21-05-2020 09:54 - Entretien avec Aminetou mint Moctar, présidente de l’Association des Femmes Cheffes de Famille (AFCF)

Entretien avec Aminetou mint Moctar, présidente de l’Association des Femmes Cheffes de Famille (AFCF)

Le Calame - "Je m’étonne que des voix discordantes se soient déjà levées, depuis l’adoption du projet de loi relative à la lutte contre les violences faites aux femmes pour demander son rejet"

Le Calame : Le 6 Mai dernier, le gouvernement mauritanien a adopté le projet de loi relative à la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles. Comment avez-vous accueilli cette décision ? Un ouf de soulagement ?

Madame Aminetou mint Moctar : C’est là une vieille revendication des organisations de défense des droits de l’homme. Nous nous battons depuis des années pour l’adoption de cette loi, avons entrepris un important plaidoyer auprès des instances étatiques et organisations de la Société civile, également organisé des ateliers au profit des magistrats, avocats et parlementaires.

Récemment, nous tenions des sit-in devant le ministère de la Justice et dans l’enceinte du Parlement pour exiger l’adoption d’un texte protégeant les femmes. Vous n’êtes pas sans savoir que les violences contre les femmes, occasionnant souvent leur mort, sont devenues récurrentes, tandis que ceux qui les commettent bénéficient de la complicité et du silence des certains guides religieux. Le premier projet de loi datant de 2012 fut rejeté, tout comme celui de 2018, par le Parlement. Nos efforts se sont heurtés, hélas, à des esprits rétrogrades, déterminés à maintenir les femmes sous leur joug en de vieux carcans. Mais nous ne céderons pas. Aujourd’hui, si le projet de loi adopté le 6 Mai ne me satisfait entièrement, je pense qu’il constitue une avancée significative qu’il conviendra dans l’avenir de perfectionner.


- Ce texte intervient quelques années après le rejet par le Parlement du premier texte adopté par le gouvernement. Qu’est-ce qui, à votre avis, a décidé le gouvernement à le relancer ? Le récent assassinat de la jeune Khadijettou Oumar Sow aurait-il servi de déclic ?


- Sans aucun doute mais ce drame horrible contre une jeune dame en quête de travail décent pour vivre et aider ses parents n’est hélas pas le dernier dans ce décompte macabre. Jeudi 14 Mai, nous avons appris avec consternation, le viol d’une fillette de 5 ans dans la localité de Bassiknou par un jeune homme âgé de 19 ans qui a avoué son forfait après avoir été arrêté. Nous avons appris également le viol par un officier de police judicaire de Twil sur sa domestique âgée de 12 ans. Et depuis que l’affaire a été ébruitée, le présumé auteur a tenté, par tous les moyens (intimidation, corruption, etc.), de l’étouffer. Mais nous avons appris avec soulagement qu’il a été arrêté et envoyé en prison. Nous en réjouissons et saisissons l’occasion pour féliciter les autorités judiciaires et l’administration, parce que c’est une des rares fois où les auteurs haut placés de tels crimes sont inquiétés. Nous exhortons à persévérer dans cette voie. Et n’oublions pas les cinq filles violées récemment à Nouakchott par un étranger.


Face à cette situation alarmante, le gouvernement ne pouvait rester indifférent. C’est ici le lieu de le remercier, via le ministre de la Justice et garde des sceaux, pour les efforts déployés à faire adopter le texte. Ce faisant, le gouvernement se conforme ainsi aux engagements internationaux auxquels il a souscrit, notamment le protocole de Maputo et le protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif au droit des femmes, du 11 Juillet 2003, qui confère à la femme toute sa dignité. Laquelle dignité est consacrée par la Constitution mauritanienne.


- En quoi ce texte diffère-t-il du premier ? Quelles sont ses forces et faiblesses ?


- Ce texte est très important en ce sens qu’il est spécifique aux femmes et aux filles. Pour la première fois, il définit clairement et entre autres, le viol et le violeur. En outre, il octroie aux organisations de la Société civile le droit d’ester en justice et de se constituer en partie civile. Le texte n’a pas manqué de clarifier les responsabilités et la prise en charge en cas de viol, le droit à l’aide judicaire, indispensable aux couches vulnérables qui peinent à mobiliser les frais de justice (avocat par exemple)... Il faut s’en féliciter. C’est donc un bon texte et je m’étonne que des voix discordantes se soient déjà levées, depuis l’adoption du projet par le gouvernement pour demander son rejet. Curieusement, le contenu du texte n’est même pas rendu public. Cette attitude témoigne de la volonté des obscurantistes à maintenir la Mauritanie dans les ténèbres. Comme je l’ai dit, on peut s’opposer à certains articles du projet mais exiger son rejet en bloc est incompréhensible.


- Depuis que le projet de texte a été adopté, quelques voix s’élèvent déjà pour demander son rejet. Que lui reprochent-elles ? Pensez-vous que l’Assemblée Nationale va l’approuver ?


- Comme je l’ai dit tantôt, nous remercions le gouvernement et le ministre de la Justice d’avoir relancé ce projet de loi pour lequel nous nous battons depuis des années. Nous osons compter sur nos vaillants députés pour doter la Mauritanie d’un texte novateur qui la mettra aux normes internationales. Je suis certain que nos parlementaires, pères et mères de famille, seront très sensibles à ces actes ignobles commis en particulier sur des fillettes. Au nom de toute la Société civile, je lance un appel vibrant à tous les hommes épris de paix et de justice pour demander à notre auguste assemblée de voter ce texte. Cette violence à laquelle nous assistons depuis quelques années peut frapper toutes les familles. C’est donc une affaire de tous et les députés ont une lourde responsabilité.


- En Mauritanie, l’application des textes pose toujours problème. Pensez-vous que les magistrats seront à la hauteur de vos attentes, vous qui n’hésitez point à les critiquer ?


- Nous n’en sommes pas encore là, l’application des textes de lois par les magistrats, c’est une autre étape. Une fois l’adoption par le Parlement acquise, nous allons continuer le plaidoyer auprès des acteurs de la Justice. Comme tous les autres citoyens, ils ont des familles, donc des enfants pouvant tomber dans l’engrenage de la violence que le pays connaît et qui endeuille de nombreux pères et mères. J’ose penser qu’ils ne resteront pas insensibles ; ils accompliront leur mission, en âme et conscience. Pour le moment, il faut tourner nos regards vers nos vaillants représentants. Comme je l’ai dit tantôt, ils ne décevront pas le peuple mauritanien qui attend depuis bien longtemps ce texte de loi.


Propos recueillis par Dalay Lam





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