Cridem

Lancer l'impression
23-01-2016

17:30

Libre Expression. Oumtounsi : Un révisionnisme historique sans valeur

Mohamed El Mohtar Sidi Haiba - Il y a des polémiques qui ne prêtent pas à conséquence. Ce d’autant plus que notre pays fait face, en ce moment, des défis existentiels majeurs pour que son intelligentsia continue de perdre son énergie et son temps à débattre de sujets sans utilité publique.

La montée du niveau de mer menace d’extinction notre capitale et la baisse de nos matières premières, principales sources de revenus pour l’état, grèvent nos finances publiques. Pendant ce temps nos élites, y compris les hommes de religion, continuent de débattre de sujets sans importance.

Le colonel Oumar Ould Beibacar a initié, il y a quelques mois, un faux débat en abordant sous un angle, non sans maladresse, une parenthèse, jusqu’ici peu élucidée, de notre histoire récente.

Cet officier à la retraite peut avoir, certes, lu quelques ouvrages, ou entendu quelques témoignages, sur un pan enfoui de notre histoire. Ceci étant, monsieur Oumar ould Beibacar est tout sauf un historien. Et quand bien même il l’était, il n’est nullement professionnel.

Mieux, cela ne lui conférerait pas systématiquement un blanc-seing pour interpréter, à sa guise, l’histoire ou la réviser selon ses humeurs. D’ailleurs, et comme le savent bien les professionnels en la matière, en Mauritanie, il est pratiquement quasi impossible de faire de la recherche scientifique ou des investigations historiques de qualité. Il n’y a, en fait, ni archives nationales ni données fiables fondées sur des références empiriques (films, documentaires, enregistrements sonores, photographies datées, vestiges conservés etc.), bref il n’y a pas de source matérielle de support pour les chercheurs avides de connaissance, ou soucieux d’établir la vérité.

La tradition orale, souvent à sens unique, détermine encore le mode de narration de notre histoire. Autant dire qu’elle est fondée, pour l’essentiel, sur des on-dit, des comptes rendus personnels épars, des parcelles orales, collectées ici et là, sans filtrage neutre ni recoupement académique autonome. Aucun travail fouillé, se prévalant de l’onction de scientificité, pilier de base de toute recherche de qualité, ne peut, donc, être accompli dans ces conditions. Et si une tentative devait être entreprise dans ce sens, elle devrait normalement être confiée aux spécialistes de ces questions comme Dr. Abdel Weddoud Ould Cheikh et ses pairs académiques ; et ils ne sont pas légion.

En outre, cet officier a, d’entrée de jeu, porté, lui-même, sans y réfléchir, atteinte à la crédibilité de ses arguments en qualifiant des collectivités tribales nationales, présentes sur ces terres depuis des lustres, de « bandes de bandits étrangers ». De tels propos n’ont rien avoir avec l’objectivité scientifique. Ce sont des insultes gratuites, sans justification aucune, à l’égard d’une communauté authentiquement nationale.

L’imprécation ne fait pas bon ménage avec le travail de recherche ; elle est même le contraire du souci de rigueur. Et ce n’est pas parce qu’il avait révélé, avec courage, des vérités, jusqu’ici tues, sur les souffrances de nos compatriotes négro-africains qu’il devait se permettre d’invectiver, sans ménage, d’autres. On n’accomplit un bienfait pour acquérir une immunité en vue de couvrir un méfait.

Quand j’ai constaté ce genre de glissement subjectif dans son premier texte, je n’ai pas lu la suite de ses sorties médiatiques. Elles n’ont, à mes yeux, plus aucune valeur. Ce type de comportement est moralement inadmissible et politiquement insidieux. Il relève d’un chauvinisme primaire fondée sur une vision biaisée et linéaire de l’histoire ; sans égards pour les nuances qu’impose l’impératif d’honnête morale et intellectuelle.

Le révisionnisme bon marché et relativisme outrancier du Colonel O. Ould Beibakar s’accommodent mal des faits historiques. Pire, c’est une insulte à la mémoire de ceux qui ont chèrement payé de leur vie la résistance aux colons français. Sans en exagérer la portée, il y a bel et bien eu résistance en Mauritanie. Elle ne se mesure pas avec l’ampleur des guerres de libération qui ont eu lieu ailleurs où l’intrusion coloniale était plus pernicieuse et les enjeux plus importants. On résiste selon ses moyens et la perception de ses intérêts; et non pour se comparer aux autres ou les surpasser.

Si Oumar Ould Beibar avait juste souligné qu’Oumtounsi relevait du règlement de compte tribal et en avait apporté les preuves empiriques, on ne trouverait rien à redire ! De même s’il avait dit que la notion de résistance était délibérément exagérée à des fins de récupération purement politiciennes. Ce genre de questionnement intellectuel est, en soi, légitime ; on ne peut y objecter. Ce qui est, en revanche, inacceptable c’est de porter atteinte à l’intégrité morale des autres sous couvert d’une recherche de vérité factice ou d’une neutralité académique de façade.

Mieux, l’idéalisation du passé n’est pas l’apanage de la Mauritanie. Toutes les jeunes nations, fraichement sorties du processus de la décolonisation, sans assise étatique ni prolongement historique, ont parfois besoin de créer un support de légitimité mémorielle. Ainsi, fait-on appel à l’histoire pour mieux asseoir une identité nationale en voie de construction. D’ailleurs, toute histoire est auréolée de mythe ; en particulier celle des batailles militaires.

Que ce soit la mémorable Guerre du Péloponnèse ou qu’il s‘agisse de l’épique bataille de Leningrad, aucun accrochage historique, d’envergure ou pas, n’échappe aux excès du sentimentalisme. Celle de la résistance nationale ne fait pas exception à la règle. Personne n’a jamais prétendu que tous les participants, venant du nord du pays, à la bataille d’Oumtounsi étaient tous des saints ou sans reproche. Mais il est absurde de prétendre qu’ils étaient tous des brigands, encore moins des étrangers.

Et personne n’a prétendu que leurs adversaires tribaux du sud étaient tous des traitres, non plus. Cette bataille est un épisode mémorable de notre histoire. Et l’histoire n’est jamais noire ou blanche. Elle est toujours complexe à l’image de la nature des hommes. Toute résistance se termine par des pactes, des armistices, des alliances. Certains ensembles ont déposé les armes avant d’autres, ou ont été militairement défaits par les colons plus tôt. Cela ne les rabaisse forcément. D’autres ont résisté plus longtemps, et tant mieux ! Le temps, l’espace et les opportunités d’engagement déterminent les circonstances, le choix des hommes, leur défaite ou victoire. Toujours est-il qu’ils sont tous les enfants d’une même terre liés par la géographie, le sang, la culture et les croyances.

La résistance n’est pas l’apanage d’une région ou d’une ethnie. Comme d’autres régions, celle du Sahel y a pleinement participé. Elle a à ce titre le droit légitime, comme les autres, de glorifier ses héros, qui sont aussi les nôtres, ou célébrer leur mémoire commune, qui nous appartient tous. Pour qui connait la région et ses hommes, sa culture, ses us et coutumes, son sens de la fierté, associer un homme, aussi illustre que l’honorable Sidi Ould Cheikh Ould Leroussi à un brigand de grands chemins, est non seulement une provocation doublée d’insulte; c’est également une ignorance effarante des hommes de ce coin très cher du pays, de leur sens de l’honneur, de leurs traditions, de leurs valeurs morales.

Le Colonel devrait s’amender de sa turpitude et présenter des excuses. Par ailleurs, confiner Ehel Sahel dans un espace géographique donné (La Saghia El Hamra et le Rio de Oro) c’est, aussi, ignorer la mobilité extraordinaire des hommes du désert, fussent-ils R’gueibat, Oulad Lab ou Oulad Dleim, dont seule la pointe des fusils déterminait, jadis, l’étendue des frontières. Comme leurs cousins bruns de L’est (oulad M’barek), ces redoutables Mohicans sahéliens dont les sabots dévalaient, naguère, les cuvettes dunaires des Hodhs et les plateaux gréseux du Tagant, Oulad Deleim ont marqué, à jamais, de leur présence et vivacité les hauts plateaux du Tiris Zemour jusqu’aux regs de l’Inchiri en passant par la longue façade maritime de Tasiast.

Leur enracinement physique dans ces lieux témoigne, assurément, de leur attachement, sans faille, à cette terre au sol mouvant, et peu amène, où le nomadisme était la norme par excellence.

Enfin, Oulad Dleim et Leleb n’ont jamais été des ennemis et ne le seront pas. Outre leur extraction Hassane qui déterminait, autrefois, leur statut comparable dans la hiérarchie sociale, ce sont des tribus guerrières qui se distinguaient par leur expertise dans le maniement des armes et leur courage, plusieurs fois éprouvé, sur le champ de bataille. Ils pouvaient, certes, s’affronter parfois mais ils se respecteront toujours. Ce ne sont donc pas des adversaires de naissance, mais des cousins lointains ayant eu, a un moment de l’histoire, des intérêts stratégiques divergents. Ni plus ni moins.

D’ailleurs le temps des inimitiés tribales est, aujourd’hui, révolu. On vit, désormais, à l’ère de la citoyenneté civique et de l’égalité des droits. Et Le tribalisme ne va pas de pair avec l’idéal républicain. Pour construire ce pays, encore frêle, il est de notre devoir absolu d’abandonner certaines habitudes passéistes. Le nombrilisme ethnocentrique est, sans doute, un grand obstacle à la cohésion sociale et au développement institutionnel et économique.

Que telle ou telle infrastructure prenne le nom de Mokhtar ould Daddah, ou celle de la bataille d’Oumtounsi, cela ne diminue en rien la valeur de l’homme ou celle de cette bataille historique. Oulad Dleim, Regueibat ou Oulad Lab ne s’offusqueraient pas si l’aéroport était nommé après El Mokhtar Ould Daddah. Et leleb et leurs alliés d’antan reconnaissent, volontiers et sans complexe, la témérité de leurs adversaires lors de cette bataille et ne voient rien de scandalisant à ce que l’aéroport soit nommé après Oumtounsi. Les deux ensembles se respectent mutuellement et reconnaissent, à chacun, ses qualités de courage et d’abnégation. C’est ce que leur dicte leur code d’honneur commun.

Arrêtons de remuer les plaies de l’histoire et vivons au présent pour mieux appréhender les innombrables défis du futur.

Mohamed El Mohtar Sidi Haiba

Chercheur mauritanien basé aux USA



"Libre Expression" est une rubrique où nos lecteurs peuvent s'exprimer en toute liberté dans le respect de la CHARTE affichée.

Les articles, commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.


 


Toute reprise d'article ou extrait d'article devra inclure une référence www.cridem.org