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LaHartaniya Rim : « Castée »
Adrar-Info - Née dans une société de castes, et étant moi-même issue d’une caste « inférieure », il m’a fallu beaucoup de temps pour m’accepter entièrement, et faire le deuil du passé douloureux de mes ancêtres. Oui, j’ai beau dire que je suis « fière » d’être Hartaniya, j’ai beau l’afficher en pseudo sur Facebook mais parfois, seule, je réfléchis et je me rends compte du complexe que j’ai traîné tout ma vie et qui a, finalement, déterminé mes réussites et mes échecs.
J’ai grandi dans un quartier où ma famille était presque la seule famille de « Hratine » dans le coin. A l’école primaire, je n’avais aucune amie hartaniya. Je me rappelle toujours de ce jour en 2ème année d’école primaire, je devais avoir 7 ou 8 ans quand une camarade de classe m’a demandé si j’étais « hartaniya ».
J’avais déjà entendu ce mot mais je n’étais pas sûre de sa signification donc j’ai répondu que je ne savais pas. Un autre camarade de classe avait répondu oui à ma place. Ce fut la première fois de ma vie que me sentis « différente » des autres, j’ai vu comme de la compassion dans les yeux de ma camarade de classe.
De retour chez moi ce jour-là, j’avais une seule chose en tête : savoir ce que signifiait « hartaniya ». J’ai raconté toute l’histoire à mon père et je lui ai demandé de m’expliquer ce que signifiait ce mot. Sa réponse était courte et incomplète : « en Mauritanie, il y’a des « bidhanes », des « kwars » et des « hratines », nous on est « hratines » w tov ye minti». Cette réponse ne m’était point suffisante.
Mon père ne voulait clairement pas aller dans les détails, malgré toutes les questions que j’avais pu poser ce jour-là, sûrement pensait-il que j’étais trop jeune pour comprendre. Etant restée sur ma faim, je continuais à poser la question aux gens autour de moi. Mon grand-frère, de deux ans mon aîné, m’expliqua que les autres étaient « meilleurs que nous » et que c’est pour cela que mes camarades de classes avaient eu un peu pitié de moi.
Du haut de ses 9 ans, c’était la meilleure explication qu’il pouvait me donner selon sa compréhension des choses. Sa réponse me semblait plus satisfaisante que celle de mon père, même si elle m’avait profondément fait mal. Les autres sont meilleurs que nous ? Pourquoi et comment ? Il fallait absolument que je sache pourquoi. Je posai donc la question à Tonton Fall, le meilleur ami de mon père, un soir alors que Pepe n’était pas dans le salon.
Tonton Fall, qui m’indiqua que lui était Wolof, m’expliqua alors que mes grands-parents et mes ancêtres étaient esclaves et que c’est pour cela qu’on nous appelait « Hratines », parce qu’on avait été affranchi. Quand je lui demandai ce que signifiait esclaves, il m’expliqua que mes ancêtres travaillaient pour les « bidhanes » sans être payés et qu’ils n’étaient pas « libres ». Il eut du mal à m’expliquer ce que signifiait le mot libre.
Sans le savoir, Tonton Fall m’avait bouleversé à jamais. En sortant du salon je lui avais dit « A leur place, je n’aurais jamais accepté de travailler sans être payé ». Il sourit et m’appela depuis ce jour là « ezza3ima ». Le plus douloureux pour moi a été d’apprendre, quinze ans plus tard, que Tonton Fall était en fait un hartani mais « déguisé » en Wolof…
Depuis ce jour-là, je ne me voyais plus seulement en tant que fille mais en tant que hartaniya et fille d’anciens esclaves. Je devenais de plus en plus introvertie en classe et distante de mes camarades.
Un deuxième incident allait me pousser à exceller à l’école tout au long de mes études. Je devais avoir douze ans, une femme s’était disputée avec ma belle-mère, qui est commerçante, sur une question de prix et d’argent. A la fin de la conversation, la femme dit à ma belle mère « 7ag enek khadem w feyssde, ntoume matssibou 3an dhak lefsseyed » (« tu es une vraie esclave bête, vous serez toujours bêtes »).
Ebahie devant le silence de ma belle-mère, je décidai ce jour-là que personne ne pourrait me dire un jour que je suis « bête ». Je pris alors mes études très au sérieux et je suis restée parmi les deux meilleurs de la classe jusqu’à mon 3e cycle en France.
Mais je restais « complexée », ce complexe d’infériorité que je trainais me poussais à être hautaine et antipathique avec les autres, surtout les « bidhanes »; je suis sûre d’être passée à côté de beaucoup de gens formidables au collège et au lycée. J’avais tellement été affectée et humiliée par l’incident en 2e année d’école primaire que je ne voulais plus jamais être dans une situation pareille. Tout commentaire ou regard déplacé que l’on pouvait me faire, je l’identifiais toujours au fait que j’étais hartaniya.
Il m’a fallut beaucoup de temps pour comprendre que ce « racisme » n’était en fait que dans ma tête pour la plupart du temps. En fin de compte, c’était moi qui étais devenue raciste en mettant tous les « bidhanes » dans le même sac tout simplement parce que je n’arrivais pas à assumer ce que j’étais. Le passé de mes ancêtres, la situation de la majorité des « hratines » dans le pays aujourd’hui, tout cela était trop dur à digérer et accepter pour moi. J’ai longtemps jonglé entre la haine, la culpabilité et la douleur.
Même le choix de mes études en sociologie et ethnologie avait été déterminé par cette « crise d’identité ». Cette crise qui consistait à définir le groupe dont je pouvais me réclamer, répondre à la question : « Qui sommes-nous, une oumma, une nation, un peuple, un parti, une caste ? » Ou bien à multiplier les points de vue sur qui je suis, me dotant ainsi d’une identité plurielle, qui répondrait à la question : « Qui suis-je, moi en particulier ? ».
Aujourd’hui, à 28 ans, je me cherche encore et je cherche encore ma place dans ce combat « pour la cause des Haratines ». Une chose est sûre, je ne veux être ni Birame ni Tonton Fall.
LaHartaniya Rim