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Bios Diallo : La pensée de Frantz Fanon n’a pas pris une ride
Il est des pensées qui s’immobilisent à l’ombre d’un rocher. Des lignes qui en restituent parfois la teneur. Il en est ainsi de l’épitaphe Rebelle qu’Aimé Césaire écrivit à Frantz Fanon : « Bien sûr qu’il va mourir le Rebelle. Oh, il n’y aura pas de drapeau même noir, pas de coup de canon, pas de cérémonial. […] l’ordre évident ne déplacera rien.»
Les mots ont connu la prophétie : le Rebelle est mort. Rien ne s’est déplacé. Seulement, à Césaire de poursuivre : « On a beau peindre blanc le pied de l’arbre, l’écorce en dessous crie ».
Fanon, c’est le corps enjambé de la négritude dominicaine, mais surtout l’invisible césure d’avec plusieurs pensées. Pour l’indépendance de l’Algérie, il n’a jamais été dupe, malgré l’énergie du combat contre la colonisation et l’assimilation.
Cinquante ans après sa mort, la pensée de Fanon n’a pas pris une ride. Le proscrit d’hier est plus que jamais d’actualité. Car le contexte est celui de l’émergence de son déterminisme. De l’assassinat de Patrice Lumumba au Congo, à la nébuleuse guerre aujourd’hui enclenchée au Mali, sans oublier le bal des ridicules en Centrafrique, en passant par la succession de républiques bananières nimbées de sang, on demeure dans le champ de Peau noir masque blanc ! Car c’est une Afrique et ses dirigeants téléguidés qui s’offre à l’éternel spectacle.
En ces jours d’incertitude, on n’a pas trouvé mieux que de se tourner vers l’ancien maître au dos rond. Depuis des mois que les feux couvaient, voilà Bangui qui appelle à l’aide, et au Mali l’armée française en première ligne ! L’Opération Serval, simple cercle ovale avec une tête de pont blanche et une robe noire ! Profonde blessure, après 52 ans … d’indépendance.
Frantz Fanon était le chantre des générations contestataires. Son ombre demeure. Et comme souvent, l’Histoire abrège le sort des âmes fortes. Pour en faire des héros immortels : Lumumba, Thomas Sankara… Et lui n’avait que 36 ans !
Bios Diallo, Poète Mauritanien
Source : El Watan Week-end (Alger) du vendredi 18 janvier 2013