Le projet s’inscrit dans le cadre de l’utilisation du téléphone mobile comme moyen d’améliorer l’impact de l’action de la Caisse nationale d’assurance maladie de Mauritanie (CNAM). Face au manque d’infrastructures, le SMS vient au secours de la santé.
Résultat : les délais de remboursement sont ainsi passés de 3 mois à 4 jours et les coûts de gestion ont baissé de 50%. Abdel Aziz Ould Dahi, l’un des initiateurs de ce projet nous explique l’impact de la solution sur la Mauritanie.
La CNAM est un établissement public à caractère administratif créé en 2007 dans l’objectif d’assurer une couverture maladie progressive à toute la population et de contribuer à améliorer l’offre nationale de santé.
Cet organisme, avec ses démembrements à l’intérieur du pays, peut être considérée comme une plateforme d’échange d’informations qui se place au cœur d’un réseau, impliquant un ensemble d’acteurs : les employeurs, les assurés, les prestataires de soins, les pharmaciens, les fournisseurs etc. L’optimisation de ses processus est donc au centre de son action, notamment à travers le développement de ses capacités en technologies de l’information et de communication.
N’importe quel bureau de poste
La CNAM est aujourd’hui interpellée par des défis sérieux liés à l’extension de l’assurance maladie à d’autres catégories de la population, aux exigences sociopolitiques, à l’insuffisance des moyens et l’étendue du territoire. Les procédures de la CNAM en matière de remboursement des prestations ambulatoires (consultations, médicaments, actes dentaires, etc.) sont fortement décriées par les assurés pour différentes raisons:
- - Le délai de remboursement très long (trois mois en moyenne) qui prive l’assuré d’un revenu qu’il peut utiliser pour d’autres priorités (alimentation, dépenses quotidiennes, etc.)
- - La faible couverture géographique des banques qui oblige les assurés à se déplacer sur des centaines de kilomètres pour percevoir leur remboursement
- - Le coût des virements bancaires (350 UM, soit l’équivalent de un euro par virement pour des remboursements parfois en deçà de ce montant)
- - Le manque d’information sur les dossiers des assurés (motifs de rejet, montant payé, date virement, etc.)
- - Et, en général, la faiblesse des infrastructures, un taux d’analphabétisme élevé, un faible niveau de vie, etc.
Pour faire face à ces obstacles, la
CNAM a mis en place un mécanisme innovant de liquidation des remboursements qui fait appel à l’usage de la technologie SMS : les assurés peuvent se présenter au niveau du guichet de n’importe quel bureau de poste (et plus tard au niveau de n’importe quel agent agréé : commerçant, vendeurs de cartes téléphoniques, stations services, etc.) pour percevoir leurs remboursements.
Ce service sera généralisé sur toute l’étendue du territoire à l’issue d’une phase pilote qui a démarré en septembre 2011et qui durera six mois pour l’observation et l’analyse des résultats du projet.
Une innovation institutionnelle aussi
L’approche envisagée s’inscrit dans le cadre d’un partenariat public-université-privé (PPUP) qui regroupe :
- - La CNAM en tant que maître d’œuvre du projet
- - La Poste mauritanienne (Mauriposte) pour la logistique et le transfert d’argent ;
- - Les opérateurs de téléphonie mobile en Mauritanie pour l’utilisation de l’infrastructure du réseau mobile
- - Le Centre d’étude et de recherche d’Aix-Marseille (CERGAM), école doctorale de l’Institut de management public et de gouvernance territoriale (IMPGT) de l’Université d’Aix-Marseille 3 pour la validation scientifique du projet
- - Les partenaires publics et privés acteurs du monde des télécoms.
Le mécanisme de liquidation de ces remboursements fait appel à l’usage de la technologie SMS pour l’information des assurés sur leurs dossiers déposés à la
CNAM ainsi que sur les possibilités de retrait des remboursements des prestations d’assurance maladie dans les guichets de la Mauriposte prévus à cet effet.
Un projet de recherche également
Ce projet s’inscrit également dans le cadre d’une recherche universitaire qui s’intéresse à étudier l’impact des innovations technologiques sur le développement. La recherche s’intéresse à déterminer les conditions nécessaires à l’intégration du téléphone mobile dans les processus de gestion de la
CNAM. La technologie SMS est utilisée pour optimiser le remboursement des prestations médicales ambulatoires aux assurés, dans l’optique d’améliorer les performances de la
CNAM et de référer celles-ci à la satisfaction d’objectifs globaux de développement et de lutte contre la pauvreté. Elle déterminera les facteurs qui influencent l’adoption ou le rejet par les populations concernées de cette technologie.
Le développement et la mise à l’essai d’un modèle d’innovation technologique au sein de la
CNAM se déroulent dans une perspective de recherche-action qui place la
CNAM et les assurés au cœur de l’élaboration du modèle. Le modèle met en évidence un processus d’innovation par l’usage du téléphone mobile provenant des utilisateurs, au sens d’«
innovating users » d’
Eric Von Hippel (Von Hippel, 2005).
Pourquoi le téléphone mobile ?
En
Mauritanie, l’engouement pour le téléphone mobile (le taux de pénétration y est de plus de 75%) s’explique sans doute par le besoin de la population d'accéder à des ressources qui amplifient leur marge de manœuvre à l'endroit d'un environnement politique et économique caractérisé par la pénurie : pénurie des infrastructures, des prestations d'intérêt général, des emplois, des soins, de l’éducation. A titre d’illustration, la couverture géographique des banques ne concerne que les capitales de régions et le taux de bancarisation est de moins de 8%. A cela s’ajoute certaines caractéristiques spécifiques à la
Mauritanie :
- - Géographie : un pays immense de 1,2 million de km2, en majorité désertique, mais où les infrastructures doivent être dimensionnées à la taille d’une région européenne de 3,5 millions d’habitants
- - Population : une densité faible (3 habitants/km2), mais une forte urbanisation et une concentration à proximité du fleuve Sénégal, des axes routiers ou en îlots
- - Secteur privé « informel » : une double économie existe, l’économie « officielle » qui apparaît dans les statistiques et l’économie « informelle » qui représente vraisemblablement la moitié de l’économie officielle
- - Culture orale : la communication écrite est reléguée au second rang (quelques rares journaux quotidiens, peu diffusés)
- - Nomadisme et esprit d’indépendance : le Mauritanien reste nomade et très mobile même s’il tend à se sédentariser
- - Liens familiaux étroits et éclatement des familles : les enfants rejoignent les villes, mais le lien familial reste très fort (communications ou voyages réguliers, transfert d’argent).
Pour autant que le budget télécoms ne vienne pas ponctionner les postes de dépenses vitales (alimentation, santé), il est légitime de s’interroger sur sa contribution réelle au bien-être de la population. Son usage peut se révéler toutefois structurant en tant que moyen de développement des capacités de la population, nomade encore en partie, comme pour le cas du transfert d’argent par exemple, car il existe un véritable besoin auquel les établissements financiers ne savent pas répondre.
Premiers résultats
Même s’il est encore trop tôt pour une évaluer l’impact du projet, les premiers résultats sont très encourageants et dénotent d’un engouement certain des assurés à accompagner le projet. A titre d’illustration les délais de remboursement ont été réduits de trois mois en moyenne à quatre jours et les coûts de gestion ont baissé de 50%.
Article de
Mohamadou Diallo paru dans le magazine
CIO MAG No 19
www.cio-mag.com
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