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28-01-2019

08:35

Les 7 personnes qu’il faut connaître à Ouagadougou (1922)

Libération - En relisant Amadou Hampâté Bâ, notamment le tome II de ses mémoires « Oui mon commandant », le lecteur est invité à voyager entre le Mali et la Burkina Faso. L’étape de son installation à Ouagadougou donne à voir les véritables piliers de la société ougalaise, par-delà les apparences de l’administration coloniale.

En 1919 est créé le territoire colonial de Haute-Volta. Lorsqu’Amadou Hampâté Bâ est affecté à Ouagadougou en 1922 comme « écrivain » c’est-à-dire commis en écriture (dont le grade ultime est le célèbre commis expéditionnaire), il traverse des territoires et des sociétés pour lesquelles la récente frontière territoriale tracée au sein de l’AOF, entre Soudan français (Mali) et Haute-Volta (Burkina Faso) n’a pas de signification.

Les zones de pastoralisme, d’échanges commerciaux ou de circulation quotidienne structurent l’axe Mopti-Ouahigouya. En revanche, en arrivant à Ouagadougou, Amadou Hampâté Bâ penètre au cœur de la société Mossi, dont le Moro Naba Koom II est l’empereur.

Sitôt sur Ouagadoudou, Amadou Hampâté Bâ va rencontrer Tidjani Tall (un descendant d’El Hajj Omar) qu’il a connu sur les bancs de l’école de Djenné entre 1913 et 1915. Puis il se présente à Jean Sylvandre, receveur à l’Enregistrement et des domaines, auprès duquel il est affecté par l’administration coloniale.

Ces formalités faites, il dispose de trois jours de congé sur Ouagadougou pour s’installer et récupérer de son long voyage. Tidjani Tall lui sert de « fixeur » pour son installation à Ouagadougou, et le présente à la cheville ouvrière de l’administration coloniale locale : Demba Sadio Diallo.

Ce dernier, peul de Kayes (où a vécu Amadou Hampâté Bâ), est le « premier secrétaire indigène » du gouverneur. Voilà pour le côté administration officielle. Mais ce n’est pas la partie la plus importante pour vivre à Ouagadougou.

Tidjani Tall lui désigne ensuite les 7 personnes auprès desquelles il doit se présenter durant ces trois jours, dressant ainsi la cartographie des véritables notables et personnalités influentes de Ouagadougou en 1922. Hamadou Hampâté Bâ met à profit ces trois jours moins pour s’installer matériellement que pour « payer son tribut de politesse » à ces sept hommes.

Le premier est Babali Hawôli Bâ. A la suite d’un conflit avec Aguibou Tall à Badiangara vers 1897, il trouve refuge et protection auprès du Moro Naba – qui était à l’époque Kouka. L’empereur Mossi s’attache ses services en qualité de « conseiller musulman et secrétaire pour la langue arabe et les relations arabes » : il s’agit moins, en réalité, d’une géopolitique arabe que de l’interface que Kouka se crée avec les sociétés musulmanes de la sous-région.

Lorsque Koom II prend le pouvoir en 1906, il conserve non seulement à ses côtés Babali Hawôli Bâ mais lui augmente ses prérogatives ainsi que son prestige en lui donnant en mariage une de ses sœurs.

En 1922, Babali Hawôli Bâ est considéré comme le marabout le plus important de toute la jeune Haute-Volta ; il est courtisé non seulement par le Moro Naba mais aussi par l’administration française qui lui concède une pension viagère. Hamadou Hampâté Bâ, fidèle musulman, trouve en lui l’interface avec la cour et les institutions du Moro Naba.

Les deuxième, troisième et quatrième personnes que va visiter Hamadou Hampâté Bâ sont également des lettrés musulmans. Ils dessinent les contours de la société religieuse musulman de Ouagadougou. Chérif Haïdara est descendant du Prophète et originaire de Oualata, la ville sainte du Soudan français : il est un marabout réputé qui enseigne le droit musulman et la grammaire.

A son influence intellectuelle et religieuse, il ajoute différentes activités commerciales qui lui confèrent pignon sur rue. Puis Hamadou Hampâté Bâ va saluer « Amadou Sidiki teint clair » et « Amadou Sidiki teint noir » (sic) : deux homonymes coranistes et arabisants.

Les trois dernières personnes qu’il va saluer ne sont pas des autorités morales ou des notabilités particulièrement visibles à Ouagadougou. Il s’agit en revanche des personnes les mieux informées de la ville – et au-delà. Moussa Sissoko et Allaye Massinanké sont deux commerçants venus du Soudan, « revendeurs de pacotilles et de bimbeloteries », qui savent toutes les rumeurs et toutes les informations de la ville.

Hady Cissé occupe une place encore plus particulière : ancien berger, il s’est reconverti sur Ouagadougou comme logeur des commerçants dioulas venus du Soudan et qui assurent la liaison avec la Gold Coast britannique (Ghana).

Autrement dit, il se situe à l’étage « au-dessus » de l’information, recueillant mieux que quiconque toutes les histoires de voyages de ses hôtes – en remontant les sources de la Volta rouge et de la Volta blanche.

Comme conclut Hamadou Hampâté Bâ : « Aucun fonctionnaire africain résidant à Ouagadougou ne pouvait se passer de ces sept personnages, sortes de manitous africains de la Haute-Volta, et y vivre en paix. »

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