Cridem

Lancer l'impression
13-03-2013

14:42

La gabegie : D’une pratique généralisée à un privilège domestiqué

Si le régime de Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya pratiquait la gabegie à grande échelle, le mal était cependant équitablement bien partagé, alors que sous Ould Abdel Aziz la gabegie est devenue un droit réservé strictement à un cercle restreint de privilégiés. La constatation est du citoyen lambda, tandis qu’à une échelle plus politique, les détracteurs du régime estiment que la Mauritanie n’a jamais été aussi pourrie qu’aujourd’hui.

De l’expulsion manu militari des étrangers en violation des conventions internationales sur la migration, aux « tieb-tieb » institutionnalisés sur le dos des pauvres soldats, en passant par la guerre aux sorcières menée contre toute voix discordante, des hommes d’affaires à abattre...

...aux fonctionnaires débauchés en passant par des officiers mis aux arrêts pour avoir salué un proche de l’autre bord, les cas d’abus excessif de l’exercice du pouvoir, battent en record, tous les excès commis par les régimes d’exception qui se sont succédés en Mauritanie, selon les adversaires du régime en place.

« Le régime a mis masque bas et ne se cache même plus pour voler ». Le constat est des opposants au pouvoir. Lors d’une conférence sur la gabegie sous l’ombre des pouvoirs dictatoriaux, animée samedi 9 mars dernier par les jeunes du RFD, principale formation de l’opposition dite radicale, le vice-président du parti Mohamed Mahmoud Ould Lematt a déclaré que « le trait dominant de la gabegie sous le régime actuel est le transfert des revenus publics vers des comptes personnels ». Selon lui, l’essentiel des ressources de l’Etat viennent des impôts ou des marchés publics délictuels dont la majeure partie est détournée avant d’être consignés sur le budget, pour en cacher la traçabilité.

La gabegie du pouvoir vu par le RFD

Ainsi, le bradage du patrimoine public de l’Etat mauritanien et l’accaparement des richesses minières avant leur enrôlement dans les comptes publics, ainsi que l’argent de la corruption engrangé par le président Ould Abdel Aziz et son Premier ministre, à travers les contrats d’exploitation, constituent un désistement de l’Etat mauritanien à assurer sa souveraineté, explique Ould Lematt.

Cette situation est rendue possible selon lui par la grande pagaille en matière de respect des lois et règlements qui régissent le fonctionnement des institutions. Pour preuve, il cite ce hold-up sur les contrats de partage de production pétrolière qui était du ressort du Parlement, avant que cette prérogative ne soit confisquée par le Premier ministre.

Ainsi, la gestion des ressources échappe dorénavant au contrôle du Législateur mauritanien. Pour le député et vice-président du RFD, la gabegie a atteint un tel seuil d’emprise sur l’appareil de l’Etat que les gabegistes patentés ont été injectés dans l’institution parlementaire, pour former une nouvelle force de pression, à travers l'achat direct ou indirect des consciences.

Le tout est facilité par l’absence d’outil démocratique de contrôle et la violation du principe de séparation des pouvoirs, avec en prime l’empiètement sur la Constitution en dérégulant les délais prescrits pour l’organisation des élections.

Autres griefs qui ont marqué l’intervention de Ould Lematt dans sa diatribe contre le régime de Mohamed Ould Abdel Aziz, l’instabilité politique devenue chronique depuis 2008, la marginalisation des couches pauvres et l’ampleur de plus en plus grand du fossé qui sépare les riches et les pauvres, avec la suppression de la classe moyenne. Ce qui selon lui a entraîné une rupture de confiance de la population par rapport au pouvoir judiciaire, le manque de crédibilité de l’Etat, l’absence de toute force de loi. Un champ fertile où la gabegie a pu s’installer et prospérer, dira-t-il en substance.

Abderrahmane Ould Wedadi, autre figure clé du RFD a fait remarquer pour sa part que la démocratie est un ensemble de valeurs où la probité et la transparence constituent une boussole.

L’utilisation abusive de l’argent public par les détenteurs du pouvoir face à leurs adversaires constituent selon lui, l’un des fossoyeurs de la démocratie, citant en exemple l’utilisation en 2007 des fonds de la société d’électricité pour financer la campagne du candidat des militaires, Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Il citera également le sac qu’a fait subir Mohamed Ould Abdel Aziz à la Sonimex, où quelques 46 Milliards d’UM de ses fonds auraient servi à sa campagne présidentielle en 2009.

Ainsi, pour Ould Wedadi, la gabegie chez Ould Abdel Aziz a atteint des limites non encore exploré, car selon lui sa gabegie a dépassé le budget pour aller détruire directement les ressources, citant plusieurs exemples dont la moindre est selon lui l’accord de pêche avec la société chinoise Poly Hondon, les contrats miniers et le marché de gré à gré des phosphates de Bofal attribué à une société indienne.

Le scandale de l’argent de l’armée

Le dernier scandale en date est celui portant sur un demi milliard d’ouguiyas appartenant à l’Armée et que la fuite du principal bénéficiaire a permis de dévoiler. Il s’agit de l’affaire Abeidy Ould Khoumany, un jeune homme de 29 ans, qui avait libre accès à des fonds militaire qu’il fructifiait puis remboursait, en partageant les bénéfices tirés de leur utilisation.

Le comptable de l’Etat-major, Didi Ould Bouamama, selon des sites d’information, en poste depuis une trentaine d’années, serait ainsi au cœur d’un trafic de blanchiment d’argent appartenant à l’Armée, à travers des Samsars qui faisaient travailler l’argent des militaires et partageaient les fruits du négoce. Didi Ould Bouamama, atteint par la limite d’âge serait ainsi maintenu à son poste, en violation des règlements, par la volonté de certains hauts gradés.

Ainsi, selon les mêmes sources, Abeid Ould Khoumany qui s’est récemment défilé avec 400 Millions d’UM, ne serait qu’un maillon du système mis en place par des officiers qui se seraient enrichis grâce à l’utilisation des fonds de l’armée. Les enquêtes préliminaires avec le comptable auraient révélé que ses relations avec Ould Khoumany et son grand frère, qui posséderait un hôtel qu’il loue à la MCM à Akjoujt, remontent à plusieurs années et que les sommes manipulées depuis lors se chiffrent à plusieurs centaines de millions d’ouguiyas.

Ainsi, grâce aux fonds de l’armée que leur remettait le comptable, les deux frères Khoumany achetaient des équipements et matériels qu’ils revendaient aux sociétés minières, MCM et Taziast. Quand ses deux sociétés honorent leurs factures, ils remboursent les montants « empruntés » empochant au passage des centaines de millions de bénéfices. Les sources de presse révèlent ainsi que le comptable posséderait un hôtel situé à Tiguint qu’il loue à l’armée américaine à 7 millions d’UM mensuels.

C’est lorsque Abeid Ould Khoumany a décidé d’empocher 400 Millions d’UM avant de disparaître, alors qu’il devait le reverser avant le 25 février dernier, que le pot-au-rose fut découvert. C’est une unité de la gendarmerie qui finira par le dénicher aux confins du quartier Aîn Talh, au Nord de Nouakchott, après des courses poursuites et l’arrestation de toute sa parenté.

Toute voix discordante est sanctionnée

Les limogeages d’opposants au sein de l’administration ne se comptent plus. Une dame, qui était directrice dans un des ministères publics, a ainsi été débarquée pour avoir été aperçue au dernier meeting du parti Hatem. Un haut cadre de la BCM a subi le même sort, pour avoir participé à une marche en faveur de l’homme d’affaires Mohamed Ould Debagh. L’avocat de Mohamed Ould Bouamatou s’est vu quant à lui retirer tous ses contrats avec l’Etat et les établissements publics, sur un ordre qui serait venu directement de la présidence de la République.

D’ailleurs, tous les avocats récalcitrants subissent le même sort et ont perdu tout leur contrat avec les institutions relevant de l’Etat. La guerre que mène Mohamed Ould Abdel Aziz contre l’homme d’affaire Mohamed Ould Bouamatou est d’ailleurs décrit comme une croisade publique menée contre un concurrent, avec instrumentalisation de la Banque centrale, du fisc, de la justice et la force de l’Etat.

Tout récemment, deux officiers de la garde, dont le fils d’un ancien Chef d’Etat-major auraient été interpellés pour avoir passé un coup de fil à un proche de Mohamed Ould Debagh. Cela sans compter le retour en force de la torture, malgré l’adhésion de la Mauritanie à la Convention internationale contre les traitements cruels dégradants.

Selon le site adrar.info, la gendarmerie aurait humilié des agriculteurs d’Aoujeft devant leurs enfants et leurs femmes, en les exposant aux rayons incandescents du soleil, pour avoir simplement refusé de payer une redevance communale. Dans le même chapitre, neuf militants du mouvement IRA ont été sauvagement agressés et battus par les forces de police alors qu’ils se trouvaient dans une maison privée à Kaédi. Blessés, ils sont retenus au commissariat central de la vie, en violation des principes élémentaires du droit.

Last but note the least, la ministre des Affaires sociales a tout simplement refusé de rendre visite, à l’occasion de la fête du 8 mars, une exposition de femmes au Village de la Biodiversité, parce que les femmes qui y exposaient leurs produits sont affiliées à des centrales syndicales non répertoriées dans sa fratrie. La marche et le meeting qu’elles projetaient d’organiser ont été également interdites par le ministère public, contre les dispositions constitutionnelles relatives au droit à l’expression, au regroupement et au choix syndical.

Cheikh Aïdara


 


Toute reprise d'article ou extrait d'article devra inclure une référence www.cridem.org