Cridem

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24-08-2014

19:28

L’amour au temps de facebook (Suite et fin )

Adrar-Info - Elle avait à peine terminé d’écrire qu’un nouveau message de Mohamed lui parvenait : « Mais tu restes mon amie pour l’éternité, malgré ce qui précède… » Alem Alla mahi garre. La source de ses larmes tarit comme par enchantement, remplacée par une rage silencieuse, aussi sèche et froide qu’un hiver mauritanien.

D’un geste saccadé, elle referma l’écran de son ordinateur et se prépara à une longue nuit de colère et de tristesse. Elle pria machinalement l’acha, effectua tous les préparatifs pour dormir d’un air absent, un rictus douloureux au coin de sa belle bouche.

Le miroir lui renvoya l’image d’un visage pâle et tiré, aux traits creusés. Un regard hagard lui mangeait le haut du visage et une ride vint la narguer du haut de son sourcil gauche. Du côté du cœur, songea-t-elle, sans la moindre pointe d’humour.

Un sommeil lourd et sans rêves la cueillit dès que sa tête toucha l’oreiller. Dieu est Clément.

Le lendemain, les premières choses auxquelles elle pensa évidemment furent les mains de laine et le regard de braise de Mohamed. Elle chassa le tout d’un geste vigoureux de la tête et s’immergea avec gratitude dans le lot des gestes quotidiens qui constituent la vie et qui par leur caractère familier la mirent tout de suite à l’aise.

La brosse à dents était à la même place où elle l’avait laissée la veille au soir avant de se coucher. La bouilloire chantait toujours aussi affectueusement sur le feu quand l’eau commençait à bouillir. Les coussins étaient à leur place habituelle et les enfants se chamaillaient comme chaque matin au réveil. En apparence, rien n’avait changé.

Elle poussa un profond soupir de soulagement, vite démenti par un pincement sourd au cœur. Qu’est-ce qu’elle croyait ? Que la bouilloire allait pleurer au lieu de chanter ? Ou que l’eau allait refuser de bouillir ?

Si tout son être était chamboulé, le reste du monde, impavide, assistait à sa résurrection quotidienne. Une nouvelle journée, pleine d’espoir pour des millions de gens sur la planète, amorçait son déroulement, heureux pour certains et tragique pour d’autres.

Le destin en marche, imprévisible et incontournable. Sara devait s’estimer heureuse d’être en vie, en bonne santé, ses enfants, ses parents, toute sa famille, tous ses amis et elle.

Elle fut contente ce jour-là d’avoir un travail aussi astreignant et aussi asservissant que les échéances bancaires. Au bout d’une semaine, elle se dit qu’elle pourrait toujours essayer de vivre sans Mohamed.

Elle eut aussi le temps de se convaincre, en creusant la question de long en large, que leur relation, même virtuelle, – pas si virtuelle que ça puisqu’ils se parlaient au téléphone – n’était pas bonne, vue sous un angle religieux.

Finalement, elle se dit que c’était une bonne chose qu’il ait rompu avec elle et qu’il ne pouvait en sortir que du bien pour tous les deux. Elle aurait peut-être été plus heureuse, arrivée à cette conclusion, si elle n’avait pas continué à souffrir de l’injustice des accusations sans fondement de Mohamed.

Si réellement, elle avait eu une relation avec un autre homme, elle aurait certainement moins souffert de sa décision, à un moment où elle pensait que eux deux c’était pour la vie. Enfin peu importe maintenant. Ce qui est fait est fait. Une autre relation sur facebook, pourquoi pas, après tout.

Cela l’aiderait à enterrer définitivement cette histoire, sans avoir autant mal. « Rien n’efface un homme mieux qu’un autre. » Mais voilà qu’elle se fourvoyait de nouveau ou en tout cas était sur le point de le faire. Surtout qu’elle essayait à l’instant de se féliciter de la tournure qu’avaient pris les événements entre eux et de la fin bénéfique que leur avait finalement réservé le destin.

Sara s’amusait avec certains de ses amis en privé, riait de leur esprit et les faisait rire à son tour, échangeait avec eux des vidéos, des poèmes et les esquivait quand ils commençaient à lui faire la cour.

Mais elle n’avait jamais répondu à leurs avances ni accepté d’être pour eux plus qu’une amie. Et cependant elle aurait dû, elle s’en rendait compte maintenant. Elle avait d’ailleurs failli … Non, elle s’en tiendra à son nouveau sentiment de bien faire, en évitant désormais tous ceux qui recherchaient autre chose que son amitié.

Ce fut ce moment-là que choisit Mohamed pour se manifester à nouveau. Alors que la plaie de son cœur saignait encore et que Sara la soignait tant bien que mal au baume bienfaisant de la religion. Quand on a abandonné quelque chose pour Dieu, il n’est plus permis d’y revenir.

« Je ne peux pas vivre sans toi, écrivit-il. J’ai besoin de ta présence, même virtuelle, d’entendre ta voix, de savoir que tu es toujours à moi. Je sais aussi que tu es innocente de tout ce dont je t’accuse. Je sais par ailleurs que ma jalousie est excessive et sans motif.

C’est un défaut congénital que j’essaye de juguler, mais qui refuse de se laisser faire. Je n’ai que mon amour à présenter comme excuse. Mon immense amour que je ne peux ignorer et devant la force duquel je dépose les armes …. A tes pieds … »


Et voilà ! Il allait tout démolir. Son repentir religieux, les remparts qu’elle avait élevés jour après jour, pierre après pierre, entre la vie et les rêves. Il allait la précipiter dans les bras du bonheur, des espoirs permis, des rêves réalisables. Mais, le cœur en miettes, elle tint bon.

« Notre religion ne nous permet pas d’être plus que des amis, malgré la puissance de nos sentiments l’un pour l’autre ou de mon côté en tout cas. Ma respectabilité, c’est moi qui l’ai détruite, et personne d’autre, toi tu n’as rien fait de mal, absolument rien, tu es un homme merveilleux …

Mon bonheur c’était auprès de toi, donc n’en parlons même plus. Ma volonté est de ne plus pécher, par peur de l’enfer, et j’espère que je réussirai à m’y tenir.

Je veux revivre en paix avec ma conscience religieuse, écrivit-elle encore, qui a toujours été aiguë avant que je ne te rencontre, alors je te demande de ne pas me compliquer la tâche. Je veux aussi qu’on reste des amis, me couper de toi définitivement serait trop cruel. »


Le regard noyé de larmes, – celles-là, elles ne tariront donc jamais, mon Dieu ? – elle lut sa réponse, alors qu’un fer rouge lui fourrageait sans pitié le cœur :

« Je te comprends parfaitement bien. Je respecte ton charisme, tes convictions et les nobles idéaux auxquels tu crois.

Je sais aussi que tu es une femme spirituelle que, sans doute, j’ai mis en mal par mes fantaisies, qui n’étaient que le témoignage désespéré, d’un amour réel, pour le moment impossible….

Je t’aimerai toujours…

Le devenir de notre amour, de notre amitié sera ce que tu en décideras… Je me plie á ta volonté pour que tu vives en paix avec ta conscience… Ton bonheur fait le mien.

Rappelle toi que je t’aime profondément et que je te respecte plus que je t’aime. Je te le jure. »
Ses sanglots redoublèrent. Oh non mon Dieu, ça ne va pas encore recommencer, pitié mon Dieu, faites que cette douleur s’apaise, que ces larmes cessent de couler, je n’en peux plus, je n’ai pas la force de recommencer un autre cycle de désespoir et de chagrin…

En tout cas, c’était bien fini cette fois-ci. Souffre un bon coup, mon cœur et fiche-moi la paix ensuite. Je ne peux pas t’empêcher d’avoir mal, mais je peux faire en sorte que ça ait une fin. Ce message avait paradoxalement remué le couteau dans la plaie.

Le lendemain soir, à bout de force et d’énergie, dhe dhark mahou sawi, n’ayant pas réussi à dormir plus de deux heures d’affilée et ayant passé la journée à travailler comme un automate ou un zombie, elle se connecta et écrivit : « Je ne sais plus ce qu’est devenue ma conscience, cette cruelle bonne femme, je crois qu’elle s’est noyée dans les flots de mes larmes, et bien fait pour elle, en tout cas, comme l’a dit Scarlett O’Hara, j’y repenserai plus tard, pas maintenant (à ce que ma conscience est devenue ou à ce qu’elle deviendra.)

J’ai atteint les sommets du ridicule, brrrrrr, comme ils sont enneigés et froids, mais n’aurais-je pas droit à la chaleur de tes bras. Bonne nuit, que nos rêves nous amènent au même endroit pour qu’au moins une fois, nous puissions nous toucher, nous caresser, boire jusqu’à la lie la coupe débordante de notre passion, nous fondre l’un dans l’autre et atteindre enfin ensemble ce septième ciel dont on entend dire tant de bien lol »


Mais elle ne l’envoya pas et la mort dans l’âme en effaça jusqu’à la dernière trace.

A la place, elle lui envoya ce qui suit : « Je crois que la puritaine et la rationnelle ont définitivement pris le dessus chez moi, je ne conçois plus de continuer dans la voie où je me suis engagée avec toi, le jour où je serai libre je te ferai signe si tu es toujours intéressé, ce qui entre nous m’étonnerait fort, en attendant je vais ramasser les miettes de respectabilité que j’ai semées à tous les vents, en essayant de reconstituer ne serait-ce que le fantôme de la Sara que j’ai toujours connue et que je préfère de loin à celle qu’elle est devenue ou qu’elle était en train de devenir, pardonne moi et restons des amis et des frère et sœur… »

La semaine suivante, alors que la tempête de sable qui faisait rage depuis une semaine en parfait accord avec son âme en déroute connaissait une certaine accalmie, elle fut surprise et un peu inquiète d’être convoquée par son PDG. Belle prestance, les tempes grises, toujours tiré à quatre épingles, tirant des rafales à bout portant de Terre d’Hermès, il fascinait toutes les femmes de la banque et avait le premier rôle dans leurs fantasmes les plus inavouables.

Dès son entrée dans son bureau, il se mit en quatre pour elle. Il l’informa qu’il venait de divorcer et qu’il lui demandait de l’épouser. Sans réfléchir une seconde, elle accepta.

Mon Dieu, il allait la prendre pour une opportuniste, une arriviste, une ‘’coureuse de dot’’. Mais ce qu’il ignorait, c’est qu’elle aurait accepté la demande de n’importe qui. Pour plaire à Dieu et fuir les tentations et pourquoi pas réussir enfin à oublier le sourire merveilleux de Mohamed.

L’expression de Brahim, pleine de gratitude et d’humilité, la rassura quant à l’interprétation par son patron de son empressement à lui dire oui.

Il lui avoua que ça faisait des années qu’il rêvait de ce jour, sans pouvoir se résoudre à répudier son épouse et mère de ses nombreux enfants. Mais comme il sera toujours là pour ses enfants et qu’elle ne manquera jamais de rien, à son âge, ce devait être l’essentiel. Il lui dit aussi qu’il voulait célébrer leur union le vendredi suivant. Ils étaient déjà lundi.

Il n’eut aucun geste déplacé vers elle et elle lui en fut reconnaissante. Aucun signe d’affection non plus, à part le regard d’adoration dont il la couvait et qui finit par l’embarrasser. Elle prit congé de lui rapidement, le rouge aux joues et termina sa journée de travail dans un semi rêve.

Le plus urgent était d’avertir Ahmed. Son regard aussi triste que les signaux d’un navire en détresse lui fut un supplice. Après tout, si elle divorçait, ils pourraient enfin se remarier.

Mais, comment pouvait-elle avoir des pensées pareilles, à un moment pareil ! C’était monstrueux ! Mais allez empêcher vos pensées de vagabonder vers les lieux les plus insoupçonnés, les plus malséants.

Tout aux préparatifs du mariage, elle réussit à classer son amour pour Mohamed quelque part au large de son esprit, au bord des désirs refoulés, à la frontière de son cœur et de ses rêves.

La veille du mariage, alors qu’elle venait d’ôter le dernier sparadrap ornant ses pieds, couverts de motifs au henné, sa sœur Fatis entra, portant un plateau de crêpes fourrées au poulet, quelques fruits et un verre de lait.

Après s’être sustentée, Sara se leva et étira avec plaisir ses bras endoloris. Elle fit ensuite quelques pas pour rétablir la circulation du sang dans ses membres ankylosés par une très longue et inconfortable position couchée. Arrivée à la porte, elle sentit une présence plus qu’elle ne la vit. Intriguée, elle s’approcha de la silhouette et se perdit dans un regard de braise.

Elle rêvait. Elle allait se réveiller. Tout n’était finalement qu’un rêve, dhak elhag, la demande en mariage de son PDG et maintenant Mohamed sur la pas de sa porte.

Mohamed s’était orienté grâce aux indications précises qu’elle lui avait écrites une fois et puis il connaissait très bien le quartier, qui n’avait guère changé depuis sa dernière visite.

Enfin muni de son nouveau passeport – il l’avait obtenu depuis quelques jours, mais comptait lui en faire la surprise – leur rupture n’avait fait que précipiter son voyage de retour, auquel il songeait depuis qu’on lui avait accordé cette satanée nationalité.

Sara s’excusa auprès de Brahim qui cacha sa déception derrière un sourire débonnaire et baissa rapidement les yeux pour qu’elle ne lise pas la peine, qui lui couvrit instantanément les épaules comme une chape de plomb.

Sara n’eut pas besoin d’informer Ahmed qui avait déménagé à l’annonce de son mariage avec Brahim et qu’elle n’avait pas encore revu.

Mohamed et elle célébrèrent leur mariage le lendemain même de son arrivée, pendant que son henné était encore ‘’neuf’’. Ils reléguèrent l’affaire de l’épouse espagnole au second plan, en attendant de lui trouver une solution, trop heureux de se retrouver enfin pour permettre à quoi que ce soit au monde de gâcher ces instants tant attendus.

Fin

Nouvelle de Aichetou Ahmedou repris de son blog : http://aichetouma.com/



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