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20-09-2016

18:16

Métis de Mauritanie : Entre rejet, crise identitaire… Et espoir de renouveau !

Adrar-Info - Série de rencontres, et de portraits de métis mauritaniens. Certains aussi, douloureusement confrontés à l’intolérance récente qui touche la Mauritanie, et pourtant inhabituelle de l’histoire du brassage inter-communautaire qui jalonne les rencontres des cultures dans le Sahel, et en Mauritanie en Particulier.

Pourtant, l’histoire récente (pré-indépendance) et même antérieure à la colonisation française, est jalonnée de relations inter-ethniques métissées.

« Que ce soit pour des raisons d’alliances objectives entre grandes familles toucouleures, Soninkés et mauresques; ou des raisons purement sentimentales » avançait le sociologue Cheikh Saad Bouh Kamara, interrogé sur la question il y a un an.

Réactions et photos.


Mohamed Kane. Crédit : Mamoudou Lamine Kane

Mohamed Kane, étudiant en école de commerce à Marrakech

Fils de N’Diaye Hussein Kane, lui-même métis pulaar et maure, médecin-colonel à la retraite, et de Fatou Diakhité Kaba, dont la mère mauresque, Rayan, comme celle de N’Diaye Kane, Oulad Nassr, est issue de la région d’Aïoun.

Dans un tel cadre déjà métissé à la naissance, Mohamed a naturellement grandi sans le poids d’un regard intolérant. «Le métissage berce ma famille; j’ai des origines maure, pulaar, wolof et même soninké, vu que le père de ma mère est un soninké originaire de Nioro. Même du côté de ma branche maure, la tolérance a toujours été de mise» raconte le jeune étudiant.

«Il y avait des piques affectueuses, mais cela n’était que cela, comme entre cousins à plaisanterie. Ma grand-mère maternelle m’appelle encore aujourd’hui «kowriya» (le petit noir- ndlr), et certains parents pulaar m’appelaient «tchapteel»(le petit maure)» se souvient amusé Mohamed. «Le métissage définitivement EST, un pont reliant deux mondes, pour créer un univers totalement nouveau, encore plus riche» conclut-il.


Momme Ducros. Crédit : Mamoudou Lamine Kane

Momme Ducros, chargé de la communication à l »organisation internationale pour la migration

Français par son père, et maure par sa mère, Momme Ducros, micro-blogueur, et chargé de la communication à l’OIM, sait bien ce que veut dire « métis » en Mauritanie. Surtout quand une part de son identité est liée à celle de l’ancien colonisateur. Il souffre encore, et régulièrement, des remarques liées à son métissage dans son propre pays:

« Il ne s’agit pas vraiment de rejet mais d’un mépris, avec une connotation liée au passé colonial. On me fait des allusions à peine voilées par rapport à cela. Même dans le monde professionnel, Je fais mine de ne pas entendre de mauvaises idées dites sous cape. Du genre : « Compte tenu de ses origines, certaines tâches devraient échoir à des pures souches ».

Idem pour les demandes de mariages, de manière diplomatique on te reproche tes origines. J’ai été gentiment mais fermement éconduit par rapport à cela. J’ai entendu le terme « Nessrani » (Nazaréen, en terme péjoratif, avec une connotation religieuse liée à la mécréance- NDLR) utilisé à mon égard » dit-il amer.

«Beaucoup de métis, mauro-français notamment, pour éviter le rejet de leur partie mauresque, sombrent dans un extrémisme identitaire tribaliste, et culturel; remarquez: les plus fervents défenseurs d’une pseudo-arabité sont les métis!» note Momme.

«Quand on me demande ma tribu, je réponds «mauritanien». Ca choque, mais on doit pouvoir commencer à s’identifier à une nation, sans renier ce qu’on est. Ici, quand on assume son métissage, on se fait traiter de «complexé». Et paradoxalement, les métis de ce pays, la plupart en tout cas, et la part de ses fils ouverts d’esprit, sont ceux qui défendent le plus l’idée d’une Mauritanie unie, et fraternelle!» affirme le micro-bloggueur, avant de conclure: «L’absence d’un projet de société commun, transcendant les communautés a favorisé cette déviance identitaire. Les entités tribales notamment sont un frein au développement de ce pays».


Béchir Malum. Crédit : Mamoudou Lamine Kane Béchir Malum, peintre-sculpteur-photographe

Un des artistes les plus polyvalents de sa génération. Si ce n’est le plus polyvalent. Une ouverture d’esprit qui n’est qu’une «facette héritée du métissage de sa généalogie». De père mauritanien beydane, et de mère libérienne, il quitte le Libéria ravagé par la guerre civile avec ses deux frères.

«J’arrive en Mauritanie à 15 ans, où on m’envoie directement chez ma grand-mère maternelle à Tintane d’où vient mon père; l’intégration au sein de la cellule familiale a été facile, mais en dehors de ce cocon protecteur, j’ai tout le temps eu ce sentiment de rejet. Cela a été renforcé par le fait que je ne parlais pas hassanya! Et on me le reproche encore ! Comme si c’était une condition sine qua non pour être mauritanien» se souvient l’artiste.

Sa plus grande fierté? «Quand je vais exposer à l’étranger, et qu’on parle d’un artiste mauritanien, là mon métissage s’efface et je suis une nationalité, ce que je ne suis pas dans mon propre pays» raconte Béchir.

Ce syncrétisme de son identité, Béchir Malum la recherche également dans son travail artistique. «Depuis mes débuts, je ne veux pas de frontières visuelles, culturelles, de style, dans mes œuvres. Je ne veux pas qu’on dise «ha ça fait peul, ça fait occidental, ça fait ci, ça fait ça! Je veux juste qu’on dise «c’est le travail de Béchir Malum, un artiste mauritanien».


Mariem Mint Derwich. Crédit : DR

Mariem Mint Derwich, chroniqueuse et poétesse

Fille aînée de Brahim Ould Derwich, et d’une française, Chantal Rafart, Mariem est une métisse mauritano-française qui a beaucoup « souffert », dans sa lignée mauritanienne, de ce métissage. Des croisements de destins à peine tolérés dans un pays qui s’enorgueillit de son « islam de tolérance » et rejette de facto le plus souvent ses enfants avec une part d’ailleurs ou de différent. Mais aujourd’hui elle estime avoir « réglé » cela :

« Je suis issue d’une autre Mauritanie, celle d’avant 1975. Cette date marque l’entrée en guerre de la Mauritanie contre le Front Polisario. Pour moi il y a eu un avant, celui des lendemains des Indépendances et celui d’après 1975. Je suis née dans une capitale qui se construisait à la force des volontés politiques, dans une Mauritanie qui avait l’espoir de futurs meilleurs, où tous ses fils et filles, de quelques ethnies qu’ils soient, se sentaient citoyens d’une même et seule Nation.

Quand je me retourne sur ces années, je me dis que nous n’avons rien « gagné », que nous avons perdu l’héritage des Pères Fondateurs de notre pays. Que la Mauritanie actuelle n’est pas « jolie jolie », c’est le moins que l’on puisse dire. Que la Nation Arc-en-Ciel, pour paraphraser Nelson Mandela, a perdu de ses couleurs.

Que les mauritaniens ne vivent plus ensemble mais côte-à-côte, chaque communauté observant l’autre avec méfiance » développe tristement et longuement Mariem Mint Derwich. Une « méfiance » qui a mené à ses yeux au repli communautariste, et au rejet de l’Autre, à sa non-rencontre. Rejet marqué par un mépris presque ouvertement affiché des métis, à qui d’ailleurs légalement et officiellement l’état mauritanien ne reconnaît pas la double nature culturelle et originelle.


Alassane Diakhité. Crédit : Mamoudou Lamine Kane

Alassane Diakhité, coordinateur humanitaire à l’ambassade US

«Il n’y a que le sable de «pur» en Mauritanie» dit d’emblée Alassane Diakhité au détour d’une conversation sur les complexes identitaires qui nourrissent certaines idéologies racistes du pays.

Métis de parents eux-mêmes métis, Alassane a usé de ses origines multiples pour cultiver une tolérance à toute épreuve. «Mon grand-père paternel est originaire de Bandiagara au Mali, et ma grand-mère paternelles vient de Rachidiya au Maroc; quant à ma mère elle est de l’Assaba, à Tidjika, vivier de métissage et symbole de tolérance» explique Alassane.

«J’ai parcouru, 20 ans durant la Mauritanie, dans tous les sens, dans le cadre de mon travail. La principale observation que j’ai faite, c’est qu’il y a une unité de culture, de tolérance incroyable. C’est récemment seulement que les barrières communautaristes sont arrivées, et que le métissage apparaîtrait presque comme une hérésie» dit le coordinateur.

D’ailleurs, fait-il remarquer, comme Momme Ducros, «les chantres de la pureté sont la plupart du temps, les plus métissés d’entre nous, mais n’ont malheureusement pas réglé la question de leur identité multiple, qu’ils devraient enfin embrasser comme quelque chose de positif, car enrichissant».


Malika Diagana. Crédit : Auto-portrait

Malika Diagana, photographe-infographiste

Fille d’un soninké, et d’une cap-verdienne, Malika Diagana promeut la diversité culturelle et le métissage dans ses photos retouchées, où elle se met elle-même en scène. «On a une chance de faire partie d’un pays multiculturel. Il faut s’en rendre compte, s’en imprégner littéralement et façonner les générations à venir dans ce creuset du multiculturalisme et du métissage. C’est la seule voie de paix possible. Sinon l’abcès des tensions communautaires ne crèvera jamais» martèle l’infographiste.

«L’unité nationale, ça ne se décrète pas comme je l’entends à longueur de journée des bouches de nos politiques. Ça se travaille, tous ensemble, chacun à son niveau, avec les moyens en sa possession» argue la trentenaire.

«la déliquescence morale du milieu politique mauritanien m’a rendu apolitique, et surtout pessimiste sur la volonté de ces gens de changer les choses. Mais des structures parallèles, rassemblant des éléments de la société civile, ou/et de la culture, peuvent et ont les moyens de changer ces choses, en s’investissant notamment dans les problèmes les plus essentiels, comme celui des enfants en échec scolaire, laissés à leur propre sort, ou celui de l’unité nationale» affirme enflammée la jeune infographiste.


Aichetou Fall. Crédit : Mamoudou Lamine Kane

Aichetou Fall, athlète et étudiante

Elle était un des deux représentants mauritaniens aux jeux olympiques de Londres en 2012. Elle portait le drapeau jaune et vert, au rassemblement sportif, et peut-être humain le plus vu au monde.

Le destin, en clin d’œil aux esprit étriqués de ce beau pays, a fait que le fier porte-étendard mauritanien, était une jeune métisse d’alors 19 ans. Ce que la coureuse de 800 mètres rappelle, non sans ironie : «Je suis fière d’avoir été la représentante de la Mauritanie aux JO de Londres, et de montrer au monde ce que la Mauritanie est réellement : un pays au métissage infiniment plus riche et mélangé pour le meilleur, que les fanatiques de l’identité «pure» malmènent» affirme passionnée Aichetou.

«Mes parents sont eux-mêmes des métisses; des deux côtés j’ai des origines maure, wolof, soninké et pulaar, de Saint-Louis, à Boutilimit, en passant par le Mali. Donc j’ai naturellement grandi dans un cadre de tolérance et de respect d’autrui, ou la valeur d’un individu réside dans ses actes, et non dans ses origines» continue la jeune femme. «Je ne vois donc jamais en premier lieu la peau de mon interlocuteur, mais ses idées, son sourire, ou son arrogance» sourit amusée l’athlète.


Chehida Mint Boyrick. Crédit : Mamoudou Lamine Kane

Chehida Mint Boyrick, directrice d’agence bancaire à Paris

Métisse de plusieurs cultures, et plusieurs communautés, bambaras, marocaines, maures, wolofs, et bien d’autres, Chehida a fusionné celles-ci et les arborent comme identité, telle que sa grand-mère, affectueusement appelée «Yaye» (mère en wolof et pulaar) l’avait fait, avec ce tatouage bambara (Djamou-ndlr), sur le menton, pour montrer malgré sa blancheur, la présence et la profondeur de ses origines ouest africaines.

Une multiplicité de facettes culturelles, de rencontres, qui l’incite comme sa grand-mère à ne pas juger, et à nouer facilement contact. Cette ouverture d’esprit a incité beaucoup de ses rencontres à réévaluer leur vision de l’islam, des musulmans. «C’est une de mes fiertés : à mon niveau d’avoir montré à travers mes rencontres, une autre face de l’islam, que l’on n’évoque pas particulièrement souvent en France» estime la jeune femme.


Cheikh Saad Bouh Kamara. Crédit : Mamoudou Lamine Kane

Cheikh Saad Bouh Kamara, sociologue et essayiste

«Je suis un métis dans tous les sens du terme: physiologiquement, je suis pulaar par mon père, du côté de Maghama, et maure par ma mère, Idawali à la frontière du Tagant et de l’Assaba. Mais culturellement aussi je suis métissé: j’ai grandi dans une famille wolof à Rosso, chez Babacar Fall, père du grand éducateur qu’est devenu son fils Thierno Fall, fondateur des écoles Al Baraka; et j’ai un patronyme soninké. Je me vois fièrement comme un creuset vivant de la plupart des communautés mauritaniennes; je parle également toutes leurs langues» résume le professeur Cheikh Saad Bouh Kamara.

Une narration d’autant plus passionnée que le sociologue était alors dans la famille d’accueil «la fierté» de celle-ci, grâce à ses résultats scolaires, qui le plaçaient toujours en tête de sa classe.

Mais rappelle l’essayiste d’une dernière réflexion optimiste sur le continent (Afrique : Espérance – Éditions Harmattan), «On est métis par sa posture et son engagement: Je me sens maure parmi les maures, et pulaar parmi les pulaars, et même wolof parmi les wolofs; le métissage fait qu’on peut aisément s’identifier à Autrui.

C’est pour cela que je déteste les métis qui n’ont pas réglé cette question, et qui se sentent obligés de choisir un côté ou un autre! Ce sont d’ailleurs les plus intolérants dans le pays»
s’enflamme monsieur Kamara., qui conclut:

«Le métissage doit rapprocher les communautés. En ce sens, il faut rééduquer les citoyens, dès le primaire, afin de leur inculquer d’abord et enfin, le sens de la patrie, qui fonde tout le monde sur un pied d’égalité».


Ndeye Sow Mint Sidi. Crédit : Mamoudou Lamine Kane

Ndeye Sow Mint Sidi, journaliste à Al Wataniya

De mère peule et de père maure Oulad Beyri de Boutilimit, la jeune journaliste a mis longtemps avant d’emprunter la particule de son père. «Ce n’était pas par complexe, mais mon histoire personnelle avec mon père est quasiment forgée dans le néant. Je n’ai connu jusqu’à très récemment que la famille de ma mère. J’ai été élevée exclusivement selon ses valeurs à elle» explique-t-elle. «Mais j’ai commencé à assumer mon nom et mes origines depuis mes années d’étudiante à Dakar, sur les conseils de ma mère, mais aussi par la force des choses liées à la maturité que la vie nous inculque» continue Ndeye Sow Mint Sidi.

Un côté paternel absent, un hassanya moins bien parlé que l’arabe qu’elle maîtrise, ont tout de même permis à Ndeye de garder une ouverte d’esprit, et une absence de jugement de son prochain à l’emporte-pièce, fondé sur les apparences frileuses de l’origine. «J’ai tissé des liens avec toutes les communautés de ce pays.

Le constat malheureux que j’en tire, est qu’une proportion importante de TOUTES les communautés de ce pays sont assez intolérantes, voire racistes vis-à-vis d’autrui. Sa culture, sa communauté serait supérieure aux autres. D’où le peu de métissage aujourd’hui. Il y a une part d’appréhension liés aux évènements de 1989, mais c’est un fait qui est là» développe-t-elle.


Abdel Malik Fall Elemine, AKA Overdoz. Crédit : Philippe Panzini

Malick Fall Elemine, DJ Overdoz, rappeur

De mère cap-verdienne installée depuis l’indépendance en Mauritanie, ayant également des racines portuguaises et chinoises, et de père maure Tejekhan et Tentka de Boutilimit, avec des racines également Harratines, Malik Fall fait partie des métis qui ont eu du mal à être accepté dans cette richesse des origines. «La société mauritanienne m’a très difficilement accepté; rien que nos prénoms par exemple.

J’ai eu plus de chances en m’appelant Malick, que mes sœurs prénommées Maria ou Caroline. Mais j’ai vu des regards d’incompréhension devant ma dégaine. On juge vraiment essentiellement à l’apparence. Les plus grands voyous sont pourtant en costard-cravate je pense»
dit-il gravement.

C’est finalement en s’expatriant au Sénégal, il y a une dizaine d’années, armé d’une franche passion pour la musique, qu’Abdel Malick Fall Elemine, devenu là-bas Overdoz, que «le respect viendra». «Je me suis fondu dans la masse à Dakar, où je passe pour un capverdien» dit-il.

«Je ne conçois pas le métissage que physiquement, mais il est aussi culturel et intellectuel. J’ai suivi un cursus académique dans un système français, entouré de personnes de toutes origines et de toutes conditions sociales. J’ai appris dans ce bouillonnement des rencontres, à juger les gens à leurs actes, et non pas à leurs apparences ou origines» narre-t-il en sirotant son café.

De cette enfance et adolescence difficile que beaucoup de métis ont vécu en Mauritanie, Overdoz raconte que «beaucoup de ses amis métis ne sont pas revenus s’installer dans leur pays ; notamment ceux dont le métissage est lié à l’ancien colon, et qui sont pointés du doigts en tant que «Nassrani»».

Ce métissage se retrouve dans sa musique et particulièrement son dernier album sorti il y a quelques semaines, «Mes pensées». «J’y reviens sur mes identités au niveau des textes et de la narration, mais également musicalement : il y a du cabo capverdien, du rap, en anglais, en wolof, en français… Ma musique est fondamentalement métissée.

Publié par Mamoudou Lamine Kane sur 18 Septembre 2014, 23:28pm

http://mozaikrim.over-blog.com

Publie le 19 septembre 2014



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