Cridem

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16-01-2012

09:22

Lô Gourmo Abdoul : Cinq ans c’est cinq ans et novembre n’est pas avril !…

J’ai bien vu la réaction de M. Takioullah Ould Eidde à mon intervention au Colloque de l’Institution de l’Opposition Démocratique et l’en remercie vivement tant il est nécessaire que les mauritaniens, spécialement les « juristes » (dont c’est le métier) donnent et, si possible, fondent leur opinion sur une question aussi importante que celle portant sur les conditions dans lesquelles le Président de la République peut ou non reporter des élections dont la date est imprimée sur la table d’airain de la constitution.

M. Takihoulla a relevé que l’Article 47 de cette constitution ne dit rien à propos de l’expiration des prérogatives de l’Assemblée comme j’ai pu l’affirmer dans mon intervention orale transcrite. Je lui en donne acte bien sûr, sauf à préciser que cet article 47 (qui fixe le mandat des députés à 5 ans) est complété par une loi organique, (ordonnance n° 91-028 du 7 octobre 1991) qui dit ( et c’est là où c’est limpide) : « Les pouvoirs de l’Assemblée expirent à l’ouverture de la session ordinaire du mois de novembre à la cinquième année qui suit son élection ».

Il n’ya donc nul besoin de justification par ce qu’il appelle joliment, une interprétation de « tordage » des textes. Cinq ans, c’est cinq ans et novembre n’est pas avril !!

L’inconstitutionnalité du report des élections ne fait l’objet d’aucune discussion sérieuse et l’ « avis » délivré par le conseil constitutionnel, à la demande d’un Premier Ministre aussi incompétent à le faire que le Conseil à le lui donner, ne fait que le confirmer avec un éclat tout particulier…Il faut en effet lire cet avis étrange à tous points de vue, pour le croire !!

Et si M. Takihoullah affirme que le Président de la République peut saisir le conseil constitutionnel aux termes de l’article 49 de la constitution, il fait carrément fausse route car cet article a exclusivement trait à la compétence du conseil siégeant « en cas de contestation sur la régularité de l’élection des parlementaires et sur leur éligibilité ».

D’autre part, l’invocation verbeuse de l’article 24 de la Constitution suivant lequel « Le Président de la République est le gardien de la constitution. Il incarne l’Etat. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement continu et régulier des pouvoirs publics. … » ne mène ici nulle part. Car, précisément le rôle d’un gardien est de veiller au respect du bien mis sous sa protection, en l’occurrence la constitution. Et non pas à l’altérer.

En tant que Gardien de la constitution, le rôle du Président aurait dû être de veiller à ce que l’état-civil ne soit pas détruit de façon à rendre absolument impossible de respecter le calendrier électoral constitutionnalisé pour les législatives tout au moins- ce qui pour les non naïfs est la cause principale de la crise institutionnelle qui frappe désormais le pays !

Comme gardien de la constitution, son rôle était de veiller à ce que novembre soit novembre et que cinq ans soient cinq ans et pas cinq et demi ou six !

Au lieu de cela ; écoutant sans doute des conseils aussi avisés que ceux de M. Takioullah, le Président a détérioré le cycle constitutionnel normal et compromis toute possibilité de tenir les prochaines échéances électorales dans les conditions de temps, de régularité et de transparence imposées par la constitution de notre pays. C’est dommage car des solutions juridiques et politiques toutes simples étaient possibles qui nous auraient évité la crise actuelle de nos institutions….

En effet, si constatant, même de son propre fait, une impossibilité de tenir à la date fixée par la constitution, la tenue de ces élections législatives, le Président de la République, comme gardien de la constitution ne pouvait faire qu’une seule chose : demander la modification de cette date par la seule autorité compétente en la matière à savoir le pouvoir constituant, c’est à dire le peuple souverain.

Soir directement, par referendum constitutionnel (art 38 de la constitution) soit par ses intermédiaires attitrés, les députés de l’Assemblée nationale, réunis en congrès pour le vote d’une loi constitutionnelle, avec une majorité des 3/5 ème , il est vrai, des suffrages (article 101). Le tout, avant l’expiration du mandat des députés, soit avant le joli et tout frais mois de novembre nouakchottois…

C’est tout ce que le Conseil constitutionnel, même s’il était compétent, pouvait conseiller non au Premier Ministre (qui n’est gardien de rien du tout dans notre constitution !) mais au Président de la République. Car, quoi que l’on puisse en dire, un Décret présidentiel, acte administratif, ne peut en aucun cas modifier une loi, à plus forte raison de valeur constitutionnelle. Et c’est là où était le piège et c’est là où est tombé l’Exécutif !…

Concernant enfin les rapports entre l’expiration du mandat des députés et la poursuite de leur participation dans la présente session dont je dénie la légalité, M. Takioullah note , qu’il « il faut reconnaitre que les prérogatives de l’Assemblée et la durée de son mandat forment "un Tout" qui est indivisible.

Alors, soit on est dans le train soit on ne l’ est pas »
, pour dire qu’il faut soit convenir de l’illégalité de la session et donc ne pas y participer, soit, au contraire en admettre la régularité et continuer d’y siéger.

C’est, à peu près, ce que mon ami Ould Oumeïr a reproché à l’opposition qu’il accuse de « complicité » dans la commission de l’illégalité que constitue pour lui aussi la tenue de cette présente session parlementaire », du fait que ses députés continuent malgré tout de siéger dans cette Assemblée illégale, avant de conclure par hyperréalisme « On y est…on y reste (dans cette Assemblée ).». Mais il n’est pas bien difficile d’admettre que l’expiration des prérogatives de l’Assemblée ne peut nullement signifier la fermeture des portes de l’Assemblée et la dispersion des députés dans la nature jusqu’à l’élection des prochains élus du peuple !

Car, cela voudrait dire que l’un des trois principaux pouvoirs de l’Etat (à côté de l’Exécutif et du Judiciaire) aurait cessé de fonctionner durant toute cette période, en violation du principe fondamental de continuité de l’Etat. Quoi qu’il advienne, aucun de ces pouvoirs ne peut jamais, jamais, cesser de fonctionner. C’est ce qui explique la disposition-relais suivant laquelle les anciens députés restent en fonction malgré l’élection des nouveaux jusqu’à la dernière session de novembre de la cinquième année, date à laquelle seulement prennent fin leur mandat.

Tant que de nouveaux députés ne sont pas élus, les anciens conservent leur mandat car le peuple souverain ne peut jamais manquer de représentants. Peu importe le temps que durera la tenue des élections qui renouvelleront ses représentants. Cependant, l’Assemblée ainsi composée n’a plus de prérogatives autres que l’expédition des affaires parlementaires courantes, à savoir le vote des lois de fonctionnement routinier de l’Etat et, surtout, les débats parlementaires au cours desquels le peuple pourra être éclairé de la réalité de ce qui arrive.

C’est la fonction parlementaire de base, la fonction tribunitienne, la fonction résiduelle à laquelle se limite le Parlement quand il est vidé de toutes ses autres. Il n’ya donc aucun antagonisme de principe entre la poursuite de la vie de l’organe parlementaire, la conservation du statut de députés de ses membres et l’expiration de leur mandat.

C’est ce que tout le monde comprend quand il s’agit de l’organe exécutif où cette « expédition des affaires courantes » est admise sans peine (démission ou empêchement des membres d’une institution, Coup d’Etat instaurant une situation de fait parfaitement illégale etc…). J’ai bien peur qu’il faille s’habituer aussi à ça, en Mauritanie pour le Parlement !

Lô Gourmo Abdoul


 


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