Cridem

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15-02-2018

15:16

En route vers une 3ème République : Aziz va-t-il sauter le pas ?

Le Calame - Le président de la République a entamé le dernier virage de son présumé ultime mandat et les spéculations vont bon train, sur l’alternative de son issue : maintien au pouvoir, via nouvelle modification de l’actuelle Constitution, ou élection d’un nouveau président ? Dans le premier cas, il ne manque pas d’observateurs pour envisager l’instauration d’une 3ème République.

Ould Abdel Aziz, arguent-ils, n’a-t-il pas cessé, dès son coup d’Août 2008, de poser des jalons en ce sens ? Avec, tout d’abord, l’instauration d’un nouveau discours centré sur les pauvres et sur la lutte contre la gabegie. Un langage éminemment populiste qui suscita les plus fols espoirs, chez les Mauritaniens.

On vit même des citoyens prendre d’assaut les grilles de la Présidence, pour exposer leurs problèmes, litiges fonciers ou autres. Suivirent quelques actes forts, très médiatisés. Des hommes d’affaires jusqu’ici intouchables et de hauts fonctionnaires, dont un ex-Premier ministre et divers anciens ministres, furent envoyés en prison.

Le Président marquait, ainsi, une nette rupture par rapport aux régimes précédents. Jusqu’alors oubliés, les pauvres, dont le nombre ne cessait de grandir, crurent qu’enfin, on allait s’occuper d’eux.

On connaît la suite. Les boutiques Emel n’ont pas réussi à endiguer la flambée continue des prix des produits de première nécessité, le chômage des jeunes n’a pas fléchi, bien au contraire, en dépit d’un taux de croissance en hausse, et la lutte contre la gabegie a pris une tournure singulièrement « sélective »…
Un président ‘’superman’’ Elle aura surtout permis, au président de la République, de contrôler étroitement les ressources financières du pays. Il ira même assurer, au cours d’un point de presse, de sa maîtrise sur jusqu’à la dernière ouguiya. Une emprise qui prive les ministres de gérer directement leur propre budget.

Ould Abdel Aziz centralise tout, dévaluant fortement la fonction ministérielle. On a entendu plusieurs membres de son gouvernement s’en plaindre et certains sont allés requérir des avances sur salaires auprès de banques privées. Bref un nouveau mode de gouvernance, made in Abdel Aziz.

Le Président s’est aussi apparemment attaché à renouveler la classe politique. Dans ses déclarations, tout d’abord, ne ratant aucune occasion, de jurer envoyer « les vieux croulants » à la retraite. « Place aux jeunes ! », clame-t-il, et joignant l’image au son, d’appuyer la fondation du parti « Sursaut pour la Jeunesse de la Nation ».

Bientôt suivi d’un Haut Conseil de la Jeunesse, avec des traitements conséquents pour les membres de son bureau exécutif. Des initiatives propres à faire grincer nombre de dents, ouvertement du côté de l’opposition qui parle de discours « démagogique et populiste ».

Réelle volonté ou adaptation opportuniste aux priorités des bailleurs ? L’attention tout aussi apparente et médiatisée aux femmes, avec leur liste spécifique aux élections législatives, entretient la question, sans y apporter de réponse claire.

Mais les grands jalons posés, par l’actuel Président, restent la suppression du Sénat, la haute Chambre parlementaire qu’il ne pouvait dissoudre. La présence de celle-ci conférait, au législatif, une certaine « indépendance » par rapport à l’exécutif, liberté au demeurant fort gênante, pour un chef d’Etat qui entend concentrer tous les pouvoirs entre ses mains.

La fronde des sénateurs, qui bloquèrent les modifications de la Constitution, obligeant ainsi Mohamed ould Abdel Aziz à recourir à un referendum illégal, fut vécu par celui-là, en véritable « crime de lèse-majesté », d’autant plus inquiétant que ni le gouvernement, ni le parti-Etat, ni les services de renseignements ne surent venir ni le coup ni, donc, lever le petit doigt à son encontre.

Désillusions populaires Les modifications constitutionnelles adoptées, lors du referendum du 5 Août 2017, ont consacré les changements des paroles de l’hymne national et des couleurs du drapeau. Mais ces deux modifications ont singulièrement éclipsé, dans l’opinion, la portée de la fondation des régions, pourtant probablement décisive, dans l’ouverture de la porte vers la 3ème République.

Ajoutons, à cela, la suppression de la particule ould, dans l’état-civil des gens, et, « cerise » sur le gâteau, la transformation de l’Ouguiya, divisée par dix, sous fond de plus ou moins obscures manœuvres financières.

Car tous ces changements ont leur pendant économique. Sous le règne d’Ould Adbel Aziz, la Mauritanie a connu de grandes mutations, notamment au plan des infrastructures routières, des télécommunications, de l’électricité et de l’urbanisme.

A Nouakchott, de gros immeubles sont sortis de terre, plusieurs banques et quelques nouveaux marchés ont vu le jour.

L’actuel chef de l’Etat peut se vanter de la découverte, sous son magistère, d’importants gisements d’or, de pétrole et de gaz, ouvrant de belles perspectives, non seulement, au pays mais, aussi, à un petit comité familier du pouvoir qui s’acharnent à conserver celui-ci pour, clament-ils, «parachever ses grands chantiers ».

Auront-ils au moins profité du passage à la nouvelle ouguiya pour blanchir leurs petits et grands arrangements avec le boss ? On reconnaîtra, par ailleurs, que les forces armées ont été dotées d’importants moyens et les frontières du pays, sécurisées, à l’heure où les autres pays du Sahel sont soumis à des poussées extrémistes et à leurs cortèges d’attentats meurtriers.

Alors, tout cela suffit-il à tenter un 3ème mandat ? Le Calame a suffisamment relevé, a contrario, les arguments objectifs qui devraient inciter le Président à la prudence : dégradation du pouvoir d’achat des citoyens, notamment des plus vulnérables, endettement plus que critique de l’Etat, échecs retentissants en matière d’éducation et de santé, accroissement des inégalités ethniques, tribales et statutaires (castes), etc.

En dépit des acclamations courtisanes, tous les changements « sublimes » opérés, par Ould Abdel Aziz, n’ont pas effacé les traces de son coup de force de 2008 ni, encore, moins, les désillusions populaires, envers un « Président des pauvres » si opportunément enrichi par sa fonction…

Celui-ci a, certes, confiance en sa gestion des opportunités, quasiment légendaire désormais, et rien ne permet de présumer de la conjoncture qui prévaudra en 2019. Mais le peuple mauritanien a, lui, une lucidité certaine sur sa propre situation : il ne la perdra de vue…

DL



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