réflexion approfondie.

  • mdmdlemine (H) 18/04/2019 17:33 X

    Emouvant, terrible, un demi devoir de vérité L'Etat doit réellement prendre au sérieux ce passif dont le récit n'a fait que mettre en exergue les monstruasités Le futur Président doit faire table rase de toutes les mauvaises thérapeties improvisées pour ré&tablir les victimes et les morts dans leur droit et dignité Grand merci pour Beibacar l'exemple de l'officer mauritanien modèle non raciste