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Diop Moustapha, ex-lieutenant de vaisseau, ancien membre du CMSN et ancien ministre, dans un entretien exclusif :
Le Calame - "Le magistère de Ould Taya a été la caricature dramatique de l’exercice d’un pouvoir qui a été jusqu’à créer un homo mauritanicus nouveau, repu aux auges de la corruption et devenu esclave docile du maître jusqu’à sa chute en 2005"
Le lieutenant de vaisseau, Diop Moustapha, fut l’un des premiers officiers de notre marine nationale sortant de la prestigieuse école navale de Brest. Devenu membre du Comité militaire de Salut National, il sera tour à tour, directeur de la Marine Nationale, directeur de la Sûreté nationale et ministre sous le magistère Haidalla (1980/1984).
Il sera arrêté le 12 décembre 1984 après le coup d’Etat de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya. Emprisonné puis placé en résidence surveillée, il ne sera libéré qu’en 1989 ( ?) et choisit le chemin de l’exil. De retour au pays en 2003, pour soutenir la candidature d’Haidalla à la présidentielle, il échappe de peu à l’arrestation et s’installe en France.
C’est la première fois qu’il accepte d’accorder un entretien à un journal. Il évoque dans cette première partie l’élection présidentielle de 2003, les Grab, ss relations avec Ould Abdel Aziz et avec Ely Ould Mohamed Vall, son compagnon d’armes, le règlement du passif humanitaire, la question de l’esclavage et le dialogue politique. Un entretien édifiant.
Le Calame : Vous vivez en exil en France, depuis 2003, si je me trompe. Vous faites partie de cette cohorte de mauritaniens qui ont fui le pays sous le magistère d’Ould Taya ou vous êtes un réfugié économique comme tant d’autres ?
Diop Moustapha : Avant tout, reconnaissez que c’est vous qui avez fait un torrent de questions dont je vous laisse seul responsable de l’ennui de vos lecteurs. Aussi, donnant-donnant, vous provoquez un océan de réponses !
Pour revenir à votre question, pourquoi n’en seriez-vous pas à des légions puisque vous êtes si obnubilés par les définitions militaires ?
Pour vous dire que je suis arrivé totalement démuni en France après ma fuite (puisque vous utilisez ce terme). Il se trouve que ce pays, lorsqu’il accepte de vous accueillir et vous accorde le statut de réfugié, il vous fait bénéficier de ce que disposent ses propres lois et règlements, en conformité d’ailleurs avec les conventions internationales.
Il veille à un minimum de votre entretien et veille à vos commodités, en actes de solidarité humaine bien loin de ce que vous qualifiez de réfugié économique.
Certains peuvent s’y plaire d’autres, non. J’assimile ces avantages à ce que Le Calame, comme d’autres organes de presse, reçoit comme subventions financières de l’Etat mauritanien et d’autres organisations internationales pour sa survie et le bon confort de son personnel.
Je ne dirai pas de survie économique mais simplement d’assistance à participation de l’exercice de la démocratie, pour ne pas être taxé de diffamateur. Après, vous en faites ce que vous voulez. Quant au statut de réfugié ou d’exilé, des dispositions particulières d’accompagnement s’y rattachent sans que les bénéficiaires ne l’aient demandées.
Cette date de 2003 correspond à une présidentielle à laquelle avait pris part celui que les gens considèrent comme étant votre ami c'est à dire Ould Haidalla. Pour avoir dénoncé les résultats de l’élection, cet ancien président, accusé aussi de tentative de coup de force a été arrêté. Y’aurait un rapport entre cet évènement et votre départ en exil ?
Rectificatif, Ould Haidalla est plus que mon ami, il est mon frère. Vous faites semblant d’ignorer que ma fuite a été concomitante à l’arrestation du candidat Ould Haidalla, dont j’étais le directeur de cabinet, et de la totalité de la direction de campagne.
Encore un rectificatif, la première arrestation du candidat a eu lieu le 05 novembre, veille du scrutin quand le pouvoir a compris que les dés étaient jetés et que la mobilisation dans tout le pays ne laissait plus aucun doute quant à la victoire certaine de la Coalition pour une Alternance Pacifique qui s’était formée autour du candidat indépendant Haidalla.
Il fut libéré le soir même sur protestation de certains chefs de missions diplomatiques qui rappelèrent à Ould Taya, entre autres motifs, que la loi électorale stipulait que le maintien en prison du candidat faisait reporter, sine die, le scrutin.
Je vous avoue que ma réaction première, à Kaédi, d’où je supervisais, pour la Région du Gorgol, le scrutin prévu le lendemain 06 novembre, a été de me rendre aux autorités à Nouakchott.
La réaction de la commission des Jeunes m’en a dissuadé et nous avons alors décidé d’engager une forme de résistance, violente, si nécessaire, pour répondre à la violence d’Etat qui nous avait été faite. Sa seconde arrestation eut lieu le lendemain du scrutin, le 07 novembre 2003. Voilà pour la chronologie des faits.
Pouvez-vous nous dire quelles relations vous avez entretenues et continuez à entreprendre avec cet officier, devenu chef de l'Etat entre 80 et 84 ?
Cette question ne me semble pas d’un intérêt majeur puisque, vous-même dites, que nos relations personnelles sont connues. Malgré tout, je vous rappellerai que mes relations avec le Président Haidalla remontent à 1974 à Nouadhibou, où jeune officier de marine fraichement débarqué de l’Ecole Navale de Brest, j’ai d’abord connu sa famille qui m’avait adopté et ensuite seulement présenté à lui, un an plus tard.
Nos relations, au Gouvernement où il m’avait appelé, ont parfois conduit à des perceptions très subjectives, mais que j’assume. Aujourd’hui, malgré mon éloignement, nous entretenons les mêmes relations, devenues familiales depuis.
Quels types de rapports vous entretenez avec l’actuel président de la République Mohamed Ould Abdel Aziz ? On dit que vous êtes devenu proche de lui ?
Encore « on dit que » ! Vous l’aurez cherchée, alors souffrez que le développement soit long.
Je vais quand même vous rappeler une vérité difficile à contredire. C’est le Président Ould Abdel Aziz, à l’époque Général Président du HCE naissant, qui est devenu proche de moi, pour reprendre votre propos mais que je rectifie en disant proche de nous, nous signataires de la « Déclaration de Dakar ».
Et cela, depuis le jour où, naufragé parmi les naufragés de la Déclaration de Dakar du 14 août 2005, il fut le seul à avoir accepté de faire siens les termes de cette Déclaration, que nous avaient renvoyée à la figure la quasi-totalité de la classe politique à l’époque.
Ce n’est pas si lointain et toutes les contorsions sémantiques, les cris d’orfraie n’effaceront ce douloureux épisode du parcours des signataires du fruit de nos cogitations dakaroises considérées à l’époque comme le summum de la trahison nationale.
Avoir parlé des problèmes de la Mauritanie hors du pays fut considéré par les « biens pensants » comme justiciable de la Haute Cour de Justice et ses tenants comme des pendards juste bons pour l’échafaud.
Ce fut une condamnation unanime, sans recours, à l’exception d’une frange du FONADH conduite par maître Diabira Maroufa qui était partie intégrante de notre délégation. Le vice-président de l’UFP, l’inénarrable et redoutable Lô Gourmo, s’était drapé d’un courage et d’innombrables gris-gris et autres « aya » jusqu’à effectuer, SEUL, un téméraire assaut à notre hôtel pour nous cracher au visage son courroux et sa condamnation, se disant « le porte-parole du pays tout entier » !
On en aurait grelotté de frayeur si des informations amicales ne lui avaient ôté toute idée de vindicte et à en faire un nouvel allié « retourné » ! Il avait alors expressément demandé au ministre sénégalais Gadio de le dire officiellement, à la reprise de nos réunions avec le Président Wade.
Nous lui en avions su gré même si nous doutions qu’il soit suivi par ses camarades de parti ! Dans ce tumulte de lynchage, une voix discordante avait pourtant surgi pour approuver et s’approprier « notre infamie», celle d’un certain Colonel Mohamed Ould Abdel Aziz, membre du CMJD que je ne connaissais que de nom, en sa qualité d’officier supérieur de la famille militaire.
Permettez-moi une petite diversion, pour l’anecdote. J’avais frémi de terreur lorsque la classe politique mauritanienne s’était retrouvée, en 2009, à Dakar avec les mêmes interlocuteurs que nous, le Président Wade et son ministre des affaires étrangères, Ckeikh Tidiane Gadio, sous les lambris des palais nationaux sénégalais…pour déterminer l’avenir de la Mauritanie ! !
Je m’imaginais une grosse fournée pour l’échafaud pour ces « impies » qui osaient aller parler des problèmes de la Mauritanie hors de la Mauritanie avec de vilains étrangers ! ! DIEU merci, la décimation fut évitée par une juste repentance !
Je pense que l’idiosyncrasie du monde politique mauritanien a volontairement occulté ce fait, de façon pernicieuse et d’une redoutable efficacité. De là, une véritable synergie d’efforts, pourtant contradictoires, pour stopper toute velléité de résurgence des termes de la Déclaration de Dakar avait pris forme.
Entre une opposition en quête d’auto absolution pour la « condamnation » de ceux de Dakar et plus tard de supposés soutiens du HCE obnubilés par la « crainte » de voir son nouveau chef continuer à prêter une oreille attentive à ces « étrangers » venus d’ailleurs, s’était alors constituée, de facto, une sainte alliance pour notre rejet.
La dislocation de nos propres rangs, selon des affinités subjectives tribalo-ethnico-parentales fit le reste. Il est évident que notre programme eut beaucoup gagné en accompagnant, dès le début, le seul allié que nous avions alors, le Général Ould Abdel Aziz.
Pourtant, moult venait d’abandonner, au milieu du gué, un si merveilleux texte que voulait porter, dès 2008, le pouvoir insurrectionnel du HCE certes, mais qui demeurait le seul crédible, après les reniements du pouvoir civil de 2007. HCE sur lequel nous pouvions nous adosser et l’aider fortement à poser des jalons indéracinables.
Comme je l’avais pourtant demandé, en vain, dans une lettre en date du 29 novembre 2005, au Colonel Ely Ould Mohamed Vall, alors Président du CMJD. Le HCE, lui aussi, pouvait s’adosser sur nous car nous n’étions demandeurs de rien sinon la prise en charge de la Déclaration de Dakar.
Ce qu’on appelait l’opposition, sans pour autant qu’on puisse en avoir une définition exacte, était traumatisée par un pouvoir qui venait de lui échapper pour la seconde fois et les éternels soutiens de tout pouvoir qui bataillaient pour des positionnements d’une récurrence inouïe, et s’y maintiennent encore, s’attelèrent à nous isoler.
Les premiers, parce qu’ils exigeaient l’hypothétique monopole des revendications nationales et les seconds souhaitaient tout bonnement torpiller toute velléité de réformes en profondeur susceptibles d’ébranler leurs positions.
Et ce qui restait de notre groupe fut pris en tenaille entre les deux. Plus tard, il s’avérera que certains d’entre nous, beaucoup parmi nous, avaient opté pour l’un ou l’autre de ces camps. Ce fut l’enlisement.
Quant à moi, avec quelques rescapés du naufrage de Dakar, nous avions décidé de nous obstiner à accompagner celui qui nous avait fait bon accueil et pris en charge notre bréviaire.
Donc, quand vous dites que je suis proche du Président Aziz, ne soyez pas volontairement réducteur et falsificateur. Bien sûr, le chemin fut rendu difficile, parsemé de coups perfides pour empêcher les réformes voulues. Nous n’en sortîmes pas indemnes certes mais c’est le pays qui a perdu du temps.
Etre ensembles dans une démarche suppose, sans être acteur direct, assumer une coresponsabilité et avoir un droit d’inventaire. Avoir perdu une bataille dans ce fracas de contradictions de notre classe politique n’a jamais fait perdre espoir et l’avenir m’a donné raison sur les motivations d’une opposition qui n’a de souci majeur que son agenda. C’est son droit comme il est du mien de pouvoir ne pas être en phase.
Vous le rencontrez chaque fois qu’il fait halte à Paris ? Et sur quoi portent vos apartés?
Décidément vous êtes bien affirmatif ou c’est votre question qui est mal tournée ? Je n’ai jamais rencontré le Président Ould Abdel Aziz à Paris, puisque nos agendas respectifs n’y ont jamais coïncidé. Par conséquent, nous n’avons, de ce fait, pas pu y avoir des apartés comme vous l’affirmez, même si, comme citoyen, j’en aurais exprimé le désir.
D’autres compatriotes ont pu avoir des audiences avec lui et je pense que cela doit être dans l’ordre naturel des choses puisqu’un entretien avec le Président de la République, qui l’accepte et l’accorde, est le mode de communication le plus approprié pour ceux qui revendiquent une position sur la scène politique, celle des organisations ou encore des mouvements.
Ce mode serait bien plus édifiant que vos « on dit que… » pour s’assurer d’une convergence de vues ou d’une divergence sur celles-ci. Quant à moi, une audience avec le président Ould Abdel Aziz m’est sûrement plus utile d’abord que celle que je peux avoir avec mon hôte, le président Hollande.
Le régime d’Ould Haidalla est qualifié par ses détracteurs de « répressif ». Partagez-vous ce sentiment ?
Vous êtes décidément obnubilé par le régime de Haidalla. Mais comme vous dites vous-même que ce sont ses détracteurs qui qualifient ce régime de répressif. Cela est leur appréciation. Le terme me semble cependant excessif, même s’il y a lieu de reconnaitre que des circonstances particulières ont pu imposer parfois des décisions et actes contestables.
Dans tous les cas, n’ayant jamais démissionné de mes fonctions sous le régime d’Ould Haidalla, j’en assume solidairement le bilan. Et si nous devions en répondre devant notre peuple, par les voies appropriées, nous ne nous y déroberions pas. Pour la plupart, en tout cas.
L’immense coalition qui a soutenu le candidat Haidalla, comme candidat indépendant, alors que moi-même je ne souhaitais pas sa candidature pour des raisons que j’ai explicitées, est quand même significative. A moins que vous soyez dans la certitude que les mauritaniens aient la mémoire courte !
Comprenez-vous pourquoi Ould Taya l’a arrêté au lendemain du scrutin présidentiel de novembre 2003 ? Grab 1 et Grab II étaient –ils des montages ?
J’aurai souhaité que vous rappeliez d’abord à vos lecteurs à quoi renvoient Grab 1 et Grab 2, deux termes barbares jetés à la figure de l’opinion pour un lynchage programmé d’adversaires politiques sur le point de remporter une élection présidentielle.
Pour vos lecteurs, je rappelle que Grab 1 et Grab 2 sont deux documents grossièrement montés pour accréditer une thèse de complot contre la sûreté de l’Etat. Leur contenu rocambolesque, suscité, disaient-ils, par un membre de Conscience et Résistance qui nous soutenait, Mohamed Mahmoud Ould Maaloum, (qui en était innocent aussi) et assaisonné par l’imagination fertilement manichéenne de la DGSN de l’époque et de la Direction de campagne d’Ould Taya, relate les étapes de l’exécution d’une prise de pouvoir par la violence, prêtée à notre camp.
Un scénario violent contre nous et dont nous étions totalement innocents mais qu’a postériori, indiscutablement, il ne m’aurait point déplu de mettre en œuvre, lorsqu’on sait les ravages que l’injuste répression qui a suivi, a causé dans nos rangs.
L’affaire des GRAB I et GRAB II avait fini de convaincre de la redoutable efficacité de la DGSN en matière de désinformation, de falsification et de manipulation des esprits.
Ely Oud Mohamed Vall, le DGSN de l'époque, est votre ami et camarade de promotion. Pensez-vous qu'il soit capable d'une telle machination? Et-ce vrai que c'est lui qui vous a averti de l'imminence de votre arrestation et a facilité votre fuite?
Oui, j’ai toujours considéré le Colonel Ely Ould Mohamed Vall comme un frère et je ne reviens pas là-dessus car vous le savez pour avoir lu la lettre qu’en son temps je lui avais adressée, quatre mois après le coup d’Etat du 03 Août 2005. Certes cette lettre était destinée au Chef de l’Etat qu’il était, mais écrite du fond des tripes d‘un frère sincère.
Ma seule préoccupation était de contribuer à aider à une gouvernance qui ne s’annonçait guère facile et qui ne le serait sûrement pas non plus pour encore de très nombreuses années.
Malgré que je ne fus point audible, je n’en gardais pas moins cette relation particulière jusqu’au jour où, pour des divergences politiques profondes, je lui demandais de ne point se présenter à l’élection présidentielle de juin et de juillet 2009 afin conserver, au moins, cette image qu’on lui conférait de promoteur de la démocratie mauritanienne.
J’avais eu une attitude similaire lorsqu’en 2007 j’avais prié Haidallah de ne pas se présenter. Celui-ci ne m’en a jamais voulu et nos relations n’en ont jamais souffert.
Notre conversation fut sans résultat et je lui confirmais que j’avais souhaité de tous mes vœux un putsch. Un putsch pour sortir de l’insoutenable impasse dans laquelle se trouvaient les institutions de mon pays. Impasse créée par la propre majorité parlementaire du Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, malgré ce que d’autres ont pu en interpréter.
A ces heures-là, les opinions divergent forcément. Je lui confirmais, de Dakar, au cours d’un entretien téléphonique, à son initiative, que je regrettais qu’il ne m’écoutât pas et que je ne le soutiendrai pas, convaincu que j’étais, de l’inopportunité de sa candidature.
Ce fut notre dernière communication car depuis ce jour il rompit les relations avec moi malgré mes mille et une tentatives pour restaurer ce lien fraternel de 50 ans. De guerre lasse et devant ce que je considérais comme une humiliation, je cessais mes appels, à mon corps défendant.
Ceci pour dire que malgré mon infortune avec celui que j’appelais mon frère, jamais je ne tomberai dans la médisance mais nos divergences politiques demeurent intactes. Lorsqu’on revendique une amitié sincère, à plus forte raison une fraternité, il serait infâme de se cacher les vérités auxquelles on croit. C’est ce que je fis.
La DGSN à l’époque avait la particularité d’avoir en son sein la puissante DES (Direction de la Süreté d’Etat, NDLR) et toutes mes analyses me font croire que c’est à partir de cette structure qu’est partie le montage de l’affaire GRAB I et GRAB II. Comme dans toute hiérarchie administrative, le DGSN qu’il était ne pouvait sûrement pas l’ignorer mais n’a fait qu’assumer le « boulot ».
Nous n’en avons jamais parlé sauf sous forme de boutades. En mon âme et conscience, je ne peux penser qu’il ait été l’initiateur de ce forfait puisque je sais que son camp, à l’époque, disposait de tous les artifices pour proclamer vainqueur le candidat Ould Taya et nous neutraliser sans violence inutile. Je m’en étais confié à Haidalla avec lequel je l’avais réconcilié du reste. Mais, peut-être que je suis sous-informé.
Quant à la rumeur qui a voulu faire croire qu’il m’avait informé de l’imminence de notre arrestation, je puis vous affirmer qu’il n’en a rien fait. A-t-il retardé l’ordre de mon arrestation puisque ses services de police m’avaient quand même bien localisé à Kaédi, je ne le crois pas mais cela demeure du possible, je n’en sais rien.
Toujours est-il que j’ai été informé de l’arrestation du Candidat Haidalla et de l’équipe de campagne par le jeune Hacen Ould Lebatt que j’avais désigné Chef du protocole du candidat ainsi qu’un journaliste à Paris qui avait reçu l’enregistrement de la conférence de presse du Procureur général. Le reste vous le savez.
Partagez-vous le sentiment de ceux qui accusent les militaires qui gouvernent le pays depuis 1978 d’y avoir injecté le virus de la corruption et de là mal gouvernance, particulièrement à partir du magistère d’Ould Taya ?
Comme on sait aussi que derrière chaque militaire gravitent des groupes de civils, souvent divergents et même antagonistes dans leurs objectifs, je peux partager le sentiment qu’ensemble ils ont pu injecter le virus de la corruption et de là, la mal gouvernance. J’édulcore mon propos en disant que toute gouvernance civile ou militaire comporte en elle les succès que l’on en attend et les échecs que l’on en redoute.
Le magistère de Ould Taya, comme vous le qualifiez, a été la caricature dramatique de l’exercice d’un pouvoir qui a été jusqu’à créer un homo mauritanicus nouveau, repu aux auges de la corruption et devenu esclave docile du maître jusqu’à sa chute en 2005.
Outre la gabegie, le règne d’Ould Taya a également été marqué par la déportation de milliers de négro-mauritaniens vers le Mali et le Sénégal, mais aussi de nombreuses massacres de militaires négro-mauritaniens dans les casernes. Avez-vous compris comment ces horreurs sont arrivées à la Mauritanie où différentes composantes du pays cohabitaient paisiblement ?
Le règne d’Ould Taya a, lui-même nourri le terreau duquel ont éclos les germes de la haine, de la passion et de la cupidité qui ont inéluctablement accompagné la folie meurtrière et les lubies d’un homme pris dans un délire de destruction.
Cette entreprise n’a pu se réaliser sans la complicité active et passive d’un nombre important. Un homme seul ne peut concevoir, planifier et exécuter une telle entreprise de déconstruction du pays. Hélas, nous vivons dans un pays où nulle autocritique ne se fait et où l’on se confine dans la satisfaction de toujours rejeter ses propres responsabilités à la face de l’autre.
Les uns se sont tus, d’autres ont agi, certains sont restés indifférents, peu se sont insurgés, et la balance a pesé en défaveur des Justes. C’est ainsi qu’est né et a grandi l’homo mauritanicus nouveau. Pour ma part, je plaide coupable, pour avoir été passif jusqu’au moment où le glaive a virevolté si près de mon propre cou.
Jadis, Ould Taya avait fait publier une Livre Blanc sur ce qui est convenu d’appeler les « Evènements ». Certains rédacteurs forcés et repentants d’un tel document témoigneront un jour, je l’espère, comment la réalité des faits a été si dramatiquement falsifiée.
Pensez-vous que les gestes de reconnaissance, la prière de Kaédi, en mars 2009 et « réparations » octroyées aux ayants droit des victimes et rescapés suffisent à panser les plaies et à tourner cette page sombre de l’histoire de notre pays ?
Je pense que les drames soufferts sont autant de préoccupations nationales qui requièrent leur appropriation par chacun de nos compatriotes. Leur dénonciation et la recherche de solutions définitives ne sont l’apanage de quelque groupe que ce soit.
Seul un pouvoir fort, soutenu objectivement, au-delà de toute querelle de chapelle partisane, peut mettre en chantiers les fruits d’une concertation où les victimes, leurs ayants droits et l’Etat (comme partie civile aussi) ont la prépondérance du propos. Hélas l’excessive et honteuse politisation de drames humains, dans tous les segments de notre société, a dévoyé leurs traitements et conduit à de pitoyables récupérations politiques qui ont dénaturé le débat.
Il devient de plus en plus évident que certains agitateurs dans ce pays, toute tendance politique et sociale confondue, n’ont aucun intérêt à ce que des solutions justes et définitives soient trouvées.
Tenir le haut du pavé, avec en bandoulière, le passif humanitaire et l’esclavage tient lieu, pour des autoproclamés leaders aux desseins trop bien avoués, de leur seul moyen de survie politique dans une scène où seuls l’UFP et TAWASSOUL définissent leur choix politique sur la base d’une idéologie.
Les victimes, les ayant-droits ont seuls la latitude de définir avec l’Etat les voies et moyens de panser ces plaies. La communauté nationale, tout entière, a le devoir de les y accompagner et non de se substituer à eux.
Lorsqu’on note le nombre croissant, et souvent antagonistes, d’organisations de déportés, de victimes de crimes extrajudiciaires, de spoliation, qui, pourtant devraient porter les mêmes revendications, on se demande si des intrusions perfides n’y ont pas pris pied et y manœuvrent.
Transformant ainsi ces dossiers en un champ clos de leurs propres luttes de chapelle de « m’as-tu vu politique » de leadership désuet et grotesque. Ceci est un scandale que l’opinion reconnait pourtant mais qu’elle s’abstient de dénoncer, par lassitude.
N’étant pas une victime directe, je me garderai bien de suggérer des solutions mais plutôt de me confiner dans un rôle humble de citoyen concerné par les drames pour aider du mieux que je peux, sous le contrôle exclusif des victimes et de l’Etat régalien, à ce que soient réglées définitivement ces questions.
Règlement dans la sérénité et l’intelligente détermination à ce que seuls les intérêts des victimes soient la garante de la paix sociale. Il y va hautement de l’intérêt de notre pays pour que les gouvernances successives cessent de trainer ces poids qui nous exposent de façon récurrente à l’opinion internationale, à laquelle, que nous le voulions ou non, nous appartenons.
Cette tâche, ne nous faisons pas d’illusion, est inscrite dans le long terme puisque rendue ardue par des forces hostiles, objectivement coalisées, qui poseront des chicanes tant à l’Etat qu’aux victimes désemparées.
Celles-ci ont tout intérêt à se débarrasser de toute influence, à cesser ces divergences suscitées qui les nuisent pour enfin être unies pour le même but et demeurer seules, en conclave avec l’Etat pour offrir à la communauté nationale la joie de voir les peines apaisées.
L’Etat a reconnu les faits posés et la prière de Kaédi en était la manifestation car, tout de même, on n’effectue pas la prière de l’absent pour des faits contestés et à ce que je sache, elle était le prélude aux débats avec les victimes elles-mêmes.
Seules les victimes et leurs ayant-droits ont qualité pour définir ce qui leur parait acceptable ou non acceptable. Toute immixtion externe y introduit des manipulations « profitables » aux seuls intérêts politiques de ces « conseillers » qui veulent à tout prix s’accaparer du dossier et même, à la limite, bouter dehors les concernés. Certaines organisations s’en plaignent mais sont envahies et embrigadées.
Hélas, les intrus qui ont été jusqu’à s’arroger le droit de définir qui est victime ou non et qui ont créé des dissensions au sein des organisations ad hoc, ont facilité la tâche de tous ceux, de tout bord, qui veulent torpiller les solutions.
Ce ne sont pas les envolées sur les réseaux sociaux ou autres qui atténueront, dans leur conscience, cette responsabilité. A la limite, une grande majorité de soi-disant activistes s’en fiche, l’essentiel, pour eux étant seulement de se faire lire le temps d’un buzz électronique où l’injure et le commérage sont légion. Hélas, le web est peu accessible à la grande majorité de nos concitoyens et ce dialogue de sourds est réduit à une espèce de Café du Commerce.
Il faut quand même aussi reconnaitre l’engagement de beaucoup, sans connotation politique, sans tambours ni trompettes pour apurer ce dossier et bien d’autres de façon juste.
Parmi les dossiers qui alimentent les débats en Mauritanie il y a l’esclavage et/ou ses séquelles dont l’un des pourfendeurs, Biram Dah Ould Abeid croupit en prison depuis plus d’une année. Que pensez-vous du combat que mènent les abolitionnistes alors que l’État a criminalisé l’esclavage ?
Si l’on devait considérer la chronologie des actes conférant une légitimité certaine à la lutte contre l’esclavage, il serait objectif de reconnaitre que l’Etat, dans sa continuité, a toujours été à l’avant-garde de l’abolitionnisme. Les lois criminalisant l’esclavage qui en ont été l’aboutissement devraient consacrer la fin définitive de ce fléau qui bafoue la dignité des personnes et assombrit l’image de notre pays.
Elaborer des lois et institutionnaliser des cours de justice dédiées est une reconnaissance sans équivoque de ce mal. Le combattre devient dès lors une affaire qui concerne chacun d’entre nous. Toute défaillance dans la chaine de responsabilité peut et doit être dénoncée. Nul ne peut s’approprier l’exclusivité ou le monopole d’une cause aussi universelle que celle de la lutte contre l’esclavage.
Il est vrai que des démembrements de l’Etat freinent des quatre fers pour rendre inopérantes les grandes décisions qui devraient en finir avec l’esclavage. Je regrette profondément que l’Etat, depuis 1981, et les organisations des droits de l’homme qui ont suscité l’abolitionnisme, n’aient pas pu coopérer dans une complémentarité plus que naturelle.
Là aussi, comme à l’accoutumée, des postures exclusives de revendications ont amené, curieusement, les parties à être plus antagonistes que partenaires dans le même combat. Les abolitionnistes auraient dû être le fer de lance de l’Etat pour la stricte application des dispositions légales prises.
Il est connu, sous nos latitudes, qu’un Etat légifère mais l’applicabilité connait toujours des embûches de toute nature. Aussi, dans une synergie d’efforts, tous peuvent et doivent contribuer à ce que force soit l’apanage de la seule Loi. Hélas, des contingences que je ne peux comprendre, ont fait que ceux qui devaient être des partenaires naturels, l’Etat et les organisations abolitionnistes, se sont affrontés. Et le pays y perd encore.
C’est dans ce contexte que monsieur Biram Dah Ould Abeid a créé et dirige son mouvement avec une stratégie qui est la sienne et dont les méthodes ne me paraissent pas les meilleures pour être efficaces dans l’apport pour une mise à exécution des Lois.
La candidature à la dernière élection présidentielle de monsieur Biram Dah Ould Abeid laisse supposer qu’il a un agenda qui ne lui permette pas tout simplement d’être partenaire avec le législateur, sous toute forme que ce soit, la méfiance étant érigée en règle. Toutefois, cela découle de ses choix comme chacun, dans ce pays, a ses choix, ses convictions et son parcours. Je regrette toutefois que les actions qu’on lui reproche l’aient conduit en détention lui et ses compagnons.
Mais comme il s’agit d’une décision de justice, je me garderai bien de la commenter mais je peux exprimer le souhait que par des dispositions légales qui existent aussi, l’autorité l’élargisse, lui et ses compagnons. Votre vision de la démocratie à laquelle je suis astreint m’oblige au respect des institutions. S’il devait en être autrement, avisez-moi à temps.
Vous vivez certes loin du pays mais vous suivez certainement les « tensions politiques » qui s’y passent entre le pouvoir et son opposition. Comprenez-vous pourquoi le gouvernement de Mohamed Ould Abdel Aziz et son opposition dite radicale (FNDU) peinent, depuis 2009, à nouer ce qu’ils appellent « un dialogue inclusif, franc et sincère » pour sortir le pays de cette tension politique ?
Je pense qu’il serait plus juste de dire « ses oppositions » tellement il y a un trop plein de chapelles qui s’entredéchirent pour revendiquer l’exclusivité de la représentativité populaire ! Mon DIEU ! Il y a peine à nouer un dialogue et il y aura grand peine à nouer « un dialogue inclusif, franc et sincère », comme vous dites, entre le pouvoir et ses oppositions, si tant est d’abord que l’on puisse savoir quelle est la qualification exacte de cette Opposition !
D’un côté, nous avons un pouvoir connu puisqu’il est l’émanation d’un scrutin où le peuple a eu à s’exprimer ; or chaque groupe de cette multitude de coalitions revendique, pour lui seul, la représentativité populaire sans que l’on ait des jauges pour mesurer la représentativité de chacun. Et il est indispensable que nous le sachions, malgré les dénonciations récurrentes des modes et résultats à chaque scrutin !
Personnellement, ce dialogue ne m’engage pas, n’étant pas un acteur politique investi de quelque légitimité qui soit. Toutefois, il y a cette interrogation à laquelle j’aimerais trouver réponse. Même si vous me qualifiez de réfugié économique (terme insultant et méchant quand même de votre part) je demeure aujourd’hui un mauritanien lambda avec droit de savoir.
Des élections dans un calendrier constitutionnel ont eu lieu malgré le boycott de certains partis et le scrutin a tranché entre des candidats, auxquels on devrait arrêter de faire l’injure qu’ils ne seraient pas représentatifs d’un électorat et qu’ils ne sont que des faire-part.
Curieusement ceux qui les accusent de ne rien peser, sont les mêmes, jadis, lorsqu’ils évoluaient dans les mêmes partis, avant leur rupture de banc, nous tympanisaient pour nous faire comprendre qu’ils étaient pourtant de grands électeurs, représentatifs de franges importantes de la population ! Dès qu’ils ont claqué la porte de leurs partis originels, ils seraient devenus, subitement, non représentatifs, incapables de mobiliser deux tondus et trois pelées ? Ceci est d’un ridicule décapant !
Pourtant, certains parmi ces candidats ont acquis nombre de conseillers municipaux, de maires, de députés et de sénateurs. Les tenants de ce déni, s’octroyant la qualité de seuls dépositaires de légitimité devraient revoir leur copie car la légitimité doit nous être prouvée par une adhésion élective et non par de fracassantes déclarations devenues monotones et ne font plus sourire.
Quelle que soit la contestation post-électorale, il a été reconnu, même au-delà de nos frontières, que les scrutins locaux et présidentiel se sont déroulés dans des conditions légales et dont les résultats étaient conformes aux normes en vigueur. Un président a été investi, les communes et l’Assemblée Nationale installées.
A ma connaissance, le président de la République nouvellement élu l’a été sur la base d’un programme qui a été préféré aux autres mis en compétition à la sanction populaire. L’application de ce programme scelle le pacte entre lui et les électeurs auxquels il a obligation de rendre compte à la fin de son mandat.
Peut-on dès lors, imaginer, sous l’injonction de partis dont les programmes n’ont pas été approuvés ou tout bonnement volontairement absents de la consultation, que ce programme élu puisse être abandonné pour la satisfaction de partis qui se sont auto-exclus du jeu démocratique ? Quelle exigence peuvent-ils exprimer pour un gouvernement de consensus ou d’union nationale pour un programme dont ils ne sont pas partie prenante et pire, dont ils ne se reconnaissent même pas.
Même si cette idée de consensus gouvernemental a été vite abandonnée, il reste que ces partis exigent, avec leurs préalables et conditions, la tenue d’un dialogue avec le pouvoir élu. De mon point de vue, nous sommes en passe d’établir une République des partis où on fera fi des choix exprimés par les scrutins et où, dans la douceur des salles du Palais des Congrès, on assassine le choix des électeurs.
Quel que soit ce qu’on pense de ce choix, il doit être respecté. La seule façon de le faire changer est d’en convaincre l’électorat par une consultation démocratique et non par des conciliabules en catimini, entre copains et coquins. Ou alors le faire en trompant le peuple, avec beaucoup d’humilité et non avec grande redondance.
Propos recueillis par Ahmed Ould Cheikh et Dalay Lam