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Khalifa Ababacar Sall, maire de Dakar : «Wade avait juré de me mettre en prison»
La situation de la bande saharo-sahélienne de l’Afrique est un sujet de préoccupation. Vous avez raison. Moi, je travaille à National security concil comme adviser. Je suis dans un think tank qui s’occupe de cette zone parce que je suis consultant en gouvernance.
Nous avons tenu notre dernière réunion à Tunis, il y a trois semaines. C’est pour dire qu’aujourd’hui, nous sommes tous conscients du danger. Toute cette bande, qui s’étend de la Mauritanie à la Somalie, est une zone d’instabilité. On y retrouve des armes, de la drogue, etc. C’est surtout cela ; parce que la menace religieuse, c’est plutôt un peu le soubassement. «Mais la manifestation de la situation d’instabilité, c’est parce que c’est une zone de trafic de drogue, c’est une zone de vente d’armes.
Tous les peuples minoritaires, surtout blancs qui ont refusé l’autorité des populations noires soudaniennes, sont tous aujourd’hui sous manipulation. Malheureusement, aujourd’hui, – je vais surprendre beaucoup de gens – à l’orée du conflit en Libye, j’avais dit aux gens : ‘Faites attention. Si vous faites sauter Kadhafi, vous faites sauter un verrou’. Les gens n’avaient pas compris et pensaient qu’on soutenait Kadhafi. Nous ne partageons aucune valeur avec lui. Malheureusement, cet homme avait réussi à fédérer toutes les minorités, tous les mécontentements de cette bande.
Aujourd’hui, le problème qu’on a au Mali, en Mauritanie, au Sud-Soudan, au Sud de l’Algérie, jusqu’en Somalie, ce sont les mêmes populations avec des appellations différentes : Touaregs par ici, Toubbous par là. Ce qui est grave, c’est que la religion y est ancrée. Il ne faut pas avoir peur de le dire. Ces groupes sont financés par le Qatar et l’Arabie Saoudite qui sont en compétition dans la gestion de l’islamisme sunnite.»
«Toute la bande sahélienne est un dépôt d’armes et de drogue»
«Tous les trafiquants de drogue ont leurs bases arrière dans cette zone. Ils utilisent des avions, mais ce sont des avions à perte. Quand vous mettez les anciens avions, les bœings 707 ou 708, vous les faites charger de drogue ; vous les faites atterrir ; vous retirez la drogue et vous brûlez les avions. Cette carcasse aura coûté combien ? 500 mille dollars ? Alors que ce sont quatre milliards de drogue qui sont disséminés. Voilà la vérité.
Aujourd’hui, toute la bande sahélienne est un dépôt d’armes et de drogues. Mais ces mercenaires, qui se battaient pour ça, ont commencé à avoir des velléités politiques. C’est ça la nouveauté. «Le président Amadou Toumani Touré (Att), quand les gens le dissuadaient d’accueillir les gens qui venaient de la Libye, il n’a pas compris. Ce sont les gens qu’il a accueillis, qui l’ont fait partir. Parce que, ce que les gens ignorent, c’est que le président Att n’avait pas l’intention de quitter le pouvoir. On n’allait pas avoir d’élection au Mali.
J’étais chargé d’évaluer les élections en Côte d’Ivoire, au Mali, en Guinée Conakry et en Guinée-Bissau. Selon les plans, il ne devait pas y avoir d’élection au Mali. A deux mois des élections, il n’y avait même pas de liste électorale. Vous avez suivi ce débat. Donc il faut que les gens restent vigilants.
«Le président Macky Sall a été informé de ces réalités. Ainsi, tous les spécialistes, tous ceux qui s’intéressent aux questions africaines ont été rassemblés par ses soins. Et aujourd’hui, des gens comme le Pr Bathily (Abdoulaye), comme d’autres experts sont réunis autour de lui pour l’informer. Parce que le danger, c’est quoi ? C’est que le Sénégal est dans un cercle de feu. Ceux qui ont envahi le Mali ont été hébergés, organisés en Mauritanie. Ça, au moins vous le savez. Ils sont partis de la Mauritanie pour rejoindre le Mali.
Quand on dit : «On intervient (militairement contre les terroristes)», la Mauritanie dit : «Je ne participe pas». Parce que si la Mauritanie les touche, les gens reviendront, parce qu’ils ont leurs logements en Mauritanie. «Je m’excuse de parler de ces détails (…). Comprenez en tout cas que la situation géopolitique et géostratégique est volatile. Et le Sénégal est dans un cercle de feu.
Je ne cite plus de pays, mais sachez qu’au Nord, le centre du pays, le pays qui se trouve au centre du Sénégal, les deux pays du Sud sont tous des zones d’instabilité. Ou c’est la drogue qui y circule, ou c’est une situation de non Etat. Donc, on a intérêt à rester très vigilant. (…)»
«En politique, quand on est désintéressé, on est libre et indépendant»
«Je voudrais que les gens comprennent que la situation socio-économique de notre pays est un terreau favorable. Aucun Sénégalais n’a intérêt à ce que cette situation de déliquescence, qui prévaut dans notre proche entourage, puisse être la nôtre. Il faut qu’on le sache dès à présent. C’est extrêmement important. C’est pourquoi, parfois, être politique, c’est s’oublier soi-même. Quand on a appris la politique, à part l’idéal, la foi, les convictions, la base de valeurs sur laquelle nous avons bâti notre formation, c’est le désintéressement.
Il faut toujours être désintéressé. Quand on est désintéressé, on est libre et indépendant. Si on n’est pas désintéressé, on est toujours dans la magouille et dans le calcul. C’est essentiel quand on fait de la politique. «Aujourd’hui, les gens de ma génération peuvent dire tout ce qu’ils veulent et à qui ils veulent parce que personne ne peut rien contre eux. Moi, je suis libre et indépendant. C’est ça le fondement de mon action politique. C’est ça que chaque Jeune étudiant et élève socialiste (Jees) garde et subit comme formation. Et c’est essentiel. C’est ce qui a été perdu dans nos formations politiques.
Pourquoi ne pas reprendre nos militants et les former pour qu’ils sachent qui ils sont, pourquoi ils se battent ? On ne se bat pas pour soi-même, mais pour quelque chose de plus important, de plus fort que soi-même, c’est-à-dire son pays, sa famille, son organisation. Malheureusement maintenant, avec deux à trois mois de militantisme, on veut être député, on veut être ministre. Après, on est surpris d’avoir des problèmes dans nos formations politiques. (…).»
«Wade avait juré de me mettre en prison»
«Ce que le Pds vit en 2012, c’est ce que nous avions vécu en 2000 : les audits, la chasse aux sorcières. Feu Pape Babacar Mbaye, Aminata Mbengue Ndiaye et moi, on nous a pourchassés pendant trois jours pour récupérer nos voitures. Pour ceux qui avaient des logements d’Etat, on les a foutus dehors au bout de quinze jours. Les autres ont été audités.
Personnellement, Wade avait juré de me mettre en prison. J’ai reçu deux missions de l’Inspection d’Etat et trois audits dans tous les ministères et directions que je gérais. Mais on nous a appris à être propres. C’est ça notre chance, on a aucun mérite. Aujourd’hui, le harcèlement que l’on note, on l’a tous vécu. Ce que vit le Pds en 2012, nous, nous l’avons vécu en 2000. Ce n’est pas nouveau». (…).