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Ibrahima Moctar Sarr, a propos de la marche du 09 février : « Notre démarche vise à créer les conditions d’une véritable réconciliation nationale »
L’AJDMR marchera le 09 février pour l’abrogation de la loi d’amnistie votée par le parlement mauritanien en 1993. C’est une loi qui fait obstacle a toute poursuite contre les présumés auteurs de violations massive des droits humains pendant la période 89-92. A une semaine a cette marche, nous avons rencontré Ibrahima Moctar Sarr, président de l’AJDMR. Entretien.
Cridem : Cette marche du 09 février veut-elle dire que votre parti privilégie la voie des poursuites judiciaires pour le règlement de la question du passif humanitaire ?
Le Passif humanitaire comprend les volets suivants : Le devoir de réparation, le devoir de vérité, le devoir de justice, le devoir de mémoire. Chacun de ses volets est important en soi et les trois sont liés. Le devoir de réparation concerne ce que j’appelle le passif humanitaire matériel.
Il s’agit du retour des déportés et leur réinsertion dans la société, la restitution de tous leurs droits comme les biens spoliés, le travail, les terres, les villages détruits, les pensions de retraite, les indemnités pour les droits non récupérables. Certains à l’époque avaient voulu subordonner ce devoir au devoir de justice. A l’AJD/MR notre démarche est autre.
Nous estimions que ce devoir (passif humanitaire matériel) ne pouvait plus attendre d’être résolu dés l’instant où les victimes sont identifiées et les torts connus. L’Etat doit agir immédiatement pour régler les problèmes d’existence et on a déjà attendu plus de vingt ans. Certains ayants droit sont décédés, les enfants nés des parents exécutés en 1990-1991 sont aujourd’hui majeurs, ils n’ont jamais été pris en charge. Les déportés revenus depuis longtemps vivent encore dans des huttes emménagées en face de leurs villages ou de leurs terres de culture occupées par d’autres.
Le Devoir de vérité lui implique la mise sur pied d’une commission nationale indépendante pour statuer sur ce qui s’est passé en vu de servir le devoir de justice et celui de mémoire. Durant les concertations nationales sur le passif humanitaire ayant rassemblé l’essentiel de la classe politique, cette revendication a été retenue.
Tout le monde savait que pour cela il fallait d’abord faire sauter le verrou de la loi d’amnistie de 1993 qui empêche toute action en justice. En dépit de cette loi, les auteurs des infractions visées ont fait l’objet de poursuite et en demeurent susceptibles en application de la convention internationale réprimant la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradant ratifiée par notre pays. Dans cette situation de confusion les victimes ne se retrouvent pas et continuent à réclamer justice et les auteurs demeurent exposés à tous les risques de poursuites en application des principes de compétences universelles et de l’imprescriptibilité de telles infractions.
Cridem: La présence de présumés auteurs d’exécutions sommaires et autres tortures au sein des forces armées ne constitue-t-elle pas un blocage a l’abrogation de cette loi d’amnistie ?
Il va sans dire que la présence de présumés auteurs d’exécution dans la hiérarchie des forces armées et même au niveau des institutions de l’Etat a empêché jusqu’ici que les décideurs prennent leurs responsabilités par rapport à cette question. C’est pourquoi à l’AJD/MR nous avons toujours pensé que cette affaire devait être traitée par les militaires entre eux d’abord. Nous sommes conscients que certains officiers supérieurs se sentent mal dans leur peau et veulent que les coupables soient démasqués et traduits devant les tribunaux pour ne pas continuer à salir notre armée et notre peuple.
Pour notre part en prenant cette initiative, nous voulons faire bouger les choses et encourager ceux qui sont désireux de voir ce problème réglé une bonne fois pour toutes dans la sérénité et la concorde nationale. Les victimes peuvent pardonner si on le leur demande car le pardon n’est pas une caution à l’impunité. Les exemples sud-africains et marocains peuvent nous inspirer car ces peuples ne sont pas plus civilisés que le notre. Il est donc possible de s’orienter vers cette justice transitionnelle qui permet de faire d’une pierre deux coups.
Cridem : En décembre 2012, dans les résolutions du Conseil national de l’AJDMR, figurait un appel lancé aux parlementaires pour « l’initiative d’une proposition de loi portant abrogation de l’amnistie de 1993. Votre partie n’a aucun parlementaire. Cet appel a-t-il été entendu ? Des sénateurs ou députés ont-ils réagi ?
L’AJD/MR n’a pas de parlementaires mais nous estimons que cette affaire concerne tous ceux qui sont désireux de voir ce problème solutionné dans la concorde. Il ne concerne pas les negros africains seulement mais toute la Mauritanie. Nous avons rencontré les députés de tous les bords et nous leur avons présenté la proposition de loi apprêtée par un avocat de renom à l’avant-garde de la défense des droits de l’homme pour ne pas citer Maître Ebéty et nous avons bon espoir qu’ils répondront à notre appel sans considération particulière.
Il faut surtout se rappeler que cette loi de 1993 avait été suggérée par trois nègro-africains et que lors de son vote seul le député de F’derick mr Habott s’y était opposé. C’est vous dire que notre démarche ne relève d’aucun caractère ethniciste mais s’inscrit dans un souci de créer les conditions d’une véritable réconciliation nationale.
Cridem: Les mandats des parlementaires, des conseils municipaux sont arrivés a terme et il n’y a toujours pas d’élections. Comment votre parti, qui n’a quasiment aucun élu, vit-il cette situation ?
Notre parti né après les présidentielles 2007 n’a pas d’élus dans ces instances. Bien que représentatif au plan nationale par les deux scores obtenus par son président en 2007 : 8% et en 2009 : 5% nous ne bénéficions d’aucune subvention de l’état et notre voix ne peut pas être entendue dans ces instances. Nous savons que cette situation arrange certains partis de l’opposition qui ne sont pas surs de rééditer leur score pour conserver leurs privilèges mais également le pouvoir pour les mêmes raisons.
Cridem : La Ceni actuelle dont les sept sages ont été désignés par les pôles ayant pris parts au dialogue entre la majorité et une partie de l’opposition, peut-elle organiser, superviser légitimement des élections crédibles et transparentes ?
Malgré nos démarches, l’AJD/MR qui avait prit part au dialogue et qui aujourd’hui ne fait parti d’aucun de ses grands pôles n’a pas de représentants dans la CNI. Nous croyons cependant sincèrement qu’il faut trouver un moyen de rattraper les choses en permettant à la COD d’être représentée aux prochaines élections.
Propos recueillis par Khalilou Diagana