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10-12-2016

17:00

Mauritanie : Associations et partis politiques non reconnus, quelles solutions ?

Le Quotidien de Nouakchott - En Mauritanie, les partis politiques et organisations de la société civile peinent à jouir de la « Liberté de réunion et d’association », pourtant garantie par l’article 10 de la Constitution.

Soumis à un régime d’autorisation qui ne dit pas son nom, ces structures voient leurs activités réduites, voire interdites. La formation politique non reconnue, Forces Progressistes pour le Changement (FPC), en a fait les frais, récemment.

En effet, le 11 novembre dernier, la police avait interdit l’accès au siège des FPC, arguant que la journée de réflexion qu’elle comptait tenir le même jour, n’était pas autorisée. Ce n’est pas la première fois que ce parti encore non reconnu, tombe sous le coup de l’interdiction. Ce qui nous amène au régime juridique auquel sont soumis les partis.

Ce que dit la loi

Pour Samba Thiam, Président des FPC, les partis politiques « ne sont pas soumis à autorisation mais plutôt à un régime déclaratif ». Pour étayer son propos, l’homme politique s’appuie sur l’article 12 de l'ordonnance n° 91-24 du 25 juillet 1991, relative aux partis politiques, qui stipule que « le ministère chargé de l’intérieur fait procéder dans un délai de 60 jours à compter de la date de remise du récépissé à toute étude, investigation ou enquête nécessaire au contrôle de la véracité du contenu de la déclaration ».

Reconnus de facto

Or, les FPC qui ont déposé leur dossier le 20 octobre 2014 ont dû patienter jusqu’au 03 Août 2015, pour avoir une réponse du ministère de l’intérieur, leur signifiant le rejet de leur dossier. Soit, deux cent quarante (240) jours au lieu des soixante (60), prévus par l’article 12 de l’ordonnance qui régie les partis politiques. Coïncidence ou pas, la réponse, négative, du ministère est intervenue une semaine (28 juillet 2015) après la conférence de presse des FPC, au cours de laquelle ils estimaient être « reconnus de facto ».

Question d’interprétation

Pour Lo Gourmo, Professeur de Droit Public, « L’ordonnance relative aux partis politiques, doit simplement être lue et interprétée à la lumière de la constitution et du régime des libertés qu’elle instaure, en particulier concernant l’existence des partis politiques ». Le juriste estime par ailleurs que l’ordonnance en elle-même, ne pose aucun problème réel. « Sa lecture est aisée » avant d’ajouter que « le seul problème concerne l’interprétation que le pouvoir en fait ».

Cette analyse du Pr LO Gourmo, est partagée par Samba Thiam Président des FPC. Selon lui, « C’est le régime qui interprète la loi comme il veut. C’est de la démagogie ». Les FPC ont introduit une plainte contre l’Etat et le dossier est toujours à la Cour Suprême.

Bâillonnement

Cet état de fait, réduit et/ou empêche les partis dits non reconnus de s’exprimer. Notons également, que même les partis reconnus, sont obligés de faire une demande d’autorisation pour tenir ne serait ce qu’une conférence de presse dans un hôtel. « Cela ira de mal en pire », conclut Samba Thiam. Outre les partis politiques, ce sont les organisations de la société civile qui crient au bâillonnement. Bien que Lauréat de plusieurs prix pour sa lutte contre l’esclavage, l’ONG IRA toujours non reconnue est par la force des choses, devenue le symbole du caractère néfaste du régime d’autorisation, indiquent des observateurs. Ses leaders, militants et sympathisants, sont fréquemment interpellés et arrêtés.

Projet de loi « liberticide »

Par ailleurs, des ONG plaident depuis plus d’une année, pour que le Parlement rejette un projet de loi sur les associations, jugé liberticide. Les détracteurs de ce projet de loi, dénoncent le régime d’autorisation qui y est proposé ainsi que plusieurs dispositions jugées ambigües, dont la limitation du champ d’action des ONG, en un seul domaine du développement.

« Bien que je soutienne les efforts de la Mauritanie pour réformer et améliorer les lois qui régissent le travail de la société civile, je crains que ce projet de loi, tel que présenté, ne menace l’exercice des libertés fondamentales dans le pays, en particulier le droit à la liberté d’association », soulignait Maina Kiai [Voir Photo], Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association, dans une déclaration datée du 10 Août 2015.

L’expert onusien inquiet

Tout comme les Organisations de la Société Civile opposées à ce projet de loi dans sa forme actuelle, le Kenyan estime qu’une «loi qui met en place des procédures obligatoires ‘d’autorisation préalable’ des associations, au lieu d’un simple processus de ‘notification préalable’, risque d’entraver le travail de la société civile en Mauritanie ».

Si cette loi venait à être adoptée, les ONG seront exposées à des « sanctions sévères basées sur des dispositions formulées en des termes vagues », explique l’expert onusien. M. Kia, précise en outre que la liberté d’association, « protège également les associations qui ne sont pas enregistrées ».

Pléthore de conventions ratifiées

La Mauritanie faut-il le rappeler, a ratifié la Déclaration Universelle des Droits Humains (DUDH), dont l’article 20 stipule que « toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association ». Ce même droit est garanti par la constitution mauritanienne, dans son article 10. Mais le fossé est grand entre le contenu du texte et son application.

A travers le monde, le régime déclaratif est considéré comme « étant le seul conforme » à l’esprit de l’article 20 de la DUDH. En attendant de voir l’Etat mauritanien assouplir sa politique, les formations politiques et organisations de la société civile, continuent tant bien que mal de survire.

Amadou Sy



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