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13-06-2012

11:43

Niang Souleymane, représentant en Mauritanie du groupe Decameron:

'L’ADG de la SNIM a remis en cause tout ce qu’on a fait avec son prédécesseur, ce qui a fini par nous convaincre que cette société ne veut plus travailler avec nous'. 

En janvier 2010, le groupe Decameron, basé à Londres, décide de reprendre la gestion de l’hôtel Marhaba, propriété de la SNIM, duquel le groupe Accor venait de se désengager pour des raisons de sécurité et de marketing.

L’accord, signé entre les groupes, se passe sans incident majeur. Decameron avait un plan d’investissement prévoyant la rénovation de l’hôtel aux normes standard internationales pour en faire un quatre étoiles. La SNIM avec Taleb Abdi Vall se montre très intéressée mais les procédures sont tellement lentes que l’ADG part sans formaliser l’accord.

Le nouveau directeur général déclare ne pas être au courant du projet de rénovation de l’hôtel et de la construction de bases de vie au profit du Projet Guelbs II.  ‘’Tout en cherchant à tout prix à éviter une issue conflictuelle à l’affaire, Decameron demeure ouvert à toute perspective avec la SNIM ou sans elle pour investir en Mauritanie’’, selon son représentant.  

Le Calame : Vous êtes revenu en Mauritanie pour gérer, au nom du groupe Decameron, le Marhaba dont Accor venait de se désengager. Comment s’est passé le passage de témoin ?

Niang Souleymane : Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de répondre aux tirs à balles carrément chauvinistes d’un peshmerga qui essaie, en un français exécrable, de travestir la réalité de la situation de l’hôtel Marhaba. Son cocktail, truffé d’ingrédients indigestes, dénote son mépris des plus élémentaires règles de journalisme, à savoir la vérification des informations à porter à la connaissance des nombreux lecteurs du Calame, habitués à un journal pionnier de la liberté de la presse et fidèle à la ligne directrice de son fondateur El Marhoum feu Habib Ould Mahfoud.

Il faut souligner, tout d’abord, que son Excellence Ousmane Kane est aux antipodes des supputations de ce plumitif. S’il y avait eu, à chaque régime depuis notre indépendance, un seul argentier de sa trempe, le pays ne serait pas au stade de sous-développement où il croupit aujourd’hui encore. Un homme intègre, patriote, dont la compétence est reconnue par tous et dont aucune chronique ne peut s’autoriser à entacher gratuitement la réputation. Quel gâchis que la brièveté de sa participation à la gestion économique et financière du pays !

Ensuite, cet apprenti journaliste me taxe d’ancien flamiste. Un honneur qu’il convient de souligner. Un des mérites du FLAM est d’avoir révélé, par le « Manifeste du Négro-mauritanien opprimé », publié en 1986, à l’opinion nationale et, surtout, internationale, preuves statistiques à l’appui, l’ampleur de la marginalisation des Noirs en Mauritanie. Aujourd’hui, cela se vérifie au point même que le FLAM a été débordé, à sa gauche, par des mouvements plus radicaux, comme l’IRA et TPMN.

Même si les plaies, longtemps béantes, des années de braise sont en train de cicatriser, lentement, par la libération de la parole, tout d’abord, la criminalisation de l’esclavage et le début du règlement du passif humanitaire, ensuite, nul ne peut nier la réalité d’un pays où tous les dockers, les charretiers, les portiers, les maçons, les menuisiers, les mécaniciens, les vendeuses de couscous, les serveurs et cuisiniers des restaurants...

...les cultivateurs, les subalternes des corps constitués, les éboueurs et autres nettoyeurs de voierie sont des noirs tandis que tous les directeurs de banque, les gros commerçants, les officiers supérieurs, les ambassadeurs, les directeurs de sociétés, les préfets et gouverneurs sont des blancs. Tant que persistera cette bipolarité sociale d’un même peuple, des mouvements comme le FLAM existeront. Rien ne sert de les diaboliser.

Depuis cinquante ans, on se borne à nier l’évidence, sans chercher à changer, réellement et positivement, les choses. Etre flamiste, c’est continuer à refuser la discrimination, l’arbitraire et plaider pour une Mauritanie démocratique et égalitaire où tous les fils du pays seront des citoyens de plein droit.

Bref. Revenons-en au peshmergha qui nous agresse. Monsieur Beheite, pourquoi ce pamphlet, alors que notre contact est affiché à l’hôtel, pour toute information concernant sa fermeture ? Il y a lieu de démentir vos allégations sans preuves, par respect pour les lecteurs du Calame. Tout d’abord, la fermeture de l’hôtel n’a qu’un motif : il ne tient plus et son exploitation exige une réfection qui dépend autant de la SNIM que de nous.

Contrairement aux allégations, fallacieuses, de Beheite, toutes les indemnités de licenciement des employés ont été payées, en stricte application des lois et réglementations en vigueur, sous la supervision de l’Inspection Régionale du Travail de Nouakchott. Mieux : durant les plusieurs mois de fermeture, nous avons assuré le paiement intégral des salaires, ainsi que les primes et autres avantages.

En outre, nous sommes disposés à examiner toute réclamation concernant le licenciement. Le groupe Decameron et moi-même avons mis, dès le début de la crise, les droits des employés en priorité des priorités. Payer des primes de rendement et avantages, alors que l’Hôtel est fermé, en est la preuve indéniable ! Sur ce registre, nous n’avons pas failli.

Je joins, d’ailleurs, la copie de l’attestation de l’Inspection du Travail pour servir ce que de droit. Pour le reste et en vrac, il n’y a jamais eu de femmes de chambre recrutées par la SOMAPRESCO pour travailler au Marhaba ni de directeur allemand. Le Groupe Accor n’appartient pas à Decameron. Affirmer le contraire reviendrait à dire qu’Air France appartient à la défunte Air Mauritanie.

Venons-en à votre question. Je ne suis pas revenu au pays pour gérer le Marhaba mais pour coordonner et développer les futurs investissements de notre groupe en Mauritanie. C’est en 2007 que j’ai commencé à travailler avec Decameron, déjà présent au Maroc et au Sénégal. Suite à la détérioration de la situation sécuritaire dans la sous-région et à sa nouvelle politique, le Groupe Accor a proposé à Decameron la cession de son bail de l’hôtel Marhaba.

Decameron, ne connaissant pas assez la Mauritanie, a hésité, jusqu’à mon arrivée. J’avais des arguments. Tout d’abord, les potentialités, énormes, de notre pays, en matière de tourisme et hôtellerie ; ensuite, la capacité d’un secteur à résorber, substantiellement, le chômage. Compte-tenu de l’échec patent de l’école mauritanienne, ce sont des milliers de jeunes susceptibles de trouver emploi dans le secteur, à l’instar du Sénégal voisin.

Une lettre d’intention a été adressée à notre futur bailleur, la SNIM, avant de signer quelque contrat que ce soit avec Accor. En avril 2009, le directeur général de la SNIM nous a reçus à Nouadhibou où sera évoquée la reprise de l’hôtel par notre groupe, tout en précisant que les transactions se feront entre nous et Accor. En octobre 2009, est conclu l’accord de rachat. En janvier 2010, nous reprenons, effectivement, la gestion de l’établissement, en garantissant, aux employés, la continuité de tous leurs avantages et droits, par un accord signé avec leurs délégués.

Accor est parti avec deux principales ardoises, à savoir les arriérés de loyer à la SNIM et les impôts, soit 119 millions d’ouguiyas. Après la reprise, nous avons procédé au paiement des premiers. Dès octobre 2010, une demande de dégrèvement a été adressée à la Direction des Impôts et nous avons obtenu un accord de principe verbal, jamais suivi d'effet.

En juin 2010, suite à nos différents échanges, la SNIM nous demande de lui adresser des propositions sur la fondation d’une base de vie, à soixante kilomètres de Zouérate, pour le Guelbs II, la rénovation et l'extension de l’hôtel Marhaba. Dès novembre 2010, un Avant-Projet Simplifié (APS) pour la rénovation de l’hôtel et la fondation de la base de vie à Zouérate sera remis à la SNIM.

En 2011, changement de directeur à la SNIM. L’ancien part, sans acter, par signature, le nouveau protocole de partenariat entre notre groupe et la SNIM. L’année 2011 a été catastrophique, pour l’exploitation de l’hôtel. Suite à la dégradation des conditions sécuritaires, Air France avait cessé de loger son personnel navigant à Nouakchott, dès le deuxième semestre 2010, d’où une chute très importante de notre chiffre d’affaires.

Après moult tentatives, nous serons, finalement, reçus, le 9 juin 2011, à Nouadhibou, par l’actuel directeur de la SNIM. Dès l’entame de la réunion, il nous prend de haut et affirme, sans nous convaincre, ne pas être au courant des projets que son prédécesseur nous a demandé de développer, en partenariat avec la SNIM et pour l’étude desquels notre groupe a préfinancé des montants importants.

La SNIM, propriétaire du Marhaba, a-t-elle joué le jeu ?

Oui et non. Oui avec Ould Abdi Vall, même s’il y a lieu de déplorer une certaine lenteur dans les procédures administratives de la SNIM. Non avec Ould Oudaa qui ne veut rien comprendre et remet en cause tout ce que nous avions ébauché avec son prédécesseur. Cette attitude a fini par nous convaincre que la SNIM ne veut plus travailler avec nous. D'ailleurs, la SNIM, qui prenait beaucoup de nuitées à l'époque Accor, avait cessé sa collaboration avec l'hôtel, dès le départ de monsieur Abdi Vall.

A l’issue de notre réunion du 9 juin 2011, le DG actuel de la SNIM nous promet de nous faire parvenir sa réponse, concernant la réfection de l’hôtel et la suite de notre partenariat. Quelques semaines plus tard, il nous fait parvenir, en lieu et place de réponse, une mise en demeure pour le paiement des arriérés de loyer. En août 2011, sera payée, à la SNIM, la totalité des arriérés, avec, même, un trop perçu de 700 000 UM.

Conforté par ce acquittement, je continuais à croire en la suite positive de notre partenariat, même si certains, au sein de Decameron, s’impatientaient et prêtaient attention à des commentaires du style « tant que le représentant de Decameron est un noir, il n’y aura pas de perspectives pour le groupe en Mauritanie. Il faut un maure, pour que cela marche ». Un challenge, pour moi, afin de démontrer que cela ne tient pas car mon pays est dans la voie du changement et, me recevant avec monsieur Gras, Son Excellence le Président de la République, Mohamed Ould Abdel Aziz, a rehaussé ma fierté de Mauritanien.

Est-il vrai que la SNIM a refusé de prendre en charge les frais de réfection de l’hôtel qui commençait à se délabrer, ce qui a provoqué le départ de la clientèle ?

La vétusté de l’établissement et la défaillance des moyens d’exploitation sont réelles. Nous avons commis un expert architecte pour faire un état des lieux dont les conclusions sont sans appel pour la réfection du Marhaba. La SNIM a commis, de son côté, un expert dont les conclusions recoupent, en grande partie, celles du nôtre.

Il ne s’agissait, donc, plus que de déterminer, avec la SNIM, qui fait quoi. En tout état de cause, la SNIM se devait de commencer les travaux de gros œuvre avant les travaux d'entretien et d'aménagements intérieurs dont certains incombent au locataire que nous sommes. En tant qu’investisseur, nous étions prêts à financer l’ensemble des travaux à notre charge, sans appel de fonds de la SNIM, à condition que celle-ci commence les travaux qui incombent au propriétaire.

Nous avions, même, envisagé de faire l'avance de tous les travaux, si la SNIM avait joué le jeu d'un partenariat durable, mais demandions, en contrepartie, à la SNIM, de proroger, dès à présent, le bail pour une durée de 15 ans, comme le bail initial, afin de nous permettre d’amortir le coût, très important, des travaux qui auraient permis de porter la capacité de l’hôtel à 130 chambres, au standard 5.

Cela est d’autant plus faisable que le contrat de bail court jusqu’en 2015, avec tacite reconduction de 9 ans. Au lieu de cela, notre partenaire nous demande la remise des clefs de l’établissement. C’est son droit mais il va falloir nous dédommager, pour la rupture anticipée de bail.

A vrai dire, nous n'avons pas compris les motivations de la SNIM car notre proposition était intéressante pour tous. Mais, quand la SNIM a publié un appel d'offres, pour la construction et l'exploitation d'un nouvel hôtel, situé vers le Palais des congrès, les choses se sont, brusquement, éclaircies.

Vous avez porté l’affaire devant le tribunal de commerce de Paris. Cela signifie-t-il que toutes les voies de recours ont été épuisées ?

Non mais nous en approchons, même si notre volonté de trouver un accord à l’amiable reste entière. Cependant et encore une fois, les intentions de la SNIM ne sont pas claires. Dans un courrier en date du 8 mai 2012, elle nous proposait de nous dédommager de la résiliation anticipée du bail, en supportant 50 % de ce que nous devons aux impôts. Nous avons répondu, le 21 mai 2012, que nous sommes d'accord sur le principe mais pas sur le montant et avancé une contre-proposition.

Après une attente de deux semaines, la SNIM change son fusil d'épaule et nous demande d'entamer les travaux que nous lui avons proposés, voilà plus d'un an… En réalité, nous pensons que la SNIM, pour des raisons qui lui sont propres mais probablement liées à la construction d'un nouvel hôtel, ne tient plus à prolonger son partenariat avec nous.

Néanmoins, notre groupe a des ambitions certaines de développement dans le pays et peut prétendre à participer efficacement au développement de son secteur hôtelier et touristique car notre expertise en la matière se vérifie partout dans la sous-région. Pourquoi pas dans ma chère patrie, la Mauritanie ? Tant que je continue avec Decameron, la Mauritanie pourra compter sur ce groupe. De fait, toute cette histoire aurait pu être évitée et assurée la continuité de l’emploi des 85 employés de l’hôtel.

Mais, bon. La SNIM a plein droit de résilier par anticipation. Elle doit, cependant, accepter de nous dédommager, à simple hauteur du préjudice subi, préjudice qui nous a conduits, notamment, au licenciement des employés, pour un coût de plusieurs millions d’ouguiyas, comme le prévoit la loi et nous, de notre côté, pourrons continuer à explorer d’autres projets dans le pays.

Nous allons d'ailleurs adresser une lettre en ce sens au président de la République pour l’éclairer sur la situation et lui confirmer nos ambitions en Mauritanie, en traçant notre propre chemin, tout en restant à la disposition de l'Etat ou de la SNIM, si elle en émet le souhait.

En conclusion, je voudrai dire combien je trouve que cette aventure est un grand gâchis car les investisseurs ne se bousculent pas, en Mauritanie, dans ce secteur d'activité. Bien au contraire, hélas ! Il me semble donc qu'il eût était plus opportun de nous encourager. Cela aurait pu faire tache d'huile et d'autres investisseurs se présenteraient aujourd’hui, pour enfin développer le tourisme et l’hôtellerie, dans un pays disposant de plus de 700 kilomètres de côtes magnifiques.

Propos recueillis par AOC

 


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