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24-03-2014

17:30

Vers les Présidentielles 2014: La candidature de Biram Ould Dah Ould Abeid dans le tourbillon de la division

Ahmed Sidibe - Une candidature, certes, légitime et attendue mais une candidature qui intervient sur fond de mésintelligence et d’éclatement des forces périphériques et damnées acquises au changement.

Ce mauritanien preux et battant, lauréat du militantisme des Droits de l’homme, bien imbu des valeurs spirituelles, de justice et d’égalité, emboite le pas aux pionniers de la résistance au despotisme obscurantiste et aux croisés de la question nationale contre toutes formes de discrimination des noirs et de marginalisation des « petites tribus » blanches animée depuis les années 60 par Moctar Ould Daddah par l’entremise d’un Etat raciste, tribaliste et féodalo- esclavagiste.

Oui ! Puisque depuis l’avènement de l’IRA, l’action de Biram Ould Dah Ould Abeid s’inscrit dans la directe ligne des démocrates et modernistes tels Sidi El Moctar N’Diaye, Souleymane Ould Cheikh Sidiya et autres, tels Mohamed Ould Cheikh et les signataires du fameux « Manifeste des 19 ».

Ceux-là avaient bien échoué dans leur tentative de correction du dérapage de l’action de Moctar Ould Daddah et ses nahdistes par rapport à l’orientation pourtant correctement déterminée par l’ensemble des mauritaniens, au cours d’un congrès souverain tenu, à Aleg, à la veille de l’indépendance. L’espoir de construire un pays hybride à la charnière entre les deux Afrique, que ce congrès avait décidé, s’était alors évanoui.

Si certains, tels Mohamed Ould Cheikh, Demba Seck, Ba Mohamed Abdallahi, Sy Mamaye et tant d’autres, sur permission de la France gaullienne, furent civilement tués et écartés de la scène politique, les autres, sans daigner savoir comment et sous la dictée de la même puissance tutrice, furent récupérés et réutilisés dans la mise en place du système beïdane. A partir de ce moment tragique, le sort de la Mauritanie dans le concert des nations africaines en gestation se détermina.

Cette malheureuse situation de fait responsable de la dérive nationale, de la précarité de la stabilité et de l’unité du peuple ainsi que de l’arriération socio-économique justifie l’enjeu des présidentielles à venir.

Cependant, la bataille politique opposant les nationalistes-étroits arabo-berbères et les démocrates douteux aux réels patriotes déterminés à replacer le pays sur les rails de son destin se poursuivit à armes inégales parce que distribuées par un Etat partial, tribaliste et bancal.

C’est ainsi qu’à la faveur de la recrudescence du désordre engendrée par l’arrivée des militaires au pouvoir, la résistance, moribonde depuis 1966, se reconstitua et se radicalisa avec la naissance de deux grands mouvements qui font date dans l’histoire politique contemporaine de la Mauritanie.

En effet :
- Contre l’approfondissement du système esclavagiste, notamment à l’encontre des harratines utilisés comme « bêtes de somme », le HOR s’interposa, à partir de 1978, mais malheureusement avec une doctrine à la fois parcellaire et antinomique que revendique sa tendance dominante. Cette tendance poursuivait deux résultats jumelés ou juxtaposés : obtenir de l’Etat beïdane une réelle abolition de l’esclavage harratine tout en restant arabe et disposer de sa part du gâteau.

Ainsi donc, le leader de cette tendance, Messaoud Ould Boulkheir qui se trouve aujourd’hui entrainé dans une décadence progressive de popularité et qui avait pourtant bénéficié du soutien actif des négro-mauritaniens ne dispose, dans son actif, par rapport aux résultats escomptés, que d’un bilan insignifiant.

- Parallèlement à l’action de ses contestataires harratines, les Forces de Libération des Africains de Mauritanie (FLAM) furent, en 1983, leur irruption dans l’arène politique. Surprenant toutes les forces politiques de l’époque, les FLAM insufflèrent, sans raison pourtant, à l’Etat raciste une noirophobie et une mentalité d’assiégé qui donneront aux racistes et nationalistes-étroits blancs l’occasion de monter les surenchères par une répression d’Etat dégradante dépourvue de toutes bases aussi juridiques que factuelles contre de pacifiques démocrates qui n’ont fait, par le biais du « Manifeste du négro-mauritanien opprimé », que d’exhorter l’Etat à honorer sa devise : Honneur - Fraternité - Justice.

Le peuple mauritanien, de façon générale, désinformé à dessein par l’Etat raciste se doit aujourd’hui de dédiaboliser les FLAM dont le programme n’évoque aucune flamme et ne renvoie nullement à aucune forme de violence ou de haine, en vue de réaliser les grands consensus politiques et sociaux que le peuple est en droit d’espérer. Puisque, par son « Manifeste » plus actuel que jamais et qui, quoiqu’on en dise, demeure le document de chevet dans le processus à venir de la refondation de l’Etat et par le militantisme jusqu’auboutiste de ses membres, les FLAM resteront pour longtemps l’emblème de la résistance des négro-mauritaniens au système beïdane. Qu’on ne le reconnaisse ou pas, l’essentiel des personnalités politiques charismatiques engagées dans la lutte contre l’oppression du peuple en sont issus.

Toutefois, et c’est là où le bas blesse, les FLAM, divisées déjà au sein du mouroir de Oualata, affaiblies par leur exil forcé, victimes de manipulations de tous genres celles des « nègres de service » notamment, isolées par les Etats voisins et diplomatiquement combattues par la communauté internationale influencée par une certaine France faiseuse de rois, leur tendance in consumable de retour d’exil tente vaille que vaille, par une action tranquille, de se repositionner sur l’échiquier politique national. Il n’est donc pas étonnant, compte tenu de tout ce qui précède, que l’évaluation de son action ne peut figurer qu’un résultat mitigé.

Faudrait-il, pour la génération héritière déjà en activité, faire claquer au vent de la liberté et de la justice la bannière flamiste et revisiter pour réutiliser son programme en vue de réaliser l’unité impérative et agissante de la résistance à l’oppression des peuples noirs et des « petites tribus » blanches sournoisement marginalisées ?

C’aurait été trop beau si Biram Ould Dah Ould Abeid, qui constitue aujourd’hui le talon d’Achille de la coalition des forces damnées, avait cru devoir enfourcher les FLAM comme « Cheval de Troie » pour courir à la victoire.

Nous observons, cependant, que ces échecs répétés que l’on peut imputer en grande partie aux résistants eux-mêmes ont entrainé de lourdes conséquences sur les intérêts du peuple de façon générale. En effet, sauf les néo-cons, il apparait nettement pour tout le monde que l’unité de façade du peuple mauritanien déjà mal camouflée par le PPM, le partage des charges institutionnelles et les quotas d’emplois manifestement injustes institué depuis notre accession à l’indépendance, les maigres parcelles de droit et de liberté ont été de façon progressive anéantis dans le développement de l’esclavagisme, du féodalisme, du racisme d’Etat et de la culture de la haine et de l’intolérance intercommunautaires.

Bien que cette situation on ne peut plus déplorable soit, en partie, imputable à la turpitude des peuples opprimés eux-mêmes, la question qui reste à poser est de savoir pourquoi et comment ces échecs répétés.

Biram, que sa candidature fut légitime, nécessaire et même impérative pour bien de citoyens, les jeunes notamment, devrait, à notre sens, se méfier de « l’honneur de l’exagération » dont jouissent tous les leaders et autres incompétents en Mauritanie, se prémunir de la réponse à cette question, cautériser le mal, cerner les embuches avant de postuler à la magistrature suprême.

Biram, est certes un harratine qui, de par la convergence entre sa nature négro-africaine et sa culture arabo-berbère peut être tout désigné au sein de l’échiquier politique actuel pour prendre en charge le destin des groupes marginalisés et discriminés et du peuple sans exclusive. Il se tient bien dans ses bottes, en tout cas jusqu’à présent.

En effet, du haut de l’IRA, il ne s’est pas contenté de lutter pour la seule abolition effective de l’esclavage et d’exciter le monolithisme et la déliquescence de l’Etat que pour faire plus de place à la seule communauté harratine comme l’avait fait et le fait la tendance dominante Hor. Il n’a pas fait que chercher sa part du gâteau, en tout cas jusqu’à présent.

Dans l’entourage de Biram tout le monde y est. C’est les beïdanes, c’est les harratines, c’est les ouolofs, c’est les peulhs, c’est les soninkés, ce sont aussi les bambaras oubliés ou ignorés. En un mot c’est une Mauritanie plurielle acquise à la rupture qui a tendance à croire à son action, en tout cas jusqu’à présent.

De la modification de l’irréel en réalité têtue, de la déconstruction du mensonge d’Etat en discours militant et débonnaire, de la juste résolution du passif humanitaire pour faire de la Mauritanie une homogénéité émergente, de la réalisation d’une société sans esclave, Biram en fait son crédo politique. En joignant ainsi la force harratine engagée à la résistance négro-mauritanienne, ce candidat déjà déclaré, bousculé, pour ainsi dire, dans cette tourmente des présidentielles par une sollicitation insistante de la jeunesse des opprimés, apparait comme un rassembleur et peut être, pourquoi pas le futur bâtisseur de la Mauritanie des réalités.

Mais cela suffit-il pour lui permettre, en juin prochain, de drainer toutes les potentialités électorales suffisantes à son élection ?

Nous pensons que non. Car la communauté noire, pour atteindre ses buts, est condamnée à réaliser son unité et à se choisir un candidat unique consensuel. Ce candidat, désigné par un forum de délégués indépendants et impartiaux, se doit d’être populaire et disposer de larges épaules.

On peut observer que le camp du pouvoir se félicite déjà de la position de cette candidature. En effet, selon l’entendement du pouvoir sortant, cette candidature qui peut paraitre hâtive au regard de la configuration des forces actives prépositionnées, pourrait servir à approfondir l’éclatement et la mésentente devenus permanents au sein des forces de la résistance à l’oppression. Même dans le cas d’une transparence du scrutin, cet état de fait aura tendance à modifier l’enjeu du vote mécanique par le morcellement du suffrage engagé. Nous pensons donc que pour capitaliser cette excellente note de popularité et décrocher une victoire électorale même si celle-ci devrait être confisquée, Biram, ou qui que ce soit, doit, d’ici au jour des élections, relever deux défis.

Premièrement, il doit, sans tarder, s’engager à animer un dialogue inclusif avec toutes les forces qui se déclarent acquises au changement : les partis politiques et leurs leaders tels AJD/MR d’Ibrahima Moctar Sarr, ADEMA de Sy Zeine, FLAM de Samba Thiam, MPR de Hamidou Baba Kane, PLEJ de Ba Mamadou Alassane, DEKALEM de feu Mourtodho Diop et autres comme la tendance progressiste HOR ainsi que les organisations de la société civile etc… Même s’ils n’ont pas réussi à modifier d’un seul iota la nature et les orientations fondamentales de l’Etat, ceux-là n’ont pas tout à fait démérité.

Par leur juste lutte, ils ont su préparer le peuple de façon générale et particulièrement la jeunesse à la mobilisation constructive et tenu la communauté internationale à témoin. Il y a donc lieu d’ajouter et capitaliser ces acquis obtenus de hautes luttes tels les records significatifs arrachés par Ibrahima Moctar Sarr et ses camarades aux trois dernières consultations électorales. Ce dialogue doit surtout s’orienter vers les jeunes et les femmes.

Cette concertation devrait permettre la réalisation d’une synergie d’action sous une bannière commune et de dégager de larges consensus sur un programme national de politique générale. Cette entreprise qui ne serait pas une promenade, même au cas où les parties joueraient franc jeu. Elle devrait, toutefois, être facilitée par le fait que tous les potentiels candidats noirs aux prochaines consultations disposent du même discours, de la même orientation et poursuivent de ce fait les mêmes objectifs.

D’autant que Biram et tous ces candidats potentiels ne puiseront leurs suffrages que dans un seul vivier électoral affaibli par des blocages de toutes sortes introduits dans le processus de l’enrôlement encore inachevé. Quelle que soit son importance ou sa faiblesse, ce vivier, ils le partageront avec la force de l’inertie démissionnaire qui briguera sa propre succession.

De surcroit, cette force ira favorite en ce qu’elle dispose de son propre électorat inaccessible aux résistants, de la rente du pouvoir établi, d’une administration inféodée et zélée, du trafic d’influence, de l’appel du ventre, de moyens formels et informels y compris le bourrage et le comptage d’urnes même inexistantes, bref, toutes pratiques qui ont de tout temps émaillées les consultations électorales du pays et ce, depuis toujours.

Or, sans une candidature unique de l’opposition noire – puisque dans l’état actuel des choses, c’est la seule qui nous semble porteuse d’un réel désir de changement – il n’y aura jamais d’alternance démocratique. Avec un petit recul, on peut bien le comprendre aujourd’hui. Car, bien que A.C aurait de toutes façons échoué à cause de son orientation et de son programme à la fois dispersés et laconiques par rapport à la rupture nécessaire, (avec leur 9 + 8 = 17%) Messaoud et Sarr auraient pu, ensemble, s’imposer comme faiseurs de roi entre Ahmed Daddah et Sidi Ould Cheikh Abdallah. Quelles auraient été les conséquences d’une gouvernance sortie de ces urnes ?

L’unité des forces exclues est donc impérative même si notre raisonnement s’avère relativement plat. Il ne faut pas se faire des oeillères ou se loger une balle au pied, Mohamed Ould Abdelaziz, n’est ni dupe ni démocrate vertueux, il n’acceptera jamais le risque d’un ballotage. Il est condamné, quel qu’en soit le prix, à assurer sa réélection dès le 1er tour de scrutin. Ce sentiment, il le partage avec tous les tenants du système.

Deuxièmement, et c’est surtout à ce niveau que nous restons tout à fait confus, comment une candidature qui se veut triomphante pourrait s’accommoder avec cette CENI telle que constituée ? Sans un remodelage assurant à cet organe une réelle impartialité et garantissant ainsi la transparence à l’amont et à l’aval de toutes les opérations électorales, les challenges ne seraient que vains et ne serviraient qu’à assurer toute sa légitimité à la réélection programmée du candidat sortant. Ce remodelage devrait être exigé par toutes les forces vives du pays comme question préjudicielle au démarrage des candidatures. De même que la reprise des législatives et des municipales doit être exigée comme condition sine qua non à la participation aux prochaines présidentielles.

En tout état de cause, Biram sera tenu de rester au centre d’une dynamique démocratique lui permettant, en tout lieu et en tout temps, d’associer sa base à la prise des décisions majeures. Car le peuple épris de liberté et de justice est fortement éprouvé par les comportements paternalistes de ses leaders. Il ne faut pas minimiser cet état de fait qui explique le découragement des uns, le désintéressement des faiseurs de voix au moment des consultations électorales et pousse d’autres encore, avec les exigences du ventre, à s’orienter dès le 1er tour de scrutin au vote utile. Pour la petite histoire … nous en avons des preuves.

Ahmed Sidibe
Diplomate en retraite




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