Cridem

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16-05-2012

04:03

Djibril Zakaria Sall, écrivain, se confesse : 'J’ai été interdit d’écriture en Mauritanie...

 ...parce que j’avais publié dans le Châab un poème satirique'. 

Né le 23 avril 1939 à Rosso en Mauritanie, Djibril Zakaria Sall a roulé sa bosse, jeune élève, à Atar, Dakar et Boghé où il a obtenu, en 1953, son Certificat d’Etudes Primaires. Son Brevet, il l’a décroché en 1958 au Collège Zavier Coppolanni de Rosso, le seul établissement secondaire, à l’époque de toute la Mauritanie.

"Je n’ai pas eu le Bac. Mais, j’ai eu le niveau du Bac", tient à préciser Djibril Zakaria Sall. A partir de 1961, il devient Inspecteur de Police après une formation passée à l’Ecole Fédérale de Police de Dakar.

En 1965, il est nommé par Moktar Ould Daddah Commissaire de Police. Pour les besoins du grade du Commissaire de Police, Djibril Zakaria Sall se rend en France à Lyon à Grigny avant de subir le stage pratique à Besançon. "La ville natale de Victor Hugo", rappelle-t-il avec une pointe de rigolade décontractée.

De 1982 à 1994, Djibril Zakaria Sall a été le directeur du Département des Affaires Sociales et Culturelles de la CEDEAO. Aujourd’hui, il est à la retraite mais il continue à irriguer ses pensées. Entretien.

Cridem : De statut d’Homme de Loi, vous êtes passé à celui d’Homme de Lettres. Certes, on vous connait. Mais, comment s’est révélé en vous la passion de l’écriture qui vous fera connaître en dehors de la Mauritanie?

J’étais commissaire de Police de Rosso quand j’ai commencé à écrire. Alors, Rosso est très importante dans ma vie. J’y suis né effectivement mais j’y suis né littérairement aussi. C’est en 1967, dans le courant du mois d’Octobre, que j’ai commencé à écrire. C’est pourquoi, je dis que l’écriture est un don de Dieu. J’écrivais sans ratures. Je faisais des poèmes. Et, après avoir écrit quelques 25 poèmes, je me suis dit qu’il fallait que j’aille voir quelqu’un, au lycée, pour me dire si ce que j’écrivais était bon ou pas. Je n’ai eu personne. En fin de compte, j’ai pris mon courage entre les deux mains en envoyant les 25 poèmes au Président de la République du Sénégal Léopold Sédar Senghor.

Quelques temps, après, je reçois une lettre pour me dire que les poèmes sont bons mais d’abandonner la rime et de me consacrer à la poésie négro-africaine qui est rythmes et images. J’en ai fait d’autres et j’ai respecté les consignes données par le Président Senghor. Ensuite, je lui ai envoyé d’autres poèmes et il m’a dit qu’ils sont nettement meilleurs que les premiers poèmes que je lui avais envoyés. Il m’a encouragé et m’a dit que c’est en forgeant que l’on devient forgeron.

Cridem : Avez-vous été reçu en audience par lui?

Oui. Mais, bien après avoir publié des recueils de poèmes. Il m’a reçu le 8 février 1978 dans son bureau au Palais de la République. C’était l’époque où Djibo Leyti Kâ était son directeur de Cabinet.

Cridem : Autrement dit à deux ans de son départ volontaire du pouvoir. Que gardez-vous de votre rencontre avec le chantre de la Négritude?

La ponctualité, la méthode, l’organisation de cet homme. Deux mois, avant l’audience, je reçois une carte d’invitation m’annonçant que le Président Senghor me recevra. Quelques semaines après, c’est sa secrétaire qui m’appelle pour me dire de ne pas oublier le rendez-vous. J’étais frappé par l’organisation de cet homme qui avait mis en place le Bureau de l’Organisation et de la Méthode (BOM) qui existe toujours. Le Président Senghor était tellement méthodique. Et le jour où je suis venu, j’ai été reçu par son Protocole. Et, à l’heure pile, c’est lui qui est venu ouvrir la porte pour me recevoir dans son bureau. Son amabilité m’a beaucoup impressionné.

Cridem : Vous qui êtes de Rosso, quelle impression gardez-vous aujourd’hui de cette ville mauritanienne qui donne l’air mourant, cette ville qui a abrité le premier établissement secondaire en Mauritanie?

Cette ville, je l’ai connue. Elle était extrêmement belle. Il y’avait des places publiques partout. Malheureusement, toutes les places qui existaient ont été envahies par des boutiques. Ce qui a dénaturé la ville. Le terrain de football a été envahi par un marché. Il y’avait une place publique très belle avec gazon et fleurs qui a disparu. C’est une compagnie d’assurance qui est aujourd’hui bâtie sur ses ruines. Je ne reconnais plus Rosso. C’était une très belle ville. Mais, aujourd’hui, cette ville où je suis né me fait honte.

Cridem : Je voudrais qu’on parle de littérature, de poésie francophone. Comment jugez-vous la Mauritanie par rapport aux pays de l’Afrique subsaharienne et ceux du Maghreb?

Personnellement, j’ai eu à rencontrer Birago Diop en 1977 à Dakar au moment où je publiais aux Nouvelles Editions Africaines (NEA) mon premier recueil de poèmes Les yeux nus. J’ai eu à rencontrer le poète Amadou Lamine Sall, Ibrahima Sall, Aminata Sow Fall. Ce que je sais, c’est que mes écrits ont été sélectionnés en 1976 au Centre Culturel Français, au Burkina Faso, choisis à partir d’ici par Madame Larosière, à l’époque, directrice du Centre Culturel Français de Nouakchott.

A Grand Bassam, en Côte d’Ivoire où j’étais le directeur du département des affaires sociales et culturelles de la CEDEAO pendant 12 ans (1982-1994), j’ai participé à un concours où on demandait de présenter des poèmes sur l’Afrique du Sud. J’ai sélectionné tout ce que j’avais écrit sur l’Afrique du Sud, Nelson Mandela, Steve Bico et je les ai envoyés. Quelle ne fût ma surprise lorsque je reçois du comité directeur que mes poèmes sont hors concours et qu’il m’invite pour être membre du jury. C’était en 1985.

Mon premier Prix que j’ai eu, je l’ai eu à Lyon en 1972. Il s’agit du concours de l’Ile des poètes. J’ai eu un prix d’honneur pour mon premier recueil de poèmes. J’étais connu à l’extérieur. En Mauritanie, nous avons mis en place le premier bureau des écrivains mauritaniens en 1975. Il y’avait le poète et écrivain Tène Youssouf Guèye qui est décédé à Oualata, Ould Abdel Khadr, Assane Diallo, Ould Anakhwi…A notre époque, il n’y avait pas de distinction entre les mauritaniens. Maintenant, c’est malheureux qu’il y’ait eu séparation.

Cridem : Très peu d’auteurs mauritaniens sont enseignés à l’école. Comment vivez-vous cette situation ?

C’est une situation frustrante. Moi, personnellement, j’avais rangé tous mes porte-plume. Je ne voulais plus écrire. Mais, j’étais encouragé par M. Manuel Bengoecha qui m’a trouvé en 2003 au 5e arrondissement. Je travaillais à cette époque à Atlantic London Gate parce que j’avais déjà pris ma retraite. Alors, il m’a encouragé à reprendre la plume. Il était en train de faire sa thèse de doctorat sur la littérature francophone mauritanienne. Cela a été surtout ravivé par Marie-Pierre Dumas et Mick Gewinner.

Ce trio m’a poussé à récrire. Sinon, j’étais découragé parce que depuis des années, on travaille. L’année dernière, j’ai appris que l’un de mes poèmes est enseigné en classe de seconde. En 1977, j’ai été interdit d’écriture. A l’époque, j’étais directeur de la police judiciaire. J’avais fait passer dans le Châab un poème intitulé Le coup de piston.

C’était un poème satirique. Mes patrons se sont vus dedans. J’ai été convoqué par le ministère de l’Intérieur et il m’a été demandé de ne plus écrire en Mauritanie. Cette situation que je dénonçais en 1977 demeure toujours. Le poète est dans la société. Il est un homme qui observe, qui raconte ce qui se passe dans la société. Il l..Il l’immortalise. C’est un précurseur qui voit les choses venir. A l’époque, quand je parle de l’Apartheid, il y’a des choses qui se déteignent sur la Mauritanie. S’il y’avait la liberté d’expression, on aurait écrit beaucoup de choses. Mais, là, on se soucie du qu’en dira-t-on.

Cridem : Avez-vous le sentiment que les lignes ont bougé ?

Aujourd’hui, il n’y a pas de problème. Il y’a les médias. A l’époque, les journalistes n’osaient pas voir les écrivains. J’ai été une fois interrogé par un journaliste de Radio Mauritanie. Dans son interview, il me demandait : qu’est-ce que c’était l’inspiration ? Je lui ai répondu que l’inspiration, c’est comme une femme en gésine. Alors, quand il a laissé passer, il est venu me voir en courant. Il m’a dit qu’il a failli perdre son poste parce qu’il a laissé passer ce passage. Le journaliste n’était pas libre et l’écrivain non plus. Maintenant, nous avons l’esprit libre, les mains libres, nous pouvons parler et écrire ce que l’on veut.

Cridem : Vous êtes issu d’une époque qui ne connaissait pas les lignes de fracture, les rivalités, les divergences. Comment vivez-vous celle de la Mauritanie d’aujourd’hui ?

Ce que je demande à la jeunesse, c’est de refuser d’importer certaines idéologies. Nous, au collège de Rosso, nous étions à l’internat. Je suis de la promotion du Président Haidallah, du Colonel Louli, Ahmédou Ould Abdallahi des Nations-Unies. Avec eux, nous maintenons toujours cette amitié. La Mauritanie est une diversité positive. Je demande à la jeunesse mauritanienne de ne pas mettre à tirer d’un côté et de l’autre. Certains hommes politiques sont cupides, mus par l’argent. Ils n’ont pas de morale.

Si, vous leur dîtes la vérité, ils essaient d’interpréter très mal ce que vous leur avez dit. C’est malheureux de la dire mais c’est la cupidité qui règne actuellement. J’ai fait toute ma carrière mais je ne possède pas de voiture neuve alors qu’aujourd’hui, un agent en possède une. Au bout de quelques mois, un douanier en possède une, un ministre : n’en parlons pas. C’est ce qui gâte notre société. On court vers l’avoir. En fin de compte, on gaspille les bonnes vertus.

Propos recueillis par Babacar Baye Ndiaye 

 


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