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09-12-2013

20:21

Mauritanie Mauritanie : Mariem Ould Daddah ou le temps retrouvé

Dix ans après la mort de son mari, la veuve du premier président mauritanien, Mariem Ould Daddah, ne ménage pas ses efforts pour que l'oeuvre du "père de la nation" soit reconnue et transmise aux nouvelles générations.

Sur la route du Ksar, à Nouakchott, une petite dune, semblable à tant d'autres, est balayée par les vents. On y distingue encore des blocs de banco (mélange de terre et de paille) rongés par le temps. Non loin de là, devant le bâtiment de la Société mauritanienne de gaz (Somagaz), des centaines d'automobilistes roulent à vive allure sur le "goudron" sans se douter qu'ils passent à côté du cœur de la capitale.

Car c'est ici que Nouakchott a vu le jour avec la construction du premier poste militaire du pays par le capitaine français Frèrejean, en 1905. Aujourd'hui, à quelques mètres de ce berceau de sable, un château d'eau est en construction.

Les quelques fortifications en banco qui ont survécu à l'usure du temps sont arrachées et jetées un peu plus bas. Et avec elles un chapitre de l'histoire du pays. La présidence de la République a reçu récemment une requête écrite pour que ce précieux patrimoine soit préservé. Cette lettre, restée sans réponse, était signée de la main de Mariem Ould Daddah - veuve de Moktar Ould Daddah, premier président du pays -, qui continue de se battre "contre vents et marées" au nom du devoir de mémoire.

"Ce patrimoine me tient à coeur, rien ne naît de rien, confie-t-elle face à la petite dune, la voix empreinte d'émotion. Chaque homme doit préserver l'héritage qu'il a reçu." À travers la Fondation Moktar Ould Daddah, qu'elle préside, elle veut que l'oeuvre du "père de la nation", mort il y a dix ans, le 15 octobre 2003, à Paris, soit reconnue et transmise aux nouvelles générations.

"Aventure extraordinaire"

Française d'origine et mauritanienne d'adoption, Mariem Ould Daddah fut le témoin privilégié d'"une aventure extraordinaire, celle de la construction du pays et de sa capitale. [Son] premier souvenir de Nouakchott, c'est plutôt une impression. Celle d'un grand isolement, mais aussi d'un grand enthousiasme". Lorsqu'elle y est arrivée, en 1959, la République islamique de Mauritanie venait d'être proclamée.

La future capitale allait émerger de presque rien, là où il n'y avait "que quelques arbustes rabougris ensevelis sous le sable fin", selon les mots du président Moktar Ould Daddah. Le bourg, qui se limitait alors à un petit fort administratif et à un ksar de 200 à 300 habitants, avait été choisi parce qu'il offrait un accès à la mer et se situait sur la piste impériale numéro un Dakar-Casablanca. Tous les services n'étaient pas encore montés de Saint-Louis - capitale administrative du Sénégal et de la Mauritanie pendant la colonisation française.

Une fondation, des archives

Presque rien n'a été conservé non plus de la première villa familiale, située en haut d'une pente sablonneuse entre la mosquée saoudienne et la banque centrale. Les Ould Daddah en furent chassés après le coup d'État de juillet 1978, et, pendant leur exil (de 1978 à 2001), une autre famille y a emménagé et a tout transformé. Mariem ne reconnaît même plus la maison aux petites fenêtres et à la porte en bois dont le garage a abrité l'autre bureau de son époux.

Les archives de l'époque ont tout de même été conservées. Hadya Kane, le directeur de l'Office national des musées, a même numérisé des milliers de photos qu'il a remises à la Fondation Moktar Ould Daddah. Depuis quelques années, un bureau en bois rouge ayant appartenu à l'ancien président est aussi exposé au rez-de-chaussée du musée. "On ne peut pas tirer un trait sur notre histoire, elle a un sens, et chaque citoyen mauritanien doit la connaître, répète Mariem en caressant le meuble.À cet égard, l'actuel président a le mérite d'avoir entrouvert une porte."

En novembre 2008, quelques mois après son coup d'État, Mohamed Ould Abdelaziz a en effet inauguré l'avenue Moktar-Ould-Daddah. En 2010, il a reconnu la fondation d'utilité publique et, l'an dernier, lui a accordé une première subvention.

Désormais, outre son centre de documentation et de recherche, la fondation regroupe trois grands pôles d'activité : mémoire et prospective (célébration d'événements), solidarité citoyenne (aide à la société civile dans divers domaines, dont le sport, l'éducation et la santé) et coopération internationale. Elle a célébré les dix ans de la mort de Moktar Ould Daddah en éditant deux ouvrages, l'un consacré à sa personnalité, le second au bilan de son action politique de 1961 à 1977.

Hormis l'intérêt qu'elle y porte en tant que citoyenne, Mariem Ould Daddah s'est toujours tenue à l'écart de la vie politique mauritanienne et se défend de toute nostalgie : "Je ne pleure pas sur le passé, il n'a de valeur que dans la mesure où il impulse l'avenir. Je suis le messager du président Moktar, mais chacun peut tenir ce rôle. Il appartient désormais à tous les Mauritaniens."

Par Justine Spiegel, envoyée spéciale




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