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19-10-2013

13:36

Débat : Poème « Essevin » D’ahmedou Ould Abdel Ghadre - III

L’art maure qui, comme tout art, est l’histoire romancée d’une communauté socio- culturelle humaine donnée exprime l’âme profonde de cette communauté, sa vision artistique et ses définitions quant aux canons de beauté.

La musique maure à ce propos offre un parallèle saisissant des deux grandes divisions des  'hassanophones » (50) et de leurs respectifs héritages musicaux.Ainsi  'l’ardine « (51) et la ' tidinitt « (52) traduisaient, et traduisent toujours, en leurs notes savantes et délicieuses une partie, souvent magnifiée, de notre légende et épopées nationales.

Juste à côté l’autre discrète face de cette légende, l’antithèse de l’épopée, trouvaient leur outil d’extériorisation en les notes évocatrices de la « néfara« (53) et/ou le son lourd et imposant du « rezamm« (54).

Et tout à côté du « chawr zoumi« (55) des castes dirigeantes et de leurs bardes, existaient des ' chawr' des ' soudane' naïfs et d’une incroyable franchise, d’une insolente crudité même et qui se chantaient, le plus souvent, le soir bien tard comme les négro- spirituals objet des mêmes frustrations et poursuivant les mêmes impossible rêves ! Ils naissaient quand le travail accablant s’allégeait, le labeur ne s’arrêtant jamais.

Leur déclamation s’amplifiait sourdement quand le maître s’endort en dégustant les rêves sans cauchemar grâce au labeur des esclaves du champ à la marmite, en passant par la 'Rha' (56) ou le pilon et mortier, le pâturage et le puits. Ils baissaient, les chorals, à l’unisson du feu de bois allumé à l’ouverture du spectacle. Ils s’achevaient par l’agonie des brindilles et des plaintes nostalgiques ; celles que provoquent le long calvaire, l’orphelinat, le déracinement et l’exil…

Extraordinaires et si spéciaux leurs chœurs ; ces dialogues magiques qui réparent de l’incompréhension tyrannique du maître, de la torture verbale et physique, de l’irascibilité et jalousie de la maîtresse, de la sordide vie quotidienne, de l’onglée, de la faim satisfaite à moitié, bref de la non existence !

Et cette flûte enchantée du berger le reliant, malgré temps et espace, à ses racines oubliées et qui au-delà de l’humain et de l’humanitarisme ensorcelle les animaux, créant une solidarité d’instincts entre la bête et le pâtre tous deux asservis… Cette extraordinaire vie nocturne ; et la musique d’un caractère rêveur et douloureux des » soudane« exprimait toute une fureur de vivre de l’ existence de l’obscurité qui s’accomplissait par parodie de l’existence à l’éclat du soleil : celle des maîtres !

Pourtant nonobstant l’apparence superficielle, elle était vécue pleinement cette vie de l’ombre, laissant apparaître l’expression douloureuse d’un « moi » dominé et souffrant mais un « moi » profond, puissant et surtout inassimilable.

Et leur monde où ils se réfugiaient était un univers fermé par eux, auquel ils forgeaient codes et règles donnant assurément l’impression ou l’illusion de sécurité et d’existence propre. C’était un isolat, un monde hermétique au Hassaniya incertain, agressé, travesti tout comme le massacre sans pitié de la langue anglaise par leurs « cousins » de la Case de l’Oncle Tom ! (57)

Venus du néant, retournés au néant, ils n’auront jamais vécus réellement ces M’Barek, Mahmoud, Mabrouka, Messaoud, Maatallah, isselemarbiha, Maria etc. (58) ensevelis en leurs tombes anonymes… Et l’ironie du sort ou le cynisme a voulu que même leurs noms ne leur appartiennent pas en propre, servant d’invocation du créateur pour protéger maîtres, ‘(Isselemarbiha) ou pour porter bonheur à la famille tribu, au Ksar (Mabrouka, Messaoud).Il faut dire tout cela sans haine et sans excessive reproche.

A suivre…

Glossaire du Poème « Essevin »

Essevin( 1): bateau, vaisseau ( en arabe) , titre original du poème d’Ahmedou O . Abd el Ghader qui au printemps-été 1984 a été prétexte à un débat passionnant dans les colonnes du journal « Chaab« en ses deux éditions (arabe & française)

Ahmedou Ould Abd El Ghadre (2): enseignant, poéte et deputé mauritanien. Il est, notamment, l’auteur d’importants poèmes engagés et de romans.

Hadith (pl. hadiths) (3):Aphorisme ou « dits » du prophète Mohamed (PSL). Le chinguittien Mohamed Habiboullah Ould Meyaba a des deux principaux rassembleurs d’aphorismes (authentiques en principe) tiré une synthèse « ZAD MOUSSLEM… » désormais accréditée dans tout le monde musulman sunnite..

CHaab (4) littéralement « peuple » et c’était le titre du Journal du parti du Peuple mauritanien en arabe. Le titre de l’édition en français était « le peuple »

Hassanophone (5) : ceux qui parlent le parler arabe des Beni Hassane

Hassaniya (6) : parler arabe des beni Hasasne ou « maure » (Mauritanie, Sahara occidental, sud marocain, région de Tindouf, régions d’Azawad .

Hal Poularen (7): « ceux qui parlent la langue des peuls » ( ou foulbé ou Foulah etc.)

Soninke (8) : langue et ethnie soudanaises. On les appelle improprement « Sarakollé ». Les Soninké seraient à l’origine de l’empire du Ghana dont les villes principales sont dans l’Est mauritanien. et du royaume du Ouagadou. Habite un triangle Mauritanie-Mali-Sénégal de la vallée du fleuve Sénégal.

Wolofs(9) ; singulier wolof : langue dominante au Sénégal et en Gambie et dans la région de Rosso en Mauritanie.

Hal Polar (10) (voir la note 7)

Soninkephones (11) (voir la note 8)

Salamalecs (12) ( sing. : salamalec ): « politesse outrée » d’après le dictionnaire en français de France.

Cheïkh Mohamed Haïbetna (13): Il s’agit de l’ancien ministre ancien ambassadeur, ancien Président du projet de l’Université etc.et participant au débat suscité par le poème.

-Imraguen (14) : peuplement indigène du Banc d’Arguin, spécialiste avec des techniques originales de la pêche du mulet et de la commercialisation de sa chaire et de son huile etc.

Tidra (15) : (cette fausse île ou fausse presqu’île) située sur le banc d’Arguin et serait le lieu du Ribat où les premiers Almoravides s’y formèrent aux sciences religieuses et aux techniques militaires en vue de la constitution de leur Etat.

Aboubakar Ben Amer ! (16) : l’un des chefs almoravides historiques. Après la création de Marrakech, il laissera les possessions almoravides du nord à son cousin Youssef Ibn Tachfine et s’occupera de l’empire sahéro-sahélien. Il serai enterré à Meksem (55 km de Tidjikja).

« Rijal El Bahr » ou les hommes de la mer (17) qui représentaient le summum de la détermination et du courage. Enfant j’ai toujours pensé que cette dénomination concernaient les européens en général et les marins en particulier…

Langue Du » Dad » (18) ; c-a-d l’arabe. Dad ou la 21e lettre de l’alphabet arabe et est quasi imprononçable pour une personne dont l’arabe n’est pas sa langue maternelle. Et encore !

Oman (19) : sultanat de la péninsule arabique. Les Omanais ont été des navigateurs intrépides et ont atteint L’Inde, l’Indonésie ,en plus de la partie orientale de l’Afrique etc.

Hadramoutt (20) : région montagne extrême orientale du Yemen limitrophe d’Oman. Beaucoup de tribus mauritaniennes en seraient originaires. L’habitant du pays se dit « Hadrami », prénom courant en pays maures.

Micronesie (21) : groupes d’îles minuscules dans le pacifique oriental.

Isselmou(22) : Isselmou Ould Boyé, économiste. Il qi a participé au débat. Décédé dans un accident sur la route de Rosso.

Mohamed En-Nagy, (23) : enseignant et syndicaliste militant. Il a participé au débat.

» Ensemble Chinguittien » (24) :. « Chenaghita » est l’appellation conventionnelle, depuis quelques siècles, pour identifier les hassaphones. Cela veut dire » ceux de Chinguitti », alors la ville la plus connue en Orient, à côté de Marrakech ( Marrueccos, Maroc), Aljzaêr, Tunes etc.

Pour le débat à la Cour Internationale de justice de la Haya, aur le Sahara Occidental en 1975, le gouvernement mauritanien pour justifier nos prétentions à mis en avant cet ensemble mythique qui aurait rassemblé en une forme spéciale d’autorité l’Adrar, le Rio et la Saguia notamment.

Dyarchie Hassane-Tolba (25) : les Hassane ( opas toujours des arabes)et les Tolba –adui vient du singulier « Taleb » ( requérant… de la science) sont les deux groupes au sommet de la société maure ;

« Darjetna » (26) : en principe cela peut être traduit par « notre prestige » mais ironisant l’Emir Mokhtar Ould Ahmed Aïda, en son poème, l’utilise dans un sens péjoratif.

Banales « dynasties » celle de la houe, de la « sabra », de l’enclume et de l’ » aderss ».(27) : railleur à mon tour , j’élevais au rang de dynasties prestigieuses les castes des cultivateurs ( ceux de la houe), des esclaves et affranchis ( ceux de la « sabra » c-a-d marmite), les forgerons (ceux de l’enclume) et les bergers et tributaires de fait (ceux de l’ »aderess » le récipient pour traite).

« Chawr« (28). Air musical

Hassaniya (29) : voir notes 5 & 6 plus haut.

« Même savant le forgeron n’était rien! » (lakhayre fi el Haddad lew kanne alimenn)(30) :

Terrible et injustement discriminatoire pour une caste d’artisans remarquable pour l’intelligence, la dextérité manuelle, la verve poétique etc.

« Aznaga« (31) ces tributaires de troisième ordre, assimilables, toutes proportions gardées, aux intouchables de l’hindouisme ? aux serfs d’Europe Occidentale et aux moujiks de la Russie impériale Ce sont, pas toujours, les groupements berbères « Zénaga » qui n’ont pu cacher par la science ou par les armes leur origines.

« Nmadi » (32)-sing. NEMDAWI- caste spécialisée dans la chasse à l’aide de leurs chiens de race : levrier dit en Hassaniya : « Slougui« . Ils ont bénéficié d’une excellente étude par le capitaine ( et futur général) et aussi d’un spécialiste suisse qui les a présentés dans des livres et films et en le musée de Neuchâtel ( Suisse romande) une immense fresque leur est dédiée

« Imraguen« (33) : autre caste maure spécialisée ( voir note 14, plus haut)

« Soudane « (34) –SING ; SOUDANI: personnes noires ; de l’arabe « esswed »= noir. Euphémisme dans certaines régions hassanophones eti est le pendant de « Bidhane » : blancs hassanophones;sing: bidhani. ( francisé en bidani et pl.: bidan)

l « malédiction Ham »(35) Légende biblique sur l’origine de la différenciation des couleurs.

« Lewh« (36) ou planche en bois des élèves des écoles coraniques.

« Haratine« (37) -sing. HARTANI- prétendus simples libres clients, d’origine servile mais pas toujours.

« Mahadrah« (38) école universelle secondaire et supérieure traditionnelle en pays maures

Ksours (39) sing : Ksar. C’est le village type saharien. Peut-être est-ce une déformation de « Ghasr » qui en arabe classique veut dire palais.

ce une déformation de « Ghasr »

» Adebaye« (40 ) : rassemblement hétéroclite d’habitations contigu à un village ou autonome et habité par des affranchis ou assimilés.

Chemama, (41) : bande de terres fertiles bordant le Fleuve. Ce mot en Hassaniya est synonyme de « Waloo » (les terres cultivables et non le pays et l’Etat) en poular.

Assaba, Hodhs (42) : Régions et willaya dans l’est mauritanien.

Grara(43). Pl/ GRAYER : plaine inondable et fertile par les Oueds intermittents favorable aux cultures.

Yaghref(44) : la plus grande « grara » de l’Adrar

Egdess(45) : grara en Adrar ;

Demane,(46) ; grara en Inchiri.

Lemdenna,(47) : grara en Inchiri.

tamourt en-naaj (48) : grara, véritable grenier du Tagant.

Ederoum(49) : grara au Tagant » Hassanophones » (50) : voir notes 5 ; 6 & 29 plus haut.

« Ardine « (51) : instrument de musique des femmes griottes.

» Tidinitt« (52) guitare du griot maure, quasi identique à ceux des Poulars, Soninkés et « diélis » (griots) maliens

« Neifara« (53) Flûte dont les usagés sont les haratines maures et les bergers peulhs.

« Rezamm« (54). Tam tam émiral mais aussi des chefs importants et des villages traditionnels.

« Chawr Zoumni« (55) : air classique de musique. Voir note 28.

» RHA » (56) : meule traditionnelle en pierre servant, essentiellement, à moudre les grains.

Case De L’oncle Tom ! 57 : célèbre roman de l’américain Harriett Beecher-stowe décrivant le calvaire de l’esclave Tom dans le Sud profond américain (the deep south) Dans sa case l’anglais était masascré sans pitié comme dans les adabaye d’hier.

M’Barek, Mahmoud, Mabrouka, Messaoud, Maatallah, isselemarbiha, Maria(58) etc.

A part Maria le nom de l’épouse copte du prophète, ces noms d’esclaves et d’affranchis invoquent le seigneur pour la protection du maître !!!


Mohamed Said Homody


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