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14-04-2018

12:25

Mauritanie: la minorité chrétienne n'a rien à craindre pour le moment, affirme Mgr Happe

Cath-Info - En ‎République islamique de Mauritanie, la petite minorité chrétienne n’a – pour le moment – rien à craindre, car le gouvernement est vigilant face à l’extrémisme musulman.

La pression des wahhabites, dopés par l’argent de l’Arabie saoudite, se fait pourtant sentir et fait peur, confie à cath.ch Mgr Martin Happe, évêque de Nouakchott. De passage en Suisse à l’invitation de l’oeuvre d’entraide catholique Aide à l’Eglise en Détresse (AED/ACN), l’évêque du diocèse de Nouakchott, la capitale, tient à rassurer: “Je peux me promener à pied la nuit, avec ma croix pectorale. Les religieuses aussi se promènent librement.

Leur travail est apprécié: l’une d’entre elles travaille à l’hôpital de Nouakchott et fait les pansements des grands brûlés, ce que les autres infirmières refusent de faire. Avant, nous avions aussi une religieuse qui s’occupait des sidéens, mais malheureusement, dans ce cas, nous n’avons pas de relève”.


Les chrétiens sont respectés

Une autre religieuse travaille à l’hôpital pédiatrique, et s’occupe l’après-midi d’un dispensaire pour les migrants africains, qui ont de plus en plus de difficultés à prendre la mer pour se rendre en Europe. Mgr Happe souligne que les chrétiens sont vraiment respectés dans cette République islamique.

Depuis son arrivée sur le siège de Nouakchott en 1995, “on ne m’a pris à partie qu’une seule fois, en 22 ans ! C’était une jeune lycéenne, qui a craché par terre en voyant ma croix…”, tient à souligner, dans un français parfait, l’évêque missionnaire allemand. Ce “Père Blanc” de 72 ans, doué d’un solide sens de l’humour, fut auparavant administrateur apostolique de Mopti, au Mali. A propos de la Mauritanie, totalement désertique dans sa partie nord et sahélienne dans sa partie sud, avec un climat généralement chaud et sec, Mgr Happe confirme l’adage: celui qui supporte le pays plus de trois semaines ensuite ne veut plus en repartir.

Pas question de faire du prosélytisme

Mgr Happe, membre de la Société des Missionnaires d’Afrique, est respecté tant par la population que par les autorités, avec lesquelles il a établi un rapport de confiance: “Dans ce pays où il n’y a que quelque 3’500 à 4’000 catholiques, tous des non-Mauritaniens (les nationaux sont tous musulmans), il n’y a pas de prosélytisme de notre part… Les instructions données à nos collaborateurs sont claires! Notre mission ici n’est pas seulement de servir la petite minorité catholique, c’est avant tout de rendre visible, palpable, l’amour de Dieu pour tous et pour chacun. Mais pas question de convertir des musulmans !”

Dans des réceptions officielles, des responsables mauritaniens ont présenté Mgr Happe comme ‘notre évêque’ et les relations avec la plupart des autorités religieuses musulmanes sont bonnes. L’islam de Mauritanie est avant tout un islam soufiste, confrérique, appartenant principalement aux confréries Tidjanes et Qādariyya. Quand le Père Jacques Hamel a été assassiné dans son église par deux jeunes djihadistes en 2016, à St-Etienne du Rouvray (Normandie), “un ami qui fait partie du Conseil des oulémas a été délégué par ses confrères pour me faire part de leur sympathie et de leur douleur face à cette nouvelle; ils ont prié pour le Père Hamel !”

Pour le moment, il n’y a pas d’incidents et l’Etat surveille les musulmans virulents et emprisonne les extrémistes, note l’évêque missionnaire. “De l’extérieur, même des pays voisins, on pense que dans cette République islamique les chrétiens – qui viennent d’une bonne quarantaine de pays, mais en majorité de Guinée Bissau et du Sénégal et d’autres pays d’Afrique, voire de pays occidentaux – rasent les murs… C’est faux, on est très respectés, et le fait d’être chrétien est même souvent un sésame à l’aéroport ou lors de contrôles de police”.

Une population majoritairement tolérante

Certes, si la population musulmane est plutôt tolérante, elle reste très susceptible sur la question du prosélytisme: “Nous développons des bibliothèques, qui sont très appréciées par les élèves et les professeurs, car ils manquent de livres. Mais au début, des parents étaient méfiants. Ils sont venus vérifier s’il n’y avait pas de Bibles ou de livres religieux chrétiens, car certains nous soupçonnaient de vouloir faire du prosélytisme. A la Caritas, qui dépend de l’Eglise, nous avons une centaine de collaborateurs, dont seulement six chrétiens. Ces derniers sont tous des non-Mauritaniens. L’organisation, même si certains collaborateurs musulmans ont été soupçonnés d’être des ‘crypto-chrétiens’, a une très bonne réputation”.

Actuellement, le diocèse de Nouakchott, qui dispose de deux paroisses fonctionnant dans la capitale et dans le port de Nouadhibou (Port-Etienne à l’époque coloniale), est également présent à Zouerate, Atar, Rosso, Tufunde Cive et Kaédi. Il compte 11 prêtres de diverses nationalités (venant d’Inde, du Sénégal, de Guinée, de France et du Congo Brazzaville), ainsi que 25 religieuses appartenant à plusieurs congrégations: Filles de la Charité, Soeurs de Béthanie, Soeurs Blanches, Filles du Coeur immaculé de Marie, et Franciscaines Missionnaires de Marie.

Les religieuses viennent d’Espagne, du Liban, de Pologne, d’Ouganda, du Congo Kinshasa, d’Inde, du Sénégal et de Centrafrique. A la messe du dimanche, qui est une occasion pour les chrétiens expatriés et les non-Mauritaniens de se rencontrer, les fidèles se réunissent bien avant l’heure du culte, et restent après pour discuter.

Pression islamiste croissante

On compte en moyenne 4 à 600 fidèles à la messe dominicale dans la capitale – il faut installer des hauts-parleurs à l’extérieur, car la cathédrale ne peut en accueillir que 400 au maximum – et 150 à 200 à Nouadhibou. Ils peuvent être plus nombreux les jours de fête. La liturgie est à la base en français, avec une lecture dans une autre langue à Nouakchott, tandis qu’on utilise davantage l’anglais à Nouadhibou, en raison de la présence de davantage d’anglophones, venus notamment du Nigeria ou du Ghana.

Dans un pays où les religieuses, en tant que chrétiennes et étrangères, ne peuvent pas s’investir officiellement dans l’éducation, au niveau des écoles, elles ont tout de même la charge de quatre jardins d’enfants. Ils accueillent de 200 à 300 enfants à Nouakchott et à Nouadhibou. D’autres religieuses enseignent le français et l’anglais dans des écoles publiques.

Depuis quelques années, note Mgr Happe, la pression islamiste se fait sentir: “les premiers qui sont visés, c’est l’islam des confréries, car les wahhabites, influencés par l’islam d’Arabie saoudite, affirment que c’est du syncrétisme. Ils veulent s’en prendre à cet islam implanté depuis des siècles dans la région, comme ils l’ont fait avec les mausolées de Tombouctou, au Mali”.

Danger wahhabite

Les wahhabites, qui sont formés en Arabie saoudite, font du porte à porte, ils font pression pour que les fidèles se rendent à la mosquée. Avec l’argent de la Péninsule arabique, ils construisent de nombreuses mosquées le long des routes, même s’il n’y a que trois tentes… Cet argent permet de corrompre les responsables gouvernementaux, qui laissent faire. “Ils devraient faire attention à l’influence de ces imams formés en Arabie saoudite, car ce mouvement qui prend de l’ampleur, a une stratégie à long terme. Si en cas de conflagration, les chrétiens, qui sont des étrangers, pourront partir, les Mauritaniens, eux, ne pourront pas aller ailleurs!” (cath.ch/ be)

Par Jacques Berset, cath.ch



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