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22-04-2014

08:05

Le langage d'autorité politique et ses traductions en Mauritanie précoloniale rois, chefs et émirs dans la Gibla du XIXE siècle (3)

Adrar-Info - Rois, amîr, eshaykh : l’autorité émirale et d’autres formes d’autorité politique dans la gibla.

Au Sud-ouest du Sahara l’exercice du pouvoir politique était relié à un réseau de groupes collectifs qui formaient les noyaux de l’ordre social. Les discours arabes sont riches en termes qui décrivent ces groupes avec de connotations et des dénotations particulières.

Le terme qabîla (clan, tribu, groupe de parenté) apparaît fréquemment dans les textes arabes précoloniaux et il est couramment utilisé dans la littérature ethnographique contemporaine. Mais d’autres termes sont également employés : qawm (peuple, groupe très proche) ; ahl (peuple, famille) ; nâs (tribu, clan, famille) ; ‘ashîra (clan, groupe de lignage) ; et fakhad (fraction dans un groupe plus large).

L’hégémonie politique des guerriers Banû Hassân dans le Trârza et dans le Brâkna, XVIIe-XIXe siècles

Durant le XVIIe siècle, le territoire aujourd’hui connu comme la Mauritanie du Sud tomba sous l’hégémonie d’un groupe nomade de guerriers arabophones connus sous le nom des Banû Hassân, spécialisés dans les razzias et la récolte de tributs. Au cours des générations suivantes, des nouvelles qabâ‘il s’agrégèrent à eux. Au coeur de chaque qabîla hassân on trouvait des lignées de chefferie qui pouvaient accueillir des populations d’origines diverses attachées à eux par des liens de mariage ou de la dépendance [1].

Parmi les hassân Trârza qui contrôlaient l’Ouest de la gibla, une qabîla connue sous le nom de Awlâd Ahmad min Daman se constitua à la fin du XVIIe siècle. Sa lignée de chefferie descendait d’un guerrier qui vivait au XVIIIe siècle, Haddi wuld Ahmad min Daman. D’autre part, parmi les hassân du Brâkna, à l’Est, la qabîla des Awlâd al-Siyyid se développa sous la chefferie de Aghrish wuld Saddum et de ses descendants — il s’agit des Ahl Aghrish cités dans la lettre de Muhammad al-Rajil.

Les guerriers Trârza et Brâkna évoluèrent dans un système politique basé sur des coalitions instables qui s’organisaient au-delà des frontières des groupes de parenté. Ces coalitions pouvaient s’étendre bien au-delà des strates des élites hassân pour inclure d’autres groupes : des guerriers tributaires de statut inférieur, des communautés armées de population servile connues sous le nom de hrâtîn, et enfin des groupes alliés parmi les peuples de parler wolof ou fulbe [pulaar] de la vallée.

Ces vastes coalitions sont les émirats de l’historiographie moderne. Comme dans le cas des Brâkna en 1848, des membres des lignées de chefferie se disputaient fréquemment entre eux pour la chefferie des coalitions politiques.

Les implications du commerce de la gomme arabique dans la gibla

Le commerce des franges du désert marqua les pratiques de chefferie politique plus profondément que partout ailleurs dans l’Ouest saharien. À partir du XVIIe siècle, la gibla fut attirée dans le monde du commerce atlantique au travers de commerce de la gomme arabique, une résine de l’acacia qui poussait en abondance le long des franges du désert.

Par tradition, le commerce de la gomme avait lieu au cours des foires annuelles que les Français appelaient escales, où les caravanes chargées de gommes en provenance de l’intérieur du pays, rencontraient les vaisseaux des Européens ou des marchands eurafricains. Les escales se situaient à des emplacements fixes et duraient entre quelques semaines et plusieurs mois.

Les plus anciennes de ces escales eurent lieu dans des ancrages le long de la côte atlantique à partir de l’île d’Arguin, à côté de la ville moderne de Nouadhibou, jusqu’à Portendick dans les environs de la capitale mauritanienne, Nouakchott. Au cours du XVIIIe siècle, l’intérêt pour le commerce de la gomme déplaça ces escales plus au Sud, dans la vallée du Sénégal, il s’agissait alors d’escales fluviales dont les noms étaient : Désert, Terrier-Rouge, Coq, et Darmankours.

Les lignées de chefferie du Trârza et du Brâkna profitaient de ce commerce de la gomme à travers une série de droits de péage demandés aux vendeurs et aux acheteurs aux escales. Les Français appelèrent ces droits de péage des coutumes. Les guerriers Trârza semblent avoir été les premiers hassân à collecter ces coutumes.

Un récit des années 1680, montre le chef Trârza Haddi recevant un payement d’un commerçant Hollandais au Banc d’Arguin et des cadeaux des marchands Français impliqués dans le commerce du Fleuve à l’Escale du Désert à côté de la ville de Rosso actuelle [2]. Plus en amont, les guerriers Brâkna sous la chefferie de Aghrish prirent le contrôle de l’Escale du Coq, près de Podor, au XVIIIe siècle. Dans les années 1750, des traités Européens récompensèrent les Ahl Aghrish avec la plus grande partie de coutumes dans cette région. [3].

A suivre…/

Dr Raymond M. Taylor
Saint Xavier University, Chicago (États-Unis) .Traduit de l’Anglais par Christophe de Beauvais .Publié dans : Colonisations et héritages actuels au Sahara et au Sahel, sous la direction de Mariella Villasante Cervello, Paris, L’Harmattan : 205-236.

Articles précédents : http://adrar-info.net/?p=24356 ; http://adrar-info.net/?p=24396

[1] Sur l’organisation des principaux groupes guerriers du Trârza et du Brâkna, voir Cheikh (1985 : 247-312), Poulet (1904 : 16-76), et Marty (1919 : 63-65 sur le Trârza, et sur le Brâkna, Marty 1921 : 109-53). Toutes ces sources, selon moi, accordent trop de crédits aux traditions généalogiques qui servaient comme média de l’identité collective et manquaient à prendre en compte l’importance de l’assimilation et des manipulations généalogiques dans le développement de ces groupes. De ce point de vue, le travail de Pierre Bonte est particulièrement intéressant. Dans son travail sur un groupe guerrier, à l’époque précoloniale en Adrâr, une région située au Nord de l’actuelle Mauritanie, Pierre Bonte fait l’hypothèse d’un processus de mutation généalogique qui dépistait les changements au sein des factions et des alliances factionnelles. Voir notamment Bonte 1982 : 489-516 ; 1985 : 39-52 ; et surtout Bonte 1987 : 54-79.

[2] Le Sieur de la Courbe rencontra Haddi à l’Escale du Désert (non loin de la moderne Rosso) en avril 1686. Bien que le rôle de Haddi dans le commerce riverain soit marginal, le récit montre l’importance des bénéfices qu’il recevait des Hollandais qui pratiquaient le commerce de la gomme tout au long de la côte. La Courbe tenta en vain de dissuader Haddi de faire affaire avec les Hollandais : « Nous parlasmes ensuitte des Hollandais, dont il se loüoit fort, me disant que, quand toutte autre nation iroit a Arguin, il ne traitteroit point avec elle; il me dit en detail ce qu’ils luy donnoient, cent fusils, cent pistolets, une piece de 58, chaque quintal [de gomme], quatre barils de poudre, quatre barils de bales, du pain, du miel, des prunes, de beaux miroirs, des chevaux, et plusieurs autres choses, que, quand il alloit au navire, s’il voyoit au capitaine quelque choses qu’il luy plût, il le prenoit; je luy dis ce que je pûs pour luy persuader qu’il valoit bien mieux faire amitié avec nous qui estions les legitimes possesseurs de ce commerce. » (P. Cultru, Premier Voyage : 154-157). [En français dans le texte, NDT]. Deux décennies plus tard, les liens entre le Trârza et la vallée du Sénégal étaient devenus plus familiers. L’émir du Trârza, Ali Shandura, s’immisçait dans la politique factionnelle du Waalo, provoquant des heurts avec des officiels français comme André Brüe, directeur des opérations pour la Compagnie du Sénégal. Voir André Delcourt, La France et les établissements français au Sénégal, 1952 : 152.

[3] Sur les traditions concernant le commerce de gomme voir Faidherbe, Notice sur la colonie du Sénégal, 1859 : 86-87 ; et Marty 1921 : 30. L’un des plus anciens documents sur les coutumes Brâkna est un texte anglais laissé après la réoccupation de Saint-Louis par les Français en 1779. Golberry en prit connaissance en 1786 et en fit, suivant ses dires, une traduction complète. Elle consiste en une série de coutumes annuelles dues à chacun de plusieurs « princes » Trârza et Brâkna et précise qu’une « coutume annuelle sera payée au roi Hamet-Moktar, chef de la famille Agrichy, aussi longtemps que subsisteront le fort et l’établissement de Podor. » (1802 : 275) [En français dans le texte]. Voir Golberry 1802 : 266-277 ; et aussi Marty 1921 : 33-35.


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