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Presse mauritanienne: où vont les 500'000 euros annuels de subventions?
Le Courrier du Sahara - En Mauritanie, l’Etat attribue chaque année 200 millions d’ouguiyas (500’000 euros) au fonds d’aide publique à la presse privée. Ce mécanisme a été créé en 2011 afin de «favoriser une presse crédible et responsable». Mais les subsides versés aux patrons de presse n’arrivent pas toujours à bon port.
Le constat du directeur de publication du quotidien Le Rénovateur, Cheikh Tidiane Dia, est sans appel. L’aide publique allouée par l’Etat à la presse privée mériterait d’être mieux orientée, selon ce journaliste expérimenté:
«Beaucoup de rédactions ne disposent que d’une plaquette devant l’entrée. Et il n’y a rien à l’intérieur des bureaux. Pourtant de l’aide financière leur est versée, pour l’achat et le renouvèlement du matériel bureautique».
Le fonds est géré par un comité de huit sages: le président, issu de la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA), deux représentants du ministère de la Communication, un autre du ministère des Finances et quatre membres de la presse privée. Dans son dernier rapport daté de 2013, le comité affirme avoir pleine conscience des problèmes rencontrés dans l’octroi de cette manne financière.
Dans ce document que Le Courrier du Sahara a pu consulter, les huit sages suggèrent même d’utiliser une nouvelle méthode pour mieux cibler le versement des subventions. Ils proposent d’octroyer «un appui financier et technique direct en faveur des journalistes rédacteurs, au lieu de verser l’argent aux directeurs d’établissements de presse». Ils recommandent aussi de «verser, directement au bailleur, la subvention pour la location des bureaux.» Autant de propositions qui témoignent de la confiance toute relative accordée par le comité à certains patrons de presse mauritaniens.
Des contrats "précaires" malgré les subventions
L’octroi des subventions est pourtant déjà très réglementé. Une vingtaine de critères doivent être respectés par les entreprises de presse en demande, selon un document que le Courrier du Sahara a pu obtenir du secrétaire du fonds, El Arbi Ould El Arbi. Comptabilité détaillée, inscription au registre du commerce, création d’un compte bancaire au nom de la société. Les organes de presse écrite sont également tenus de présenter un minimum de trois contrats de travail en bonne et due forme alors que les télévisions et les radios doivent contractualiser au moins dix employés.
Mais ces critères ne sont pas totalement respectés, selon les journalistes de la place. «Les établissements de presse ont fait des efforts pour embaucher des employés afin d’obtenir de l’aide publique. Mais les contrats qui leur sont proposés ne sont pas toujours formalisés et, souvent, ils ne garantissent pas les droits du journaliste», estime Khalilou Diagana, rédacteur en chef du journal Le Quotidien de Nouakchott.
Pour faire face à ces manquements, le comité de gestion et de répartition du fonds promet de renforcer la «vérification sur le terrain de la conformité des organes de presse aux normes d’entreprise, au lieu de se contenter de documents fournis.»
Les entreprises de presse sont classées en fonction de leur capacité à respecter les critères définis par les huit sages. Toutefois, des entreprises faiblement notées (5 sur 20) se sont vues octroyer des subventions, comme le confirme le rapport 2013 de cette institution.
149 établissements et associations de presse en ont bénéficié en 2013 sur un total de 209 entreprises (radio, tv, journaux et sites web) recensées une année plus tôt. Cinq chaînes de télévision et cinq stations de radio privées, créées après la libéralisation de l’audiovisuel, viennent étoffer cette offre déjà foisonnante.
Un quotidien subventionné ferme quatre mois plus tard
Le quotidien «Akhbar Nouakchott» occupe la tête de liste des bénéficiaires en 2013. Selon le rapport du comité, ce média a perçu une subvention de 1'775’564 ouguiyas cette même année. Toutefois, ce journal ne paraît plus depuis quatre mois.
Dans certains autres médias, le fond destiné à la formation du personnel n’a finalement pas été utilisé à cette fin, selon des journalistes contactés par Le Courrier du Sahara.
El-Mourabitoune, l’une des seules télévisions à avoir bénéficiée des subventions en 2013, a récemment remercié 19 employés. Fin 2013, la chaîne avait pourtant reçu 6'667'821 d’ougiyas d’aides dont plus d’un million pour le paiement des salaires et la formation du personnel. Une formation interne a été proposée au personnel en mai dernier mais l’avenir de cette télévision reste incertain.
Des salaires maintenus à un faible niveau, malgré l’aide
La même année 2013, le comité a attribué plus de 85 millions d’ouguiyas de subventions pour aider au financement des salaires des journalistes employés par les journaux et sites web du pays. Mais cela n’a eu qu’un faible impact sur le niveau de vie des reporters. «Les salaires restent très faibles: entre 40'000 (100 euros) et 100’000 ouguiyas (250 euros) pour un journaliste de presse écrite, détaille le rédacteur en chef du Quotidien de Nouakchott, Khalilou Diagana. Et le reporter doit payer lui-même ses frais, comme le transport et l’achat de cartes téléphonique. Pour joindre les deux bouts, le journaliste mauritanien est contraint de travailler dans différents organe de presse.»
Absence d’un mécanisme de suivi
Cette réalité inquiète les huit sages mais leur marge de manœuvre est réduite. Ils ne disposent pas de suffisamment de temps pour visiter les nombreux établissements de presse subventionnés. Et aucun mécanisme de suivi n’a été mis en place pour savoir si les subventions accordées arrivent réellement à destination.
Dans son dernier rapport, le comité estime nécessaire de réviser la loi afin de renforcer les contrôles. Mais le mécanisme n’a pas encore vu le jour. «Le fonds a été créé en 2011, c’est une première expérience. Nous n’avons pas voulu être trop exigeant au départ.
Le prochain comité prendra, sans doute, des mesures strictes pour la répartition du fonds», relativise Ahmed Ould Mboyrik, président du comité sortant. Son mandat a expiré il y a plus de cinq mois, tout comme celui des sept autres sages. Le nouveau comité, qui aurait dû être investi le 1er janvier 2014, n’a pas encore été désigné. De quoi retarder encore un peu les réformes envisagées pour une meilleure gestion du fonds d'aide à la presse.