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Débat : Poème « Essevin » D’ahmedou Ould Abdel Ghadre - VII
Mais le poète ne nous dit pas où est partie l’élite, ces parents indignes responsables du débile retardement de leur progéniture. Peut-être ont-ils embarqué, eux aussi, mais cette fois sur quelque jet.
Peut-être sont-ils partis sans remords, bien installés dans de confortables fauteuils, s’empiffrant de boissons et de nourritures de première classe. Partant, peut-être, vers quelque sûre et agréable destination…Mais quelle que soit sa forme, sa raison ou ses manifestations, il faut refuser cette étonnante solution, qui, au fond, est loin d’en être une !…
Rien, en effet ; ne justifie notre déménagement d’apocalypse sur le tombeau flottant qui vogue au gré des vents sans boussole, sans gouvernail et sans équipage !
Restons à terre et faisons face, comme les générations précédentes de « mauritaniens » contemporains ou avant la lettre, à cette nouvelle sécheresse ; même si elle a pris dans notre existence une terrible extension verticale et horizontale. Mais elle n’est pas la première du genre même pour ses conséquences…
Faut-il rappeler les compositions de dizaines de poètes de toutes les époques et de toutes les régions du pays maure notamment : de sa côte (Sahel 73), de sa montagne (Adrar74), de sa forêt ( Tagant 75) de sa Guebla (76)( Brakna-Trarza77) , de sa ceinture (Assaba 78) et de son bassin( Hodh79)…L’un des plus grands poètes hassanophones ne disait-il pas bien avant la colonisation et ses bouleversements, bien avant aussi les dévastations des sécheresses et de notre gestion négative de notre environnement :
«…La montagne de zouk et Zouk et Lemhade se sont dépeuplés,
« Comme s’est reposé le Wad Jenna de ses troupeaux…
« Et tout ce qui évoluait autour de Lejwad, rempli de pâturages et d’animaux,
« est devenu domaine où souffle le vent, qui désormais a conquis bouleryah…
« Les visiteurs de khacm el ay se sont exilés, comme ceux de wad el mellah.
« Et ont choisi aussi l’exode ceux qui élisaient domicile à wad el guenzah ! »(80)
Ces vers, plus que centenaires, décrivaient un Sahel torturé par la sécheresse avec des accents d’une étonnante jeunesse, d’une bien troublante actualité… La solution trouvée alors par nos prédécesseurs- les proto-mauritaniens- n’a jamais été la démission collective et la fuite en un abandon total du pays !
Aussi, à leur instar, nous devons rester et préparer la réplique adéquate au défi, aussi violent soit-il, qui nous est lancé… Le poète nous propose de planter une dense ceinture, un barrage d’arbres protecteurs tout au long du 16e parallèle, je crois, en l’étirant sur toute la largeur du pays depuis la mer jusqu’à la frontière du Mali…
Certes c’est une partie de la solution. Et les idées de solutions, localisées et partielles, ne manquent pas ! On peut, par exemple, choisir de retirer des tiroirs et réactualiser le dossier poussiéreux du vieux projet de l’Aftout Es-sahli.(81)
Cette manne supposée miraculeuse est périodiquement exhibée pour servir quelque dessein avant d’être rangée à sa place initiale pour un prochain spectacle…Ou encore on peut opter pour l’extension des casiers rizicoles de M’Pourie (82), afin de diminuer ainsi notre dépendance de l’extérieur pour le précieux riz quotidien… …
On verra même, peut-être, une plaine de Boghé (83) transformée par un nouvel horizon sans autre perspective que les champs de canne à sucre et les cheminées des raffineries de transformation de la canne en sucres blanc ou brun, qu’importe sa couleur !… …
On peut même imaginer édifiés aux deux Hodhs, d’immenses ranches, individuels ou collectifs, avec des prairies vertes plantées de luzernes, maïs et autres plantes fourragèresEt des tanneries aux activités fiévreuses… …
Beaucoup plus à l’ouest ou au Sud, mil, sorgho, arachides, haricots etc. à côté d’arbres fruitiers tropicaux égayeront le Dieiri(_84), la Chemama, le Guidimagha (85), l’Assaba ou la Tamourt(86). .. …l’Adrar et le Tagant verront, eux aussi, leurs précieux dattiers sauvés onduler à côté de figuiers, leurs jumeaux, portant des fruits délicieux pour de joyeuses » Guetna »(87) et pour leurs usines de conditionnement de dattes et de figues… Et le rêve bien réalisable ne s’arrête pas ici.
Ce n’est pas fiction, non plus, que d’imaginer les pylônes d’électricité de Manatali (88) faire briller de mille éclats la partie orientale qui ne connaît aucune ampoule de générateur ( à quelque rarissime exception prés) sitôt la nuit tombée……
Comme n’est point fiction, ou imagination débridée d’un adulte qui a connu toutes les maladies de l’enfance, de prédire notre pays grand exportateur d’ »invisibles » grâce à des villages touristiques éparpillés à travers le pays profond pour en faire admirer les curiosités et splendeurs.
Les plages immaculées du littoral, les richesses inouïes du Banc d’Arguin, (89) le mode de vie et techniques atypiques de ses habitants, les paysages vertigineux de l’Adrar, de l’Assaba, du Tiress (90) et du Tagant, mis en relief par des routes enfin bitumées en seront quelques joyaux……
Ou encore on pourra admirer les villes disparues (Aoudaghost (91), Koumbi Saleh (92), Azougui (93), Tinigui (94), gasr el barka ( 95) etc.
Les villes anciennes, les ksour et villages du Fouta (96) et du Guidimaka anté coloniaux. On pourra aussi visiter nos mahadras et nos lieux de savoir traditionnel rénovés, regagnant un peu de leur prestige d’antan, drainant en leurs locaux gais et propres des milliers de lecteurs et de « demandeurs de connaissances » nationaux ou de l’Afrique ouest soudanaise islamique car propageant un savoir apprécié, original et utile parce que adapté aux exigences de la vie contemporaine moderne…
Tout cela est fort important et bien réalisable avec un peu de discernement, un peu d’imagination et beaucoup d’efforts ! Néanmoins le développement d’un pays, ou seulement son progrès cohérent et équilibré régionalement ne se font pas par touches cloisonnées, quelquefois contradictoires parce que souvent improvisées.
A suivre…
Sahel (73) : lfaçade de la côte atlantique et l’hinterland pour sa partie comprise entre Nouakchott et cap Juby (Tarfaya) au Sahara Occidental.
Adrar (74) : « montagne » en langue berbère-ici le ZENAGA-.. Région montagneuse du Nord renfermant l’essentiel des oasis de Mauritanie, deux cités-mémoire caravanières, patrimoine de l’humanité : Chinguitti & Ouadane et AZOUGUI dernière capitale mauritanienne des Almoravides.
Tagant (75) « forêt » en langue berbère –ici le ZENAGA-. Belle région boisée renfermant la ville de Tichitt cité-mémoire patrimoine de l’humanité et des vestiges d’habitat islamique ( ) ou proto soninké.
Guebla (76) : ou la région méridionale contiguë au Fleuve(Sénégal).
Brakna-Trarza (77) : Ces deux wilaya méridionales du Brakna et du Trarza sont des Emirats que le général Faidherbe, gouverneur du Sénégal au milieu du XIXe S, appelait : « …Les Etats maures voisins du Sénégal »
Assaba (78) littéralement ceinture ou diadème sur le front et c’est une wilaya central.
Hodh (79) : littéralement bassin. Cette immense région (formée par 2 wilaya) longeant la frontière du Mali, renferme, notamment, les deux vestiges des villes de l’Empire du Ghana : Koumbi Saleh et Aoudaghost.
a) zouk … e b)lemhade, c)wad jenna , d)lejwad, e)bouleryah…f) khacm el ay, g) wad el mellah, h)wad el guenzah (80) : e sont là des pâturages fameux ou des sites célèbres dans le nord-mauritanien et le sud du Rio de Oro.
l’Aftout Es-sahli.(81) : projet en souffrance depuis 1926.Il vient de voir un début d’exécution.
M’POURIE (82) Cette « grara » fluviale, plaine juste à côté de Rosso, aux abords immédiats du Fleuve Sénégal, a vu, depuis quelques décades, avec des hauts et des bas, des expériences de casiers agricoles.
Boghe (83) : plaine étendu aux grandes potentialités agricoles et à proximité immédiate de la métropole du Brakna.
le Dieri , le (_84) : (voir note 65 plus haut).
la Chemama, le Guidimaka (85) ; ( pour la Chemama voir note 41) le Guidimaka est une région aux potentialités agricoles et pastorales immenses. Jouxtant les wilaya du Hodh El gharbi, de l’Assaba et du Gorgol elle est limitrophe du Sénégal (ville de BAKEL notamment) et le Mali ( la grande métropole de kayes.) en s’étendant en ces deux pays.
l’Assaba ou la Tamourt (86). .. (voir respectivement, ci haut, les notes 78, 43 & 48)
» Guetna« (87) ; période de maturation de la datte couleurs par les mutations des couleurs du vert au jaune pour certains genres de palmiers ‘ dans toutes les régions oasiennes notamment en Adrar et au Tagant) , d’un côté et au rouge et noir pour certains genres ( essentiellement dans le Baten soit Aoujeft , Atar et leurs dépendances) . La « Guetna » permet de quitter les villes vers les oueds de palmerais en villégiature et pour des cures réparatrices de vitamines et d’oligo-éléments…
Manantali (88) Barrage commun aux Etats de l’Organisation de la mise en Valeur du Fleuve Sénégal-OMVS- qui regroupe Mali, Mauritanie, Sénégal puis Guinée et qui fournit de l’énergie hydroélectrique.
Banc D’Arguin (89) : Sanctuaire protégé car lieu de reproduction des poissons et des oiseaux etc. Sa superficie sur la côte Atlantique est de 12 OOO ( douze mille) km² .
Tiress (90) : Prairies réparatrices en aliments naturels (herbes et feuillages ) d’exception, notamment pour les chameaux, le TIRESS englobe de vastes étendues en Mauritanie et au Sahara Occidental.
Aoudaghost(91) :, ville (capitale ?) de l’ancien empire du Ghana. Ses vestiges mis en exergue par Me et Mme Robert, M.Devisse et d’autres chercheurs français et mauritaniens sont prés de Tamchekett dans le Hodh el Gharbi.
Koumbi Saleh (92), ville (capitale ?) de l’ancien empire du Ghana. Ses vestiges mis en exergue par Me et Mme Robert, M. Devisse et d’autres chercheurs français et mauritaniens sont prés de Timbédra dans le Hodh el Charghi
Azougui (93) : village au dessus de la passe de Ntarazzi , au bout du splendide oasis de ( à 10 KMs à l’ouest d’Atar) aurait servi aux Almoravides de dernière capitale unitaire en Mauritanie. Il a servi brièvement aussi, semble-t-il de comptoir aux Portugais au XVe S.
Tinigui (94) : village entre Ouadane et Chinguitti, non loin de l’Oued de Tenouchert. Un conflit à l’intérieur de ses habitants s’est soldé par leur dispersion. Un groupe restreint est resté en Adrar et les autres dispersés par les exodes vers Togba au hodh, Tindouf dans la Hmada, le Tagant, le Maroc et , plus tard, le Moyen-Orient etc.
Gasr El Barka ( 95) Localité au splendide style architectural et est située dans la Moughataa de Moudjéria, au Tagant . Il n’en subsiste que les vestiges de sa mosquée et les traces de quelques modèles d’habitations.
Fouta (96) : nom partagé par toutes les régions où domine le parler peulh. C’est vrai du Fouta Djallon en Guinée, du Fouta au Macina du mali, du Fouta Toro qui s’étale sur la majeure partie des deux rives, mauritanienne et sénégalaise, du Fleuve Sénégal, etc..
Mohamed Said Homody
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