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08-01-2018

05:00

Mauritanie : Que pensent les Haratines de la discrimination positive ?

Le Quotidien de Nouakchott - « Dans la vie de tous les jours, la marginalisation des haratines est à la fois évidente et systématique.

Elle se traduit aussi bien en termes de liberté individuelle et d’autonomie collective, qu’en déficits d’accès à l’éducation, aux services sociaux de base et encore plus aux richesses nationales ou au pouvoir politique. La condition générale de cette communauté demeure marquée par l’esclavage et ses séquelles : l’exclusion, l’ignorance et la pauvreté y prévalent dans l’indifférence totale des pouvoirs publics. »


C’est le constat fait par « le Manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des haratines au sein d’une Mauritanie unie, égalitaire et réconciliée avec elle-même.»

Pour les rédacteurs de ce Manifeste publié en 2013, « sur le plan démographique, les haratines qui représentent plus ou moins 50% de la population mauritanienne, continuent pourtant d’être, et de loin, la communauté la plus défavorisée politiquement, économiquement, culturellement et socialement. »

Pour combler l’écart entre, ces haratines (descendants d’esclaves) et les autres composantes du pays, il est souvent, entre autres, proposé une politique de discrimination positive. Comment cette discrimination positive peut-elle être mise en œuvre en Mauritanie? Nous avons rencontré des haratines qui n’ont jamais été victimes directes de l’esclavage…Témoignages.

Me El Id Mohamed M’barreck,
«Si l’on continue comme ça, la discrimination de fait va continuer»


El ID Mohamed M’barreck, 30 ans, est avocat inscrit au barreau de Nouakchott. Il est originaire de la commune de Ndiago située au sud de la Mauritanie, au bord de l’océan atlantique et à une dizaine de minute de marche d’un bras du fleuve Sénégal. Après les études primaire dans cette commune, Me El Id a fait le collège de Rosso et a obtenu son baccalauréat, option lettres modernes à Nouadhibou, capitale économique de la Mauritanie. En 2001, il a obtenu une maitrise en droit privé à l’université de Nouakchott. A l’université déjà, il militait au sein des organisations estudiantines. Membre fondateur de l’union des étudiants Mauritanien, il a été arrêté pendant quelques mois suite a des mouvements de grèves.

Me El Id a fait aussi l’école du barreau de Paris, l’université Gaston Berger de Saint Louis au Sénégal. Comment ce commercialiste, spécialisé en droits des sociétés, plaide plus les questions liées aux droits humains ?

« C’est du au contexte. Je suis issu d’une famille haratine. Même si, dans cette famille nous n’avons pas connu l’esclavage depuis des générations, ça laisse des traces, une sensibilité, une proximité avec les victimes de l’esclavage, de ses séquelles comme le manque d’accès aux services, à l’enseignement, aux ressources économiques » répond Me El Id qui ajoute « ce que l’on appelle esclavage, je ne l’ai pas connu, mon père ne l’a pas connu, ni mon grand père, peut être mon arrière grand père, mes ancêtres. C’est pourquoi je suis haratani, un mot qui veut dire ancien esclave ou descendant d’esclave.»

C’est, explique l’avocat, une défaveur de départ qui est difficile à surmonter. « Nous sommes obligés de faire un effort supplémentaire par rapport aux autres. J’étais obligé de travailler pendant mes études secondaires à Rosso Mauritanie pour tenir. Nos origines ont beaucoup d’influence sur notre parcours scolaire. Un haratine, dans les conditions actuelles, qui arrivent à l’université, c’est presque un miracle car il est issu d’une famille très souvent analphabète, sans moyens qui n’accorde pas d’importance à la scolarité », dit Me El Id.

En est-il de même pour sa profession ? Un avocat hartani a-t-il des difficultés liées à son statut de descendant d’esclave ? L’avocat répond sans hésiter : « je n’ai jamais connu de discrimination ou de blocage dans mon travail liés à ma condition de haratani ni avec mes confrères, ni avec d’autres acteurs du secteur de la justice. Si une personne est instruite et compétente, elle évolue sans beaucoup d’entraves. Pour percer, nous haratines sommes obligés de faire plus d’efforts que les autres, mais une fois arrivés, nous évoluons normalement.»

Raisons de la sous représentation

Au sujet des raisons de la sous-représentassions des haratine dans les instances d’influence ou certaines fonctions (médecins, avocats, professeurs du supérieur, magistrats…), on évoque souvent leur retard en matière de diplômes, de formation, est-ce une justification pertinente ?

Réponse de Me El Id : « c’est exactement ça. Les haratines capable de financer les études de leurs enfants à l’extérieur sont rares. Parmi les 300 et quelques magistrats mauritaniens, il y a une dizaine de haratines recrutés en 2009. Avant cette date, il y avait un seul hartani dans le corps de la magistrature. Parmi les 300 avocats mauritaniens, il y a 10 haratines. C’est pourquoi la question de la discrimination positive est plus que pertinente. Si l’on continue comme ça, rien ne va changer. La discrimination de fait va continuer. »

Que peut être cette discrimination positive en Mauritanie ? Comment peut-elle fonctionner ? L’avocat explique que la Mauritanie n’est pas un cas isolé car d’autres pays ont connu des situations similaires. « La logique est simple » déclare-t-il, «une partie de la population est derrière les autres du fait d’une réalité historique, l’esclavage. Même ceux qui ont été libérés de cette pratique continuent de vivre ses séquelles a travers l’ignorance, le manque de moyens, le faible accès au ressources financières…C’est le progrès en matière éducative, sociale, économique… qui va faire avancer cette couche, autrement, elle restera toujours à la traine. »

Pour l’avocat, l’Etat doit faire un effort pour réduire l’écart si non « les haratines vont rester au bas de l’échelle, absents des institutions de l’Etat, des hauts postes militaires, des hautes responsabilités dans la classe politiques. »

L’Agence Tadamoun est-elle une réponse pertinente ?

En 2013, le gouvernement mauritanien a mis en place une « Agence nationale, Tadamoun, de lutte contre les séquelles de l’esclavage, la pauvreté, pour l’insertion. »

Cette Agence est elle une réponse pertinente qui peut aider à réduire l’écart entre les haratines et les autres composantes nationales ? Pour Me El Id, Tadamoun qui a suscité espoir à sa création, « n’est pas allée dans le sens de la discrimination positive, ses interventions ne reflètent pas cette démarche.» Il note que l’important « n’est pas la simple construction d’écoles car depuis plus de 20 ans, des écoles sont construites. »

Il faut, dit l’avocat, que « les hartani soient convaincus de l’utilité de ces écoles, que leurs enfants aient les moyens d’y rester jusqu'à l’université, autrement, on va continuer à arroser le désert à coups de béton inutilement. » Pour lui, Tadamoun ne doit pas se limiter à la construction d’écoles et de centres de santé. « L’agence doit agir dans tous les domaines, notamment économique, politique… »

Une dizaine de députés sur 147

Me El Id constate : « à l’assemblée nationale, sur les 147 députés, il y a 11 haratine. Est-ce une représentation juste ? Il faut se poser la question. Pourquoi sont-ils aussi sous représentés ? Pourquoi ils ne sont pas au parlement ? Ont-ils les moyens économiques de briguer les suffrages des citoyens ? Sont-ils suffisamment sensibilisés sur les enjeux ? »

Mais, pour la représentation parlementaire, ce sont les partis politiques qui investissent les candidats à la députation. Le problème est peut-être aussi ailleurs ? Le problème, explique, l’avocat, « ne concerne pas seulement le pouvoir. C’est tout le système politique, toute la société qui est interpellé. Mais, le pouvoir, détenteur des moyens de changement, détenteur de la force d’exécution… doit donner l’exemple à travers ses institutions, ses projets…Si le parti au pouvoir augmente considérablement le nombre de haratines dans ses listes candidates, les autres seront obligés de suivre. A l’intérieur du pays, il y a une forte concentration de haratine en termes démographiques, mais regarder les élus de ces régions et départements, ils ne reflètent pas la réalité »

Pour une représentation équilibrée

Le manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des haratines au sein d’une Mauritanie réconciliée avec elle-même comporte des propositions qui vont dans le sens d’une discrimination positive et même des quotas pour les haratine dans les hauts postes de responsabilité dans l’Administration. Me El Id est un des porteurs de ce manifeste. Il explique que le texte « propose une participation équilibrée, plus profonde que les quotas, plus rassembleurs, plus inclusives. »

Depuis l’indépendance, ajoute-t-il, en Mauritanie, «les maures blancs occupent 80% des hautes fonctions étatiques, les négro-africains, 10 à 15%, le reste pour les haratines. Je suis contre les quotas qui sont une pérennisation des couleurs, une ethnicisassions des institutions, mais je veux bien que pendant deux ans ou trois ans, le gouvernement soit majoritairement soninké, ou poular…»

Marieme Mint Bilal, cadre à la Somelec
«Je fais partie des exceptions qui confirment la règle»




Marieme Mint Bilal, une cinquantaine d’années, est cadre à la Société mauritanienne d’électricité (SOMELEC), membre du bureau exécutif du rassemblement des forces démocratiques (RFD), parti politique de l’opposition mauritanienne dont elle a été députée pendant 8 ans. Elle a fait ses études primaires à Boutilimit, une ville située à 150 kilomètres de Nouakchott.

Mint Bilal, après le baccalauréat, a fait une maitrise en Informatique et gestion à l’Institut supérieur scientifique (ISS) de Nouakchott, des études d’économie politique en Italie, des études portant « mondialisation et marché du travail » au Canada. Elle est titulaire d’un troisième cycle en gestion de projets de l’Université Internationale de la francophonie (Université Senghor à Alexandrie en Egypte).

« Je n’ai jamais été victime directe de l’esclavage, c’est d’ailleurs visible à travers mon parcours. Mais je vois cette pratique quotidiennement autour de moi, depuis mon enfance » précise Mint Bilal. Elle explique que la question de l’esclavage et des injustices de manière générale, est un souci permanent pour elle. « J’ai fait du syndicalisme. Je suis membre de la confédération générale des travailleurs de Mauritanie. J’ai commencé à militer dans le mouvement syndical avant de faire la politique. Je me bats pour la justice, pour les questions nationales » ajoute Mint Bilal.

Pour elle, la discrimination positive, « concept qui a des aspects positifs et négatifs, est applicable en Mauritanie. » Pour les avantages, « elle entre dans le cadre global de l’approche genre, une approche qui, contrairement à ce que beaucoup pensent, ne concerne pas seulement, les femmes. C’est une notion qui vise l’instauration d’une justice pour tous les citoyens, notamment les haratines, qui n’arrivent pas à jouir pleinement de leur droit. La discrimination positive est un mécanisme qui peut marcher s’il est exploité positivement car il s’agit de donner aux gens la chance de réussir.»

Le coté négatif : « quand on choisit les moins méritants pour bénéficier des quotas, il y a forcement échec. Et, certains diront : ils sont haratines, c’est pourquoi ils ont échoué. »

A l’assemblée nationale mauritanienne, c’est loin de la parité et en plus, il n’y a guère de femmes haratine. Marieme Mint Bilal explique que « c’est justement la loi qui attribue un quota de 20% des sièges aux femmes, une forme de discrimination positive, qui a permis l’entrée d’un nombre considérable de femme à l’assemblée. »

Autres remarques : en Mauritanie, l’éducation des filles est un problème. Quand elles sont haratines, c’est encore plus difficile. Mint Bilal, elle, a fait des études supérieures en Italie, au Canada… « Je fais partie des exceptions qui confirment la règle…j’ai fait toutes mes études gratuitement. Actuellement, sans moyens, il est difficile d’avoir un apprentissage de qualité car le système public est défaillant », dit-elle.

L’éducation, clé de la réussite

L’agence Tadamoun, qui intervient, entre autres, dans la construction d’école dans les zones à forte concentration de haratine, est-elle une forme discrimination positive ? Ce qui fait défaut, explique Mint Bilal, « ce ne sont pas les écoles, c’est le personnel compétent, la volonté, le sérieux, le contenu…Tadamoun n’intervient pas sur ces aspects. » Elle préconise l’éducation, clé de la réussite, pour les nations, la culture de la tolérance.

Pour elle, la discrimination positive doit être sérieusement envisagée car « si nous continuons sur les mêmes bases, il n’y aura jamais égalité entre les différentes composantes de la société mauritanienne. Il y en a qui ont pris beaucoup d’avance. Les autres ne peuvent les rattraper sans un grand effort national, sans un esprit de partage. »

A suivre, d’autres témoignages

Khalilou Diagana

Pour le programme : « Liberté, droits et justice pour combattre l’esclavage par ascendance en Mauritanie promu par le département d’Etat des Etas Unis»


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