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12-09-2019

07:30

L' Armée mauritanienne en hibernation:Stratégie ou burn out?

Ely Ould Krombelé - Lorsque le colonel Moulaye Ould Boukhreiss passait le commandement de l'Armée au colonel Ndayane, au début des années "2000", l'institution souffrait de maux pour lesquels il fallait un remède de pur-sang arabe..

A telle enseigne que de jeunes officiers, abasourdis par l'indifférence, ou plutôt la "complicité manifeste" de leurs aînés, tentèrent le 8 juin 2003 de mettre fin au régime de Maawiya, symbole à leurs yeux de stagnation avant la décadence.

Aussi des terroristes sans doute conscients du manque de motivation de nos troupes, de l'indigence morale de nos chefs, de l'inefficacité de notre logistique à tous les échelons, nous agressèrent et nous portèrent à Tourine ,Lemgheity et Ghalawiya des coups humiliants parce que mortels. L'arrivée au pouvoir du général Aziz en 2009 transforma la donne et la peur a changé de camp.

Mais, hélas pour combien de temps encore? Si Aziz est l'initiateur du second souffle (après celui du colonel Moustapha Salek en 1978, suite aux assauts osés du Polisario), Mohamed Ould Ghazwani en est le promoteur. C'est que le général Ghazwani avait une "carte blanche" et jouissait de la totale confiance de l'ancien président Aziz.

Les deux hommes ont été à l'origine de la mutation structurelle, du professionnalisme compétitif, de la sanctuarisation du concept de sécurité dont nous jouissons et qui nous protège encore heureusement aujourd'hui.

Aussi Aziz, malgré tout ce qu'on peut lui reprocher, a poussé notre Armée jusqu'aux portiques de la modernité. Parce qu'il disait (d'ailleurs nous attestons) que c'était la seule institution fiable, organisée, structurée sur laquelle la Mauritanie peut compter dans une sous-région en proie aux lendemains incertains.

En attendant que les civils mauritaniens qui font de la politique soient imprégnés des concepts de défense, ou de géo-stratégie, à l'instar de leurs collègues européens ou autres, le gouvernail ne peut être tenu que par des militaires ou assimilés. Pour le moment.

Et pourtant à l'heure où j'écris ces mots, Aziz est parti et son alter ego est désormais président, chef suprême des Forces Armées et de sécurité. Alors que compte faire le nouveau patron de l'Armée? Voudra-t-il la confier à un homme de son sérail et le laisser à la manœuvre?

Ou aura-t-il l’œil directeur rivé sur la grande muette en maintenant le statu quo ante ? A supposé qu'un important maillon de la chaîne de commandement, en la personne du général AZIZ soit parti, quelle structure adopter pour combler ce "trou béant"?

Il faut reconnaître que l'homme était impérieux, expéditif, ne s'embarrassant pas souvent de la lourdeur bureaucratique: : "à César ce qui appartient à César". Certes nul n'est indispensable et les cimetières regorgent de gens plus valeureux qu'Aziz et moi.

Mais il y a urgence, car nous constatons que notre Armée s'identifie depuis quelques semestres au syndrome de l'immobilisme, comme si elle était frappée par un coup de grisou : alors stratégie du dos rond ou burn out en attendant le psy? Oui notre Armée marque le pas, gère tout au plus le quotidien et surtout nous avons le sentiment en nos âmes et consciences qu'elle ne se projette plus vers l'avenir.

Or "être une conscience" c'est aussi appréhender le futur, c'est se "projeter, s'éclater vers l'avenir" comme le disait bien le philosophe Sartre. L'Armée Nationale étant un patrimoine commun, non des moindres, le dernier verrou avant l'apocalypse, nous serons exigeants et sensibles à tout ce qui peut la cerner ou concerner de près et de loin.Vous n'ignorez pas qu'en 2021 la Mauritanie va exploiter communément avec le Sénégal le gaz.

Empiriquement l'exploitation du gaz ou du pétrole engendre le plus souvent dans les pays à faibles revenus des soubresauts.

En voulant juguler le terrorisme, notre Armée a mis l'effort sur les 1ère, et 2ème régions militaires et dans une moindre mesure la 5ème région. Pourtant Néma est une région stratégique ne devant pas faire figure de parent pauvre. Il lui faudrait aussi son général commandant la région, une demi-escadrille d'avions pour réhabiliter son aéroport international.

Un effort conséquent doit être mis également sur les 6ème et 4ème (Sélibaby) régions militaires afin de parer à toute surprise. Comme on peut le constater, la stagnation est incompatible avec la situation géo-stratégique qui sévit dans notre sous-région., car ça doit bouger comme si on était en conflit permanent.

D'ailleurs nous le sommes puisque notre ennemi est coriace, vit le plus souvent parmi nous et risque un jour de profiter de l'immobilisme voire de la stagnation dont nous faisons preuve depuis quelque temps.

A/La logique du tiers exclu:

En tant que chef suprême des Forces Armées, deux options se présentent au président Ghazwani et qui détermineront la stratégie modulaire de notre Armée les dix ou quinze années à venir.

1: Soit le ministère de la défense devient l'organe central de conception de toute notre doctrine d'emploi. Dans ce cas toutes les armes satellitaires, à l'exception des Transmissions et du train; à savoir l'Intendance, la Dirmat, le Génie, les bureaux 1,2,3, etc..éliront domicile chez le général de la 2éme section Hanené Ould Sidi Ould Hanené désormais ministre de la défense nationale.

Ainsi les écoles de Guerre et d'Etat-Major seront pilotées à partir de l'organe de conception. Dans ce cas de figure l'Etat-Major National retrouvera sa mission initiale d'organe d'exécution sous les ordres d'un ministère cependant tentaculaire voire bureaucratique comme on peut le constater dans la plupart des démocraties du monde.

Ici l'avantage est que le chef d'Etat-Major aura les coudées franches, deviendra plus léger en se débarrassant de la gestion des deniers publics. Le chef aura la possibilité en un clin d’œil d'exprimer ses besoins, de convoquer ses grands subordonnés désormais réduits au nombre de deux : l'adjoint au chef, le chef d'Etat-Major de l'Armée de Terre; ou cinq au plus avec le chef des Renseignements militaires, les patrons de la Marine et de l'Aviation.

2/ Soit l'Etat-Major des Forces Armées met la main sur le grappin, comme c'était le cas et le ministère de la défense ne sera comme d'habitude qu'un instrument de planification, une passerelle de prestige d'où transite le courrier allant ou venant de la présidence de la république.

Dans ce cas de figure il faut également un chef d'Etat-Major fort de la trempe d'un Ahmedou Ould Abdallah, d'un Cheikh Sidahmed Ould Babamine, d'un Yall Abdoulaye ou du charismatique Mohamed Ould Ghazwani. Rares sont actuellement les généraux d'envergure, je veux dire de poigne, même si la majorité de ceux qui sont en activité actuellement est compétente au plan strictement militaire.

Parmi les poids lourds que nous avons actuellement sous la main, à un certain moment on parlait du général Mohamed Ould Meguett à l'Etat-Major National (belle initiative si elle venait de se concrétiser) couplé d'un jeune adjoint divisionnaire ou brigadier, mais compétent et qui s'occupera des opérations. L'éventualité d'aider le chef et son adjoint d'un chef d'Etat-Major de l'Armée de Terre avec toutes ses prérogatives, son staff, doit également se concrétiser.

B/Nos ennemis sont coriaces et toujours là:

Ce n'est pas parce que nous n'avons plus subi d'attaque depuis quelques années que nous devons relâcher la pression ou crier victoire. Une Armée de métier doit toujours se remettre en cause, en procédant à la technique de l'instruction et la tactique de la manœuvre permanentes.

Nos officiers doivent se recycler constamment, sur le terrain, au niveau des organismes internationaux, suivre des conférences cycliques dans notre nouvelle Ecole de Guerre, qui elle doit être "poreuse à tous les souffles" venant d'ailleurs. Les militaires du rang et les cadres sous-officiers, ossature de toute Armée doivent subir des stages adéquats et ce, périodiquement.

Attention nous observons une période d'accalmie où rien ne bouge, aussi bien du côté de nos ennemis mais également du nôtre.!!! Le monde entier nous a concédé la suprématie sur les terroristes et les trafiquants qui écument le Sahel.

Mais il ne faut pas que cette dissuasion et son lot de "lauriers" s'érige en narcissisme au point de nous surprendre un jour dans notre hibernation. Si l'ennemi décèle une brèche pour ensuite attaquer, son exploit le dopera; il recommencera et encore. Alors le mythe de l"inviolabilité" de nos frontières, hérité du temps de Mohamed Abdel Aziz tombera en désuétude.

Ainsi nous irons compléter la liste du peloton des pays tels le Mali, le Burkina et le Niger incapables de prendre le dessus sur quelques bandits. Car une meilleure Armée ne se décrète pas, elle se forge par l'abnégation, la formation et le courage./.

Ely Ould Krombelé, France



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