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11-05-2017

05:30

Mauritanie: la révolte des esclaves

Paris Match - Alors que l’abolition de l’esclavage est célébrée aujourd’hui en France, d’autres pays comme la Mauritanie tardent à mettre fin à cette pratique.

Le message de cette marche pour la liberté et l’égalité se veut fort, pacifique et rassembleur. Ce samedi 29 avril 2017 dans les rues de la capitale mauritanienne, se tient la 4ème manifestation du mouvement pour la reconnaissance des droits de la communauté Haratine toujours victime d’un esclavage féodal.

En arabe, Haratine est le pluriel de Haratni qui signifie littéralement l’affranchi, le libéré. Le terme désigne les Mauritaniens noirs (Peul, Soninké et Wolofs) descendants d’esclaves au service de la communauté arabo-berbère, dite des Maures blancs.

Depuis 2013 une partie de la société civile et plusieurs associations ont regroupé leur message dans un texte commun : le Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratine.

Le texte plaide pour le changement des mentalités du pays et la fin des discriminations raciales. « Les Haratine commencent à lever la tête et à se saisir de leurs droits, souligne Boubacar Messaoud au micro de Rfi. Mais le chemin à parcourir reste long.» Le président de l’association SOS esclaves en tête du cortège déplore le manque de volonté politique du gouvernement, qui selon lui, minimise l’ampleur du phénomène dans le pays.

L’esclavage a pourtant été aboli quatre fois en Mauritanie, un record mondial. D’abord sous la colonisation française en 1905, une seconde fois par la junte militaire au pouvoir en 1981, puis en 2007 où la pratique de l’esclavage devient un crime contre l’humanité. En 2015, le parlement pénalise de 10 à 20 ans de prison les maîtres et leurs complices. Mais les associations dénoncent la mauvaise foi et le manque de coopération des autorités locales et nationales dans l’application de ces lois. Preuve en est la résolution votée en octobre 2016 par la Commission africaine des droits de l’Homme condamnant l’Etat mauritanien pour « connivence avec les milieux esclavagistes ».

Selon le Président Mohamed Ould Abdel Aziz seules « quelques séquelles » subsisteraient de ce phénomène (Conférence de presse à Nouakchott le 6 mai 2015).

Récompensé par le prix des droits de l’Homme de l’ONU en 2013, alors qu’il est en détention, Biram Dah Abeid est petit-fils d’esclave. Président de l’Initiative de Résurgence du mouvement Abolitionniste (IRA), il multiplie les actions pour dénoncer «un gouvernement dans le déni et des lois vide de sens». Le message de l’IRA est clair: pour lutter contre l’esclavage, il faut commencer par reconnaître son existence.

Le secrétaire d'Etat John Kerry qualifie Biram Dah Abeid (au centre) et Brahim Bilal Ramdhane (à droite) de héros pour la lutte contre l'esclavage. Le 30 juin 2016 à Washington.

En 2014, le leader abolitionniste candidat au scrutin présidentiel, est arrivé deuxième (8%) derrière le président Abdel Aziz (81%). A peine rentré de sa tournée internationale début mai 2017, celui qui est devenu le principal opposant politique de Mohamed Ould Abdel Aziz est interpellé et mis sous surveillance. Cinq membres de l’IRA ont été arrêtés en marge des manifestations du 29 avril. Récemment nommé dans le top 100 des personnalités les plus influentes de l’année 2017 par le célèbre magazine TIME, Biram Dah Abeid est en phase de devenir le principal challenger des élections présidentielles de 2019.

Persistance d’un esclavage féodal

Lorsque l’on parle d’esclavage en Mauritanie il ne s’agit pas d’esclavage « moderne » mais bien féodal. Comme l’explique Biram Bah Abeid dans une récente interview pour Libération, il s’agit d’un esclavage mental, sans chaînes. Les enfants d’esclaves naissent esclaves et sont la propriété de leur maîtres qui ont droit de vie, de mort ou d’usage de leur corps sans limite. Dans la coutume arabo-berbère il est ainsi fréquent de recevoir un esclave en cadeau de mariage ou de naissance. La scolarisation leur est refusée, ils ne sont là que pour s’occuper du camp, des pâturages et de leurs maîtres.

Selon l’ONG Walk Free 150 000 personnes, soit 4% de la population mauritanienne, subissent cette situation de servitude totale. Omniprésente dans le secteur informel, la communauté est la plus impactée par le chômage, la misère et l’analphabétisme. Le Manifeste explique ainsi que la communauté concentre 80% des 1 400 000 personnes les plus pauvres et 85% des analphabètes du pays. Dans le monde rural les inégalités sont les mêmes. La politique de discrimination foncière traditionnelle à l’égard des Haratine a été telle que 90% des petits paysans sont sans terre et doivent enterrer leurs morts de l’autre côté de la frontière, au Sénégal.

Dans les villes, la majorité d’entre eux vit dans la kebba (bidonville (littéralement « dépotoir »)) et se voit souvent refuser l’accès aux études, à l’armée et aux postes dans l’administration mauritanienne. Représentant près de 50 % de la population, les Haratine constituent la première communauté du pays. Mais le manque d’Etat civil pour les personnes en situation de servitude ou descendantes d’esclaves fosse cruellement les campagnes d’évaluation de l’ampleur de la discrimination raciale en Mauritanie.

Abigail Gérard



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