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26-10-2018

16:45

Des tribus maures au Polisario, vol au-dessus du Sahara insoumis

Le Monde - Dans le sillage de l’Aéropostale (6/8). Entre le Maroc et la Mauritanie, le raid Latécoère traverse une région désertique, déjà rebelle au temps de Mermoz et Saint-Exupéry. Khalid Nasir, un habitant de Tarfaya, dans le sud du Maroc, scrute le ciel en plissant les yeux. Sa fille Zahra, 8 ans, est montée dans un avion pour faire son baptême de l’air.

A chacune de ses escales entre Toulouse et Dakar, le raid Latécoère-Aéropostale propose aux enfants de faire un tour à bord d’un Cessna ou d’un Robin. « Ça peut créer des vocations, explique Hervé Berardi, le patron du raid. On plante une graine, on verra bien si elle pousse. »

Les yeux émerveillés, Zahra descend de l’appareil après quelques minutes dans les nuages : « Dans les rues de Tarfaya, les gens étaient petits comme des fourmis ! J’ai même pas eu peur. » Hiba, 12 ans, ne s’en remet pas : « J’étais dans le ciel et j’ai reconnu ma maison et même mon école ! »

En tant que chef d’aéroplace, Antoine de Saint-Exupéry est resté dix-huit mois non loin de Tarfaya, à Cap Juby, dont il ne reste quasiment rien de l’ancien fort espagnol et des baraquements qui accueillirent les pilotes et les mécaniciens de l’Aéropostale de 1923 à 1934. Si on peut voir aujourd’hui un morceau de la cour où étaient entreposés les avions, une partie des bâtiments a été récupérée par l’armée marocaine et transformée en caserne.

Pendant trois ans au cours de sa carrière de pilote, Antoine de Saint-Exupéry va arpenter le Sahara. Cette période passée entre les dunes et l’océan, il va la considérer comme la plus belle de sa vie, comme il l’écrit dans Lettre à un otage : « Quiconque a connu la vie saharienne où tout, en apparence, n’est que solitude et dénuement, pleure cependant ces années-là comme les plus belles qu’il ait vécues. »

« Le commandant des oiseaux »

Le DR-400 à bord duquel Le Monde Afrique a embarqué suit la ligne de côte dans un ciel légèrement couvert. Les dunes de sable se jettent par endroits dans la mer. Cette zone était autrefois très dangereuse.

Fin mai 1926, Jean Mermoz effectue son quatrième vol de courrier entre Casablanca et Dakar. Dans le ciel, il y a de la brume et un sable fin qui attaque autant les carburateurs que les poumons. Le pilote cherche un refuge sur la côte.

Après avoir atterri tant bien que mal, il découvre que l’arbre à cames de son moteur est brisé en deux. En compagnie de son interprète, un Maure du nom de Sidi Ataf Ould Elbéchir, Jean Mermoz attend pendant plusieurs heures du secours, en vain. Il se décide alors à marcher le long de la côte, mais le simoun, ce vent chaud, sec et violent, se lève.

« A peine une boîte de conserve était-elle ouverte qu’un centimètre de sable en recouvrait immédiatement le contenu, racontera-t-il plus tard au chef d’exploitation de l’Aéropostale. La bouchée que je portais à la bouche était aussitôt pleine de sable.

Et puis, le peu de sardines que je mangeais et ce vent de sable chaud me donnaient une soif incessante. Ma bonbonne, qui aurait dû être pleine, ne contenait que 10 litres… Pour trois jours, c’était juste, surtout que j’ai fait dans une journée une marche de soixante kilomètres au moins. »


Les deux hommes reviennent dormir sous l’aile de l’avion et, totalement assoiffés, se décident à boire l’eau du moteur contenue dans le radiateur. Ils reprennent leur marche vers le nord et tombent sur des R’Gueibat, une tribu particulièrement redoutée. « Les Maures apparurent, me tenant en joue, raconte le pilote de l’Aéropostale. Je ne pensai à rien sinon à éviter le geste qui ferait tirer, comme l’on évite par la douceur des mouvements une piqûre de guêpe qui, pendant quelques secondes, plane sur vous. »

Alors qu’Ataf tente de négocier la rançon, Jean Mermoz s’attend à recevoir une balle dans la nuque. Il est assommé, transporté à moitié nu jusque dans une grotte, où il restera pendant plusieurs jours, puis sous une tente qui appartient au sultan de Taroudant.

Le voilà presque rassuré : « Je sentais que ma vie ne dépendait plus du hasard des mots, des gestes et des vanités, mais d’un jugement réfléchi. J’éprouvais une étrange sécurité à penser que derrière le visage voilé de mes statues bleues, j’étais peut-être déjà condamné ou absous, mais qu’en tout cas rien d’absurde ni d’incohérent n’entamerait la décision qui allait être prise.

Sensation de dépendre enfin d’une pensée et non d’un réflexe de bête. »
Il sera finalement libéré contre une caution de 1 000 pesetas versée par sa compagnie. Il sortira épuisé de cette expérience, souffrant d’hémorragies internes liées à l’absorption de l’eau du moteur.

En tant que chef d’aéroplace, Antoine de Saint-Exupéry a eu aussi à participer à la libération de plusieurs pilotes, dont Marcel Reine et Edouard Serre, partis en juin 1928 de Cap Juby et tombés aux mains des R’Gueibat, une tribu qui résiste à la mission de « pacification » de Saint-Exupéry. La demande de rançon s’élève d’abord à un million de fusils.

Le chef d’aéroplace, que les Maures surnomment « le commandant des oiseaux » et qui a appris l’arabe, obtient finalement la libération de l’équipage contre 20 fusils et 6 000 cartouches. Le calvaire des pilotes aura quand même duré 117 jours. Plus tard, c’est l’avion de René Riguelle qui tombera en panne. Le chef d’aéroplace construira une remorque, montée sur des roues d’avion et fixée derrière deux chameaux, pour lui livrer un moteur de Bréguet en plein désert…

Des pirogues aux mille couleurs

Le DR-400 survole un océan de dunes lorsque, sur la fréquence du raid Latécoère, on apprend qu’une balise de secours s’est déclenchée sur un avion et que le pilote ne répond plus. Les minutes passent, elles sont longues. Au bout d’un quart d’heure, on apprend que l’avion s’est finalement posé à Dakhla : « Ce n’est rien, la balise a juste pris un coup de chaud », assure un organisateur du raid à la radio.

L’avion fait le plein de carburant à Laayoune, la plus grande ville du Sahara occidental. Ce territoire, non autonome selon l’ONU, est situé au nord de la Mauritanie et revendiqué d’un côté par le Maroc, qui en contrôle 80 %, et de l’autre par le front Polisario, un mouvement qui a proclamé en 1976 la République arabe sahraouie démocratique (RASD), un Etat dont le gouvernement s’est exilé en Algérie. On survole Imlili, un village isolé de pêcheurs, et on se fait la promesse d’y revenir pour le visiter.

La frontière entre le territoire contesté du Sahara occidental et la Mauritanie mesure 1 500 km. Aux alentours, c’est un véritable champ de mines. Les autorités marocaines, qui contrôlent la partie sud, ont demandé que les avions du raid passent au niveau d’un poste frontière à basse altitude, afin de pouvoir noter leur matricule, les identifier et attester de leur sortie du territoire.

Bob Moreno, notre pilote, fait un piqué au-dessus de la caserne. Commence ensuite un no man’s land de 4 km avant de pénétrer sur le territoire mauritanien. La frontière est matérialisée par des fils barbelés qui filent vers l’est, vers le désert.

Après un large virage sur sa gauche, l’avion survole un port artisanal où s’entassent des dizaines de pirogues aux mille couleurs. Il se pose ensuite sur la piste de l’aéroport de Nouadhibou, qui s’appelait Port-Etienne au temps de l’Aéropostale.

Après les avoir interrompus quelques années par crainte d’attaques islamistes, la Mauritanie a rouvert en 2017 ses circuits touristiques, notamment dans l’Adrar, au cœur du pays. L’hospitalité n’est pas un vain mot dans cette région désertique célèbre pour ses villes caravanières comme Ouadane ou Chinguetti.

Rien n’a changé – ou presque – depuis l’époque de Saint-Exupéry : « On retrouve ici un peuple qui existe, qui est lui-même, où l’on est reçu sous la tente par des Maures splendides, où l’on croise des caravanes classiques qui ont un visage d’il y a mille ans », écrivait l’aviateur.

Par Pierre Lepidi (Nouadhibou, envoyé spécial)





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