Cridem

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27-06-2014

19:09

Lo Gourmo Abdou, vice-président de l’UFP

« Le candidat élu ne l’aura été que par 20% des mauritaniens en âge de voter ! »

Le taux de participation de 56 % enregistré à l’élection présidentielle du 21 juin est-il une déconvenue pour l’opposition qui a appelé au Boycott de ce scrutin ? Quelle sera l’attitude du Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU) face au pouvoir de Ould Abdel Aziz après ce scrutin ? Réponse avec Lo Gourmo Abdoul, vice président de l’Union des forces de progrés (UFP.)

Cridem : Malgré le mot d’ordre de boycott du FNDU, de l’APP et des islamistes, le taux de participation annoncé par la CENI est de 56%. Est-ce une nouvelle déconvenue pour les boycottistes après 75% de taux aux municipales et législatives ?

LGA : Tout d’abord je vous admire pour votre courage de prendre pour argent comptant ce que déclarent ces messieurs de la CENI. Vous les journalistes vous avez souvent une mémoire très sélective ou très indulgente !

Vous souvenez vous de la cacophonie des chiffres et des taux, lors des législatives et municipales dernières ? Vous souvenez vous de la disgrâce qui en avait résulté pour la CENI, même au regard des partis qui y avaient participé ? Vous souvenez vous encore qu’en violation grossière de la loi, les PV établis dans les bureaux de vote n’avaient pas été donnés aux représentants des candidats, provoquant la plus grosse crise électorale de l’histoire du pays ? Mais que vaut donc ce chiffre de 75 % de taux aux municipales et législatives sans ces PV ?

Pourquoi pas 90 % ! Donc parler de « déconvenue » parce que le pouvoir en place a annoncé le chiffre qu’il a voulu, alors qu’il est maître de la CENI et de ses démembrements, maître des principaux moyens de l’Etat y compris des media officiels et de beaucoup de media officieux, c’est juste une grande erreur de jugement ! Au mieux, cela participe à une légitimation molle, par complaisance, de la néo-dictature en marche.

Personne ne se souvient de ce qui se disait aussi en matière de chiffres électoraux à l’époque de la dictature classique de Ould Taya. Certains des commentateurs actuels sont ceux là même qui nous ressortent les mêmes conclusions de l’époque, concernant les chiffres officiels annoncés par une CENI aux ordres et un Conseil Constitutionnel également aux ordres pire qu’au bon vieux temps tayiste…

Mais revenons aux chiffres même de la CENI. Ils ont annoncé 56% de taux de participation. Avec un nombre de votants de 749865et un nombre d’inscrits de 1328 000.C’est ce que la CENI déclare le 21 juin. Mais, ils ont oublié, ces messieurs de la CENI, que leur porte-parole avait tout aussi officiellement annoncé un nombre d’inscrits supérieur : 1415000 inscrits ! Ils n’ont jamais corrigé.

Ça fait donc un gap de 86978 inscrits, disparus dans la nature, dans l’océan bureaucratique de la CENI, comme les malheureux passagers de l’avion malais. C’est 6% des inscrits qui se volatilisent ainsi. Ce n’est pas un détail car cela ramène ce fameux chiffre de taux de participation à …52,9% ! Et ça, c’est dans l’hypothèse où j’admets qu’il n’y a eu ni erreur ni manipulation de la part de la CENI.

Mais il y’a mieux, M. Diagana. Quand on parle de boycott, on parle d’un appel lancé pour que le peuple ne participe pas à une élection. Le critère de l’échec ou de la réussite sera déterminé par le nombre de participants effectifs (les fameux « votants » de la CENI) rapporté à la fois au nombre d’inscrits et au nombre total d’électeurs dits potentiels ( en âge et en droit de voter dans un pays), inscrits ou non. Que nous disent les chiffres à ce propos ?

D’après la CENI elle-même, le 21 mai 2014, il y’avait 1500 000 mauritaniens en âge de voter mais qui étaient non inscrits (merci les conditions de l’enrôlement et de la délivrance des différents documents par les autorités qui en ont la charge !). Il y’avait 1415138 inscrits. Donc il y’a 2915130 mauritaniens en âge de voter. Combien parmi eux ont voté ? D’après la CENI : 749865 ! Peut-on a priori parler réellement d’une « déconvenue » d’un appel au boycott lorsqu’on a un taux d’abstention aussi spectaculaire (à peu près 1/4 des mauritaniens en âge de voter ont effectivement participé d’après les chiffres fournis par la CENI elle-même).

Un peu plus de 74% d’entre eux n’y ont pas pris part donc. Si on poursuit avec les mêmes chiffres de la CENI, le candidat élu ne l’aura été, avec 81,89 % des suffrages exprimés, que par 20% des mauritaniens en âge de voter ! 20%, ce n’est pas beaucoup, il faut bien le reconnaître.

Je n’ai pas dit que c’est l’appel au boycott qui a produit ses effets. Mais tout observateur honnête peut juger du rôle incontestablement décisif qu’a joué cet appel en ayant à l’esprit, la morosité des tentes vides de la plus fade des campagnes électorales de l’histoire du pays, les dernières manifestations du FNDU à Nouakchott et Nouadhibou et le fort courant de mécontentements qui se développe partout, au sein de la classe ouvrière des grandes cités, dans la paysannerie spoliée de ses terres dans la Vallée, dans les différentes communautés nationales et couches sociales victimes des politiques suivies par le pouvoir à leur égard et même au sein de la grande bourgeoisie d’affaires désormais paralysée par la concurrence déloyale des hommes et femmes du pouvoir qui monopolisent tous les rouages de notre économie nationale.

Tout ça c’est beaucoup. La faiblesse des chiffres de participation à ces élections -mascarade traduit sûrement en partie le mécontentement qui se généralise dans les milieux les plus divers. M. Biram Ould Dah a incontestablement profité d’un vote-sanction même parmi les masses participationnistes, comme naguère M. Sarr Ibrahima. La déconvenue est donc du côté de ceux qui avaient promis le bouleversement des choses, une déferlante électorale qui devait balayer toute l’ancienne classe politique et en apporter une nouvelle. Tout ça finalement s’est avéré être du khroujou !

Cridem : Vous n’avez pu faire échec au coup d’Etat de 2008, Mohamed Ould Abdel Aziz a été élu en 2009. Il entame un second mandat de cinq ans… Ces « succès », finalement, illustrent quoi ? La faiblesse de l’opposition… ?

LGA : L’opposition de l’époque du coup d’Etat, incarnée par le FNDU a lutté avec persévérance et dans des conditions particulièrement difficiles contre le coup d’Etat des Généraux. Souvenez-vous. Le Général avait des soutiens de taille: Sarkozy, au faîte de sa puissance arrogante, Khadaffi au sommet de sa puissance interventionniste, Maître Wade au sommet de son art de la realpolitik cynique, l’UA, l’UE et la Ligue Arabe au sommet de leur pragmatisme sans principes ! Face à tout ça, nous avions qui ?

Personne comme allié, sauf notre capacité de manœuvre et notre foi en la justesse de notre cause. Nous sommes arrivés aux accords de Dakar, épuisés par des mois et des mois de luttes et de tensions mais suffisamment forts pour imposer la fin du putsch, la signature d’accords très favorables à la cause démocratique et le retour à un régime formellement républicain après la libération de M.Sidi Ould Cheikh Abdallahi et son acceptation préalable desdits accords.

Notre principal problème a été d’avoir accepté leur non respect au moment de leur mise en œuvre avec l’élection présidentielle, par excès de confiance en nos forces et en la sincérité des parrains de ces accords ! La suite on y est encore. M. Ould Abdelaziz entame un « second mandat » en s’imposant par la force de l’Etat dont il contrôle toutes les institutions.

Cela même MM. Boidiel et Ibrahima Sarr l’admettent ! Mais sa force est toute relative. L’opposition aussi est faible en beaucoup de points. Mais sa faiblesse est également toute relative ! C’est dire que leur lutte n’est pas près de s’arrêter. Elle continuera et même s’amplifiera dangereusement, avec des risques très graves de déstabilisation et d’interventions de toutes sortes.

Cridem : Que va devenir le FNDU. Il va se remettre au « Aziz dégage » ?

Le FNDU est de création toute récente. C’est un organisme d’une composition sans précédent dans l’histoire de notre pays et même de la sous région. C’est la première fois que la quasi-totalité des forces politiques d’opposition démocratique (au-delà de la COD) s’allient avec toutes les organisations de la société civile et les syndicats les plus représentatifs ainsi que les plus éminentes personnalités indépendantes, dans un même cadre de dialogue et d’action en faveur de la démocratie et du respect des valeurs fondamentales de la démocratie pluraliste et des droits humains.

Cela a une signification historique beaucoup plus importante que le maintien ou non du pouvoir en place. C’est l’avenir de notre pays tel que nous le connaissons qui en est en effet l’enjeu. Depuis sa naissance, vous avez bien vu l’ampleur des mobilisations de masse et la qualité intellectuelle des activités que déploie le FNDU.

Il est clair que si le pouvoir persiste dans sa volonté de mener notre pays à la ruine de sa démocratie balbutiante, le FNDU persistera dans son action et, dans les semaines et les mois à venir, affinera sa stratégie et l’adaptera au fur et à mesure des possibilités réelles d’action de nos masses populaires. Les mots d’ordre ne font pas une politique. « Aziz dégage » était un mot d’ordre de circonstance. S’il s’impose à nouveau il sera repris. C’est le rapport des forces sur le terrain qui en décidera. Voilà tout.

Propos recueillis par Khalilou Diagana


 


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