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Petite polémique sur l’origine du mot « capaato » (maure) - 1ère partie
Biladi « Tout savoir historique est par principe douteux, car susceptible de promouvoir certains groupes au détriment d’autres »
La remarque (« ce serait dommage que tout ça se noie dans le net ») et la suggestion d’une femme pour laquelle j’ai beaucoup d’affection, d’admiration et de gratitude, m’ont convaincu de l’intérêt éventuel de la publication d’un récent débat auquel j’ai participé.
Un de ces innombrables et volatiles débats qui agitent en permanence nos petits univers informatiques, et dont, le plus souvent, l’écho se perd dans le brouhaha binaire de l’internet,
Le débat porte sur l’origine du mot capaato (maure, en pulaar).
Il a eu pour cadre un des fora électroniques spécialisés dans le Pulaar et la culture pullophone. Parmi les hypothèses avancées, l’une m’a frappé par son caractère savant et péremptoire et par ses implications idéologiques. Elle émanait d’un des plus actifs contributeurs du forum (désigné, ci-dessous, par les initiales M.S.).
En fait d’échanges, le débat s’est résumé à une polémique à deux voix (M.S. et moi), structurée en trois séquences que, pour des raisons de commodité, nous présentons en deux parties.
1ère partie : Maures et razzias
M.S.
« Étymologiquement, le mot “capaato” viendrait du wolof “safar” qui signifie « feu”. Cette désignation serait sans doute liée aux pratiques de razzia courantes que les maures perpétraient sur les populations du Fuuta, en mettant le feu (safar) aux habitations et dans les plaines cultivées.
Pour les fuutankooɓe, les « maures » représentent un peuple qu’ils identifient et associent au feu “safar”. Ainsi, “safalɓe”, ce sont ceux qui « brûlent », en référence à la pratique de razzia, une technique de guerre, de pillage faite de dévastation et de désolation.
Les wolofs, pour dire “maure (s)”, utilisent la même forme de désignation (appellation) avec le mot “naar” qui signifie aussi “feu”. »
Les variations à l’initiale (c/s) et celles à la finale (p/f) font qu’on a «cap » et «saf » dans le radical nominal, d’où « cap-aat-o » (au singulier) et « saf-al-ɓe » (au pluriel).
Quant à la présence consonantique dans les formes « al » de (saf-al-ɓe) et « aat » de (cap-aat-o), elle est en rapport avec la consonne finale du mot d’emprunt « saf-ar », qui est ici soumise au phénomène de dissimilation, c’est-à-dire au fait qu’une même consonne change de forme (ainsi « r » devient « l » ou « t »), du fait d’opérations morphologiques liées à l’affixation des marqueurs de classe.
En effet, comme on l’aura remarqué, le wolof, contrairement au pulaar, n’a pas de marqueur de classe dans ses unités nominales. Ce qui fait que dans « saf-ar », c’est : - la dissimilation de (« r» en « l ») qui donne le mot « saf-al-ɓe » avec l’affixation du marqueur de classe « ɓe » (qui est le marqueur pluriel des humains) ; - la dissimilation de (« r » en « t ») qui donne « cap-aat-o » avec l’affixation du marqueur de classe « o » (marqueur singulier des humains)
La dissimilation obéit à des règles phonologiques précises, elle doit s’effectuer dans un même ordre phonétique, en l’occurrence, ici, il s’agit des dentales ou alvéolaires (r, t, l). C’est un phénomène très courant en pulaar.
ACB à M. S…
J’ai beaucoup de respect pour le savoir et les compétences linguistiques de l’auteur de ces lignes. Je dois cependant avouer que ses explications sur l’étymologie de « capaato/safalɓe » m’ont laissé dubitatif, et me posent plus de questions que lui ne m’apporte de réponses.
M. S… semble oublier (…) qu’avant de devenir des Fuutaŋkooɓe, les populations qui allaient constituer le groupe ethnique Haalpulaar ont longtemps cohabité avec les Berbères, dans les régions du nord et du centre de la Mauritanie.
Á moins que ces populations (ou, plus tard, les habitants du Fuuta Tooro) aient connu les Maures après -ou par l’intermédiaire des Wolofs (si tant est que ceux-ci se soient déjà constitués en groupe spécifique), on comprend mal pourquoi les Fuutaŋkooɓe utiliseraient le terme wolof « safar » pour désigner les Maures, quand ils ont, au bout de la langue (pourrait-on dire) les mots « jeyngol » et « itte » pour désigner le feu.
(…) pourquoi les Fuutaŋkooɓe s’embarrasseraient-ils d’un « safar » wolof quand les wolofs eux-mêmes, dédaignant leur propre feu, s’approprient celui des Maures (« naar ») pour désigner ceux-ci ? Par ailleurs, et sauf erreur de ma part, en wolof, feu se dit « safara » et non « safar ».
Ce qui, si cela était vérifié, réduirait à néant l’argument relatif au « phénomène de dissimilation qui fait qu’une même consonne change de forme (ainsi « r » devient « l » ou « t »), du fait d’opérations morphologiques liées à l’affixation des marqueurs de classe ». Le « a » final de « safara n’étant pas un marqueur de classe, quelle opération magico-morphologique pourrait bien expliquer sa présence à la fin du mot ?
Car, contrairement à ce que pense M.S., le wolof possède des marqueurs de classes : Nit ki, nit ñi (la personne, les personnes) ; jigeen ji (la femme) ; kër gi, kër yi (la maison, les maisons) ; ndaw si (l’enfant) ; buum bi (la corde);lëf li, yëf yi (la chose, les choses). Que ces marqueurs soient moins nombreux, et leurs fonctions plus limitées qu’en Pulaar, ne signifie nullement leur inexistence.(…)
J’ai bien peur que notre tendance naturelle à une interprétation individuelle, se suffisant à elle-même, ne nous pousse à affirmer comme évidence ce qui n’est, au mieux, qu’une hypothèse parmi d’autres. Quelques douloureux qu’aient pu être les razzias, les villages et les champs incendiés (pour ceux qui les ont subis dans le passé », ou qui les subissent, sous d’autres forme, aujourd’hui) notre histoire commune est plus complexe et moins unilatérale que nos traditions populaires et certaines de nos relations savantes ne le disent.
Les mots sont quelquefois des fossiles de l’histoire, ils méritent, à ce titre, d’être revisités avec l’attention et la prudence nécessaires.
Le seul argument linguistique ne suffit pas toujours à révéler l’origine et l’évolution des mots, et une question de ce genre interpelle, le plus souvent, non seulement les linguistes, mais aussi les anthropologues, les historiens, les archéologues, les religieux et les détenteurs des savoirs traditionnels.
M. S… à ACB
Vous avez dit, contrairement à ce qu’affirme M. S…, que le wolof a bien des marqueurs de classe (ce qui en dit long sur votre niveau de connaissance et de maîtrise du pulaar et du wolof, au plan linguistique, et donc sur la valeur des arguments ou contre-arguments que vous avancez quant à l’analyse sur l’origine et la signification du mot « capaato » que je propose et étaye avec des arguments linguistiques solidement construits, contrairement à vous).
En effet, en wolof, quand on dit « nit ki », je suis désolé, mais « ki » n’est malheureusement pas un marqueur de classe, mais un déterminant, et c’est là que réside toute la différence avec le pulaar. En effet, le wolof n’a pas conservé dans sa morphologie nominale actuelle, contrairement au pulaar, ses marqueurs de classe
En pulaar, la structure d’une une unité nominale permet de distinguer un « radical » associé à un « marqueur de classe ».
Exemples :yah-re ; neɗɗ-o ; lew-ru ; pii-ndi.
Alors qu’en wolof, on n’a que le radical : nit « homme » ; garab « arbre » ; muus « chat » ; buur « roi » ; nakk « vache » ; mbaam « âne » ; bet « œil » ; fas « cheval », etc.
Ce qui signifie que, comparativement au pulaar, le wolof, au cours de son évolution, n’a pas gardé ses marqueurs de classe (et je vous mets au défi de me trouver ne serait-ce qu’un seul mot qui prouve le contraire). Cette différence entre le pulaar et le wolof est fondamentale, car la morphologie est déterminante pour comprendre et expliquer par exemple les relations grammaticales qui existent entre le marqueur de classe et le déterminant nominal.
Ainsi, dans « yah-re », c’est le marqueur de classe « re » qui permet d’obtenir le déterminant nde du nom yahre (ex. yah-re nde), dans yim-ɓe, ce sera le marqueur de classe « -ɓe » (yim-ɓe ɓe), ce qui n’est pas le cas pour le wolof, où le nom nit n’a pas de marqueur de classe permettant d’expliquer la forme du déterminant ki, il en est de même pour garab (gi), mbaam (mi), etc.
Si vous étiez constructif dans votre démarche d’explication et d’argumentation, vous devriez, je vous le dis sans aucune prétention et sans aucune rancune, d’abord franchir l’étape de comprendre les faits basiques du pulaar et du wolof, avant de vous lancer à corps perdu dans des spéculations qui n’apportent rien au débat, en plus d’être fondées sur des connaissances linguistiques plus qu’approximatives, ce qui ne vous empêche pas pourtant de faire la leçon.
Et contrairement à ce que vous me prêtez, je n’ai jamais dit qu’il y avait de dissimilation en wolof en parlant de « safar », ce serait un contresens, puisqu’il n’y a pas : « affixation de marqueurs de classe » dans les radicaux de cette langue. En revanche, le mot « safar », une fois intégré dans la morphologie du pulaar, va être soumis, en particulier sa consonne finale, à la dissimilation, du fait de cette affixation des marqueurs de classe (ɓe, o, i) : saf-a(l)-ɓe; cap-aa-(t)-o ; cap-a-(t)-oo-j-i.
Ce phénomène de dissimilation à propos de « safar », qui vous échappe, est pourtant bien attesté dans les mots même de : saf-a(l)-ɓe et cap-a(t)-o. Il y a bien dissimilation entre (l et t), un fait avéré, qui accrédite la thèse de « safar » (je n’impose rien, j’analyse). L’analyse linguistique que je propose est tout à fait recevable, même si les interprétations peuvent diverger, cela va de soi.
Rien n’est imposé. Il n’y a pas donc d’argument à « ruiner » pour reprendre votre expression, mais un savoir commun à construire et à partager ensemble, c’est, me semble-t-il, l’objectif souhaité dans ce forum d’échanges où on cherche à fédérer toutes les bonnes volontés, à mutualiser les connaissances et contributions souvent très riches, tout ceci, pour faire avancer une langue qui nous est tous chère, chacun dans le cadre de son domaine de compétence ou de prédilection, ce qui n’empêche pas d’être dans la complémentarité et surtout dans l’ouverture d’esprit (ce qui ne s’apprend pas, mais se cultive).
ACB à M. S…
Je vous suis sincèrement reconnaissant pour la très instructive leçon de linguistique que vous me donnez. Je reconnais, avec humilité, que mes connaissances en la matière sont moins que « basiques », comme vous le dites avec tant d’amabilité, et qu’il est toujours risqué de s’aventurer sur des terres que l’on connaît mal.
Je suis, hélas, (…) trop âgé, pour suivre le conseil avisé que vous me donnez « de d’abord franchir l’étape de comprendre les faits basiques du pulaar et du wolof, avant de (…) me lancer à corps perdu dans des spéculations qui n’apportent rien au débat, en plus d’être fondées sur des connaissances linguistiques plus qu’approximatives ».
C’est inutilement méchant, mais c’est assez juste, et donc mérité.
Pour autant, ma nullité linguistique n’épuise pas le débat. J’ai le sentiment que vous n’avez pas compris le sens de mon intervention –ou que vous faites semblant - car en vous focalisant sur mon incompétence linguistique, vous occultez la question de fond, et négligiez quelques menus détails.
Pour ce qui est des détails, c’est évidemment mon ignorance qui parle, et vos lumières me seront certainement utiles. Si, comme vous le dites, en wolof, on n’a que le radical, il aurait été pertinent que vous ajoutiez « safara » (feu) à votre liste de mots wolofs, et que vous nous expliquiez par quel procédé le mot a perdu sa qualité de radical et sa voyelle finale, pour devenir ce « safar » si commode pour votre démonstration.
(…) Je ne saurais me prononcer sur la véracité de la parenté que vous établissez entre le feu et les Maures. Peut-être est-elle réelle. Quand vous en aurez établi la preuve, autrement que par une manipulation historico-linguistique, ce sera sans hésitation aucune, et même avec joie, que je vous remercierai d’avoir éclairé mes ténèbres et élargi mes connaissances.
Ce que je mets en doute, par contre, ce sont les prémisses et les fondements historiques de votre démonstration, qui me semblent éminemment discutables.
Prémisses et fondements qui ont beaucoup à voir avec la linguistique, mais qui nous font également entrer de plain-pied dans l’histoire, dans l’anthropologie et même dans la syntaxe et a grammaire. Rassurez-vous, je ne suis pas plus historien qu’anthropologue, ou grammairien, ou syntaxo-machinchose, mais je vais essayer de faire au mieux de mes faibles connaissances.
Pour la clarté de ce débat, il importe de faire la distinction entre Haalpular’en et Fuutaŋkooɓe. Si leurs significations sont proches, les deux termes ne sont pas pour autant synonymes.
Dans le contexte qui nous occupe, et pour faire court, Haalpulaar regroupe l’ensemble des locuteurs de la langue Pulaar.
L’appellation Fuutaŋke/Fuutaŋkoobe a, quant à elle, deux dimensions principales. La première est temporelle : Le nom Fuuta est historiquement daté ; il n’aurait été donné au pays, qu’à l’avènement de la dynastie deeniyaŋke (début ou milieu du XVe siècle). Son premier nom connu est Tekruur (dynastie des Jaah-Oogo et des Manna).
La deuxième dimension est anthropologique : les Fuutaŋkoobe sont une nationalité historiquement constituée, composée, dans son immense majorité, de Halpulaar’en, et comprenant des minorités significatives de Soniŋko (les Manna étaient, selon certaines sources, des Sumaare), de Wolofs, et de… Maures.
Etymologiquement, dites-vous, le mot « capaato » viendrait du wolof « safar » qui signifie « feu ». (…) « Cette désignation, selon vous, serait sans doute liée aux pratiques de razzia courantes que les maures perpétraient sur les populations du Fuuta, en mettant le feu (safar) aux habitations et dans les plaines cultivées ».
Comme moi, vous connaissez la formule pulaar « Pullo araani, Capaato araani » (« le Peul n’est pas venu, le Maure n’est pas venu ») qui fait sourire notre quotidien à chaque fois qu’un objet personnel disparaît mystérieusement. Selon certains (je m’arme de toutes les précautions), elle fait probablement allusion aux razzias maures, venant du Nord, et aux ruggooji fulbe, venant du sud, qui ravageaient le Fuuta, aux périodes de récolte.
Grâce à vous, je comprends maintenant que si mes cousins Kah du Ferlo sont appelés Njeŋgelɓe, c’est qu’à l’instar des Maures, qui brûlaient les plaines avec un « safar » wolof, eux incendiaient les cases du Fuuta avec un « njeygol » peul, à la pureté ethnique incontestable.
Les Maures opéraient-ils des razzias dans la vallée du Sénégal ? Oui, incontestablement. Avaient-ils l’exclusivité de cette pratique ? Tout porte à croire que non. Les relations historiques Maures/communautés négro-africaines peuvent-elles être réduites à celles d’éternels razzieurs brûlant les champs et les cases et de razziés, éternelles victimes passives ? Assurément, non ! Le terme caapato tire-t-il son origine de ce passé de razzieurs et d’incendiaires ?
C’est à ces questions que vous apportez une réponse sans équivoque, lorsque délaissant les possibilités hypothétiques que vous offrait le conditionnel, vous passez à des temps de l’indicatif péremptoires et définitifs : « Pour les fuutankooɓe, les « maures » représentent un peuple qu’ils identifient et associent capaato au feu « safar ».
(…)
Les Fuutanoɓe d’ethnie soninke, wolof ou maure opéraient-ils la même identification ? Utilisaient-ils, dans leur langue, les termes « capaato » et « safar » ?
Et des Fuutankooɓe de quelle époque parlez-vous ? De ceux d’aujourd’hui ? Des populations noires qu’Abou Baker Ibn Omar pourchassaient dans le centre et le nord-ouest saharien, au XIe siècle ? De ceux de l’époque de Chaar Babbe, quand les troupes de Nasser Eddine, alliées au Toorooɓe du Fuuta et aux Tubanuun du Walo, ont occupé, momentanément et partiellement ces deux pays ?
Ou quand, sous Sawa Laamu, à l’apogée de la dynastie deeniyaŋke, les émirats voisins subissait la tutelle du Fuuta ?
S’il n’est pas facile de dater, une représentation collective, il est possible de situer la période de sa cristallisation, ou au moins, d’en déceler des traces dans la vaste mémoire culturelle d’un peuple. De repérer dans ses proverbes et ses contes, ses légendes et ses sentences, une expression (ou plusieurs) qui illustre une telle représentation collective, et qui confirme, pour le cas qui nous concerne, la parenté entre la safara du wolof et le capaato du pulaar.
Le Pulaar dispose, certes, de quelques expressions à connotation négative, voire péjorative, sur les Maures : « hol capaato, hol hoore weendu » ; « capaato wona giɗo », etc., (à l’inverse, ces derniers en ont certainement d’aussi vertes sur les Kwar, en général, et les Vullaani, en particulier). Pour ma part ne connais aucune expression pulaar (mes connaissances sont limitées, je sais) qui fasse référence au feu des razzias maures. Mais peut-être en connaissez-vous ?
Votre formulation à propos de la représentation des Fuutaŋkooɓe souffre de nombreuses autres tares, dont la première est qu’elle nie la dimension multiliguistique du Fuuta et des Fuutaŋkooɓe.
(…)
Abdoulaye Ciré Ba