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Moudjeria : retour aux sources
Le Tagant se caractérise par son étendue géographique, c’est une région comprise entre celle du Brakna et de l’Assaba. Zone sylvo pastorale par excellence, le Tagant est composé de dunes de sable, de vastes plaines avec une faible végétation, et de montagnes.
Moudjéria est un département de la région de Tidjikdja; c’est dans ce fief que notre père a servi 24 ans durant comme infirmier, de 1939 à 1963. Il est normal que tous ses enfants y soient nés. 51 ans après, j’ai revu non sans une certaine nostalgie ce lieu ou la beauté se retrouve dans la splendeur de sa haute montagne et la chaleur humaine de ses habitants. Reportage.
Aux environs de 10h30, notre muni bus chargé avec soin avait quitté la capitale pour prendre la route de l’Est. Hommes et bagages occupaient toutes les places disponibles pour une grande aventure. Après quelques kilomètres sur les dénivellations des dunes roses, entre Nouakchott et Boutilimit, le moteur diésel du 4 x4, insoumis luttait contre une canicule qui s’annonçait malgré la climatisation du véhicule.
Se déroulait devant nous, un grand désert de sable orange dépouillé de toute végétation à certains endroits, et sous notre regard défilait un paysage morne, infiniment désolé qui s’étendait jusqu’à son horizon qui réverbérait. Un monde de silence et d’immobilité où montait une effroyable solitude troublée par un vent féroce d’une chaleur sans limite : l’harmattan.
Dans ces endroits, où l’éternité dans son immensité semble se moquer de la vie et de ses vains efforts, un turban toujours enveloppé sur la tête est devenu le premier compagnon des hommes dans les différents villages dépassés. Habitués de cet environnement, des éleveurs ont toujours pu y survivre avec leur cheptel.
Eux, avec les anciens fonctionnaires et le colonisateur, ont pu seuls vaincre un territoire aussi insondable que démesuré. Après une heure de route, on été toujours dans le Brakna, un silence plana sur tout le monde, chacun était tendu par l’effort avare de son souffle. Ici même le temps semble s’arrêter face au sentiment de l’infini.
La conscience d’affronter une force supérieure pesait sur nous de tout son poids quand la lumière du jour était sur nos têtes. Aleg fut enfin dépassé, puis Guimi, dans ce bled dans les années 60, en dehors des tentes, il n’y avait qu’une seule maison ; celle du vieux Namory Keita, un guérisseur, qui voyageait toujours sur le dos de son taureau noir, il faisait la navette entre Boghé et Moudjéria vendant sa médecine traditionnelle. Après Guimi, Cheguérre, Douwara et Makta Lahjar, où nous fîmes une pause avec restauration aux frais du conducteur.
Après notre première halte, nous quittâmes la route de l’espoir pour celle qui mène à Tidjikdja. On continuait notre route cette fois vers l’Est et pendant que le grand cercle jaune descendait à l’ouest, le village Letfatar était enfin visible, situé à une quarantaine de kilomètres, c’était le premier aérodrome de Moudjéria. C’est ici que se posaient les avions.
Moudjéria enfin. C’est avec un cœur gros comme çà que ma grande sœur qui porte le surnom de « mijjiria » (Moudjéria) et moi sommes arrivés dans la ville où nous avons vu le jour. Moudjéria avec son imposante montagne et son fameux « gléb Sid ‘Ahmed », à l’allure d’une pyramide avec son col blanc. Que dire du « Guentour », cette grotte de couleur blanche et qui ressemble à un cœur au centre de cette pyramide rocheuse et que dire du « chetf » ou coule l’eau de source de ce fleuve souterrain ?
C’est cette immense montagne que les véhicules affrontent pour se rendre à la capitale régionale du Tagant ; Tidjikdja. Un camion citerne pesamment l’arpentait, vu de la gare de Moudjéria, un avait le gabarit de notre muni bus. Au nord de la ville, un décor essentiellement composé de quelques palmiers, de dunes, c’est « la bat-ha » qui s’étend à perte de vue. A l’est, à droite du pied de la montagne, Dakhlet Baba, le lieu où repose un saint parmi les saints : Baba Ould Sid’Amar.
Toutefois, à Moudjéria, la décentralisation ne semble pas y être passée. « Hel Coumande » (chez le commandant) à savoir la préfecture est toujours celle qu’a construite le colon. Non loin de là, la maison du directeur de l’école dans les années 60, feu Hamath Bâ est en ruine, idem que la maison qui nous a vu naitre, comme elle, plusieurs autres n’ont pas été épargnées par les assauts de l’usure du temps, elles sont pour la plus part affaissées.
En effet, rien dans l’apparence ne laisse croire qu’on est sur les terres qui ont abrité l’émirat du Tagant, sur le seul lieu où l’armée coloniale a formé et forgé ses appelés sous les drapeaux avec toute la rigueur qui sied, avec l’enregistrement à l’état-civil de tous les enfants des premiers fonctionnaires de ce pays et leur entrée à l’école publique.
Le fort de Moudjéria aujourd’hui modifié, avait fini de faire la réputation du coin, où la rigueur et le sérieux transparaissaient dans les faits et gestes des habitants du Tagant. Ici, dans ce bled, le colon a témoigné tout le respect pour l’émir du Tagant, Bakar Ould Soueid’Ahmed et pour celui à qui il a passé l’émirat : Abderrahmane Ould Soueid Ahmed, le grand ami de mon père.
Un quart de siècle après, la ville de Moudjéria qui compte à présent deux lycées, a pourtant façonné des fils dont toute la Mauritanie se glorifie, mais hélas, peu d’entre eux ont investi dans la ville qui les a vus naitre. C’est dommage.
Amadou Diagne Niang