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Nouveau mandat pour Ould Abdel Aziz : faut-il espérer ou s’inquiéter ?
O. Salem - Un nouveau mandat de 5 ans commence pour Mohamed Ould Abdel Aziz. Entre les récriminations d’un certain Nicolas Beau (alias « bakchich.info ») et les minauderies effarouchées d’un certain Beyrouk (alias « le griot de l’émir »), je crois que tout bon mauritanien est en droit de se poser un certain nombre d’interrogations.
La grande question est évidemment : que fera Ould Abdel Aziz durant ce mandat ? Que sera notre pays dans 5 ans ?
Son premier mandat a été sans conteste l’un des plus violents que le pays ait connu : violence économique par une implacable chasse aux sorcières dirigée contre les hommes d’affaires, violence militaire par une campagne armée aux frontières, et même au-delà, en territoire étranger, violence politique et verbale contre ses opposants, violence sociale avec la recrudescence des communautarismes et du fait religieux.
L’image symbolique et paroxystique de cette violence généralisée fut la « balle amie » dont Ould Abdel Aziz a été lui-même victime et qui a failli l’emporter. La multiplication des foyers de tension, voulue ou non, a été une caractéristique permanente de ce mandat et jamais le pays n’a été aussi proche de la rupture.
Il est inutile, je pense, de revenir sur le bilan économique de ce premier mandat. Une grande majorité de mauritaniens (y compris dans les cercles les plus proches de Ould Abdel Aziz) s’accordent pour considérer que la gestion économique du pays s’apparente plus à la gestion d’une « entreprise familiale ». Durant les cinq dernières années, le pays a fonctionné comme une immense société en commandite, où Ould Abdel Aziz et ses proches étaient les commanditaires. A eux les dividendes, aux autres les sacrifices.
Mais la question économique, pour fondamentale qu’elle soit, devient parfois secondaire quand des questions plus essentielles sont en jeu. Les crises économiques surviennent et font des malheurs, mais elles finissent par passer. La plupart des pays ont connu, peu ou prou, des crises économiques ces dernières années. Certains se sont relevés, d’autres tentent encore de le faire et y parviendront.
Aujourd’hui, la question n’est pas économique, pas seulement : c’est la survie du pays qui est en jeu.
Une grande partie de la classe politique (l’opposition dite « non dialoguiste ») est tenue en marge des élections. Ses électeurs n’ont aucune marge d’expression électorale et donc aucune chance de voir leurs opinions se refléter dans la gestion politique du pays.
Quand on sait que les prochains suffrages directs, toutes échéances confondues, n’auront pas lieu avant cinq ans, cela nous donne le vertige de contempler ce grand vide sidéral qui s’étend devant nous ; que se passera-t-il ? L’opposition attendra-t-elle sagement dans son coin l’arrivée d’une hypothétique chance de dialogue dans cinq ans ? La gestion unilatérale, voire unipersonnelle, du pays connaîtra-t-elle une amélioration ?
Ould Abdel Aziz présente ce second mandat comme étant la poursuite et l’accomplissement de l’œuvre commencée lors de son premier mandat.
Mais cette œuvre est elle-même contestée et laisse une grande impression de gâchis : crise politique et dialogue de sourds entre la majorité et l’opposition, cohésion nationale menacée, économie prise en otage par une poignée de nouveaux riches, mésentente et froid avec tous les pays voisins, et, par-dessus tout, absence totale de lignes claires et visibles dans la conduite du pays ; les raisons de désespérer ne manquent pas.
On peut, certes, se remonter le moral en se disant que dans tous les cas, Ould Abdel Aziz devra partir dans cinq ans et laisser la place à quelqu’un d’autre. Mais, même ce maigre réconfort semble remis en cause.
Car, on ne devrait pas se le cacher, le principal risque du mandat qui commence est de voir Ould Abdel Aziz modifier la constitution pour supprimer la limitation des mandats présidentiels. Des amis avec qui je discute parfois de cette éventualité, dont certains sont proches du pouvoir et se targuent même de bien connaître la personne, me répondent que cela est très peu vraisemblable.
Que lui-même n’y songerait pas et que ni l’opinion publique interne, ni les chancelleries occidentales n’accepteraient cette éventualité. Que cela pourrait même susciter, en réaction, un coup d’Etat militaire contre lui.
Plusieurs raisons m’incitent cependant à penser que ce risque est très présent.
D’abord, d’autres présidents africains l’ont fait avant lui, moins jeunes et à la santé plus fragile. Cela n’a ému personne et certains de ces présidents sont encore au pouvoir.
Ensuite, la floraison d’ « initiatives » de soutien, grande spécialité mauritanienne, pourra être l’occasion de lancer cette idée, de l’accompagner et de la légitimer. Ces « initiatives », rappelons-le tout de même, se présentent comme populaires et spontanées alors qu’en fait elles opèrent toujours en service commandé.
Enfin, et surtout, Il l'a déjà fait!
N’oublions pas, en effet, que Ould Abdel Aziz a fait un coup d’Etat en 2008, non seulement contre la personne de Sidi Ould Cheikh Abdellahi, alors président démocratiquement élu, mais aussi et surtout contre la constitution. Une grande partie de la constitution avait été ainsi suspendue et remplacée par une charte militaire, non pas par voie de référendum, mais simplement par le fait d’une poignée de militaire réunis en Haut Conseil d’Etat qui se sont arrogé, par leur seule volonté, les pouvoirs d’une assemblée constituante.
Qu’est-ce qui empêcherait Ould Abdel Aziz de réunir les mêmes constitutionnalistes ayant rédigé la charte militaire en 2008 (il serait plus exact de parler simplement de juristes, puisque leur travail était proprement anticonstitutionnel), et de leur intimer l’ordre de rédiger un nouveau texte ?
Qu’est-ce qui empêcherait les « initiatives de soutien » d’exiger que ce texte soit adopté ?
Qu’est-ce qui empêcherait les mêmes électeurs ayant reconduit aujourd’hui Ould Abdel Aziz de voter massivement pour l’adoption de cette révision constitutionnelle ?
Voilà les craintes que l’on peut avoir à l’esprit au commencement de ce second mandat présidentiel de Ould Abdel Aziz.
N’oublions pas non plus que notre régime n’est pas tout-à-fait démocratique, n’en déplaise au « griot de l’émir » ; que derrière la façade destinée à la consommation (principalement extérieure), nous demeurons encore et toujours dans un régime militaire. Ce sont bien les généraux qui tiennent le pouvoir, sous la houlette du général en chef. Il n’est un secret pour personne que les hauts gradés de l’Etat-major et du BASEP ont chacun son représentant au sein du gouvernement.
Le cachet militaire est tellement évident, qu’il en devient visible sur les édifices. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir l’immeuble de la présidence. Avant, on pouvait à partir du boulevard contempler la bâtisse et voir s’agiter au vent les cimes des palmiers les plus élevés du jardin. Depuis que Ould Abdel Aziz s’y est établi, il a surélevé les murs et installé des miradors : bunkerisée, la présidence est devenu subrepticement une annexe du BASEP, une espèce de miroir lui renvoyant son image, de l’autre côté de l’avenue.
Au surplus, si nous étions dans un pays véritablement démocratique, j’aurais naturellement signé ce papier de mon vrai nom. Au lieu de quoi, je suis contraint de recourir, comme du reste la plupart de mes concitoyens, à un nom d’emprunt, pour éviter les représailles et retours de bâton que le régime réserve à tous ceux qui ouvrent la bouche (et dont la manifestation minimale serait de perdre le modeste poste avec quoi je nourris mes enfants).
On peut ainsi supposer légitimement que ce mandat présidentiel ne sera qu’une continuation du précédent. Que le détournement des richesses du pays, l’amplification des crises politiques et sociales, la multiplication des incidents aux frontières (toutes entreprises qui légitiment aux yeux du citoyen épris de tranquillité la présence d’un régime fort et rassurant) continueront d’envelopper notre pays comme une chape de plomb. Indéfiniment…, si le verrou constitutionnel saute.
On peut de la sorte égrener sans fin les raisons de ne pas espérer, de ne rien espérer de ce second mandat. Mais gageons un instant que Ould Abdel Aziz est un homme intelligent, qu’il se préoccupe de son avenir et de celui de sa famille, et même, il est permis d’être optimiste, de l’avenir du pays. Que ferait-il alors ?
Il est permis d’espérer que Ould Abdel Aziz, qui aurait déjà amassé une fortune colossale et assuré l’avenir de ses enfants et petits-enfants, se reprenne et décide de remettre le pays sur les bons rails.
Dialogue et réformes politiques consensuels, gestion économique assainie, situation sociale apaisée, préparation du passage du flambeau à une autre personne (ou même à une autre majorité), avec au passage la réparation des torts et préjudices occasionnés à des innocents (Ould Bouamatou, spolié à l’intérieur, exilé forcé à l’extérieur, dont le seul tort connu est de s’être affranchi des lubies de son cousin présidentiel ; Ehel Abeidna, spoliés d’un permis d’exploitation minière pour cause d’appartenance à l’opposition ; Ehel Abdellahi, spoliés du permis du phosphate, jetés en prison pour cause de parenté avec Ould Taya, et j’en passe…).
Est-ce trop demander à Ould Abdel Aziz ? Je ne le pense pas. De toute façon, on lui a tellement donné qu’on est bien en droit, n’est-ce pas, de demander quelque chose en retour.
Le fera-t-il ? Nul ne le sait. Seule son intelligence en décidera. Voilà pourquoi, comme beaucoup de mes concitoyens, je balance entre l’inquiétude et l’espoir…
Al Mouritani