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08-09-2014

12:12

Le nouveau livre de Ahmed Babe Miské : "La décolonisation de l’Afrique revisitée : La responsabilité de l’Europe"

Mohamed Salem O. Abderrahmane - Le tout dernier livre d’ABM pose le problème des relations de l’Afrique et de l’Europe. L’auteur prévient d’emblée qu’il est loin d’être « francophobe » encore moins « europhobe » en rappelant sa grande proximité avec la France et avec la langue française avec laquelle il entretient « une étonnante histoire d’amour ».

Cela ne l’empêche pas de se présenter comme un militant qui a « mené contre le colonialisme un combat libérateur ». Combat d’une vie qu’il n’entend pas renier aujourd’hui en s’attaquant, à travers le présent ouvrage, aux causes du « mal africain ».

Combat, d’ailleurs, qu’il assume pour en avoir payé le prix par le passé et dont il est prêt à payer le prix à l’avenir même si « le prix n’est jamais sûr (…) probable mais jamais sûr. Heureusement ! »

Pour l’Afrique, son constat est sans appel : « cinquante années après les indépendances, les anciennes colonies africaines sont restés dans un état de sous-développement dramatique dans tous les domaines (économique, social, culturel, démocratique, etc.).

Selon lui, cet état des choses conforte bien certains racistes dans leurs visions sur « l’infériorité de certains races spécialement les noirs « auxquels ils peuvent ajouter « leur autre bête…basanée : les arabes ».


L’auteur voit lui les racines du mal africain dans la double exploitation de ce continent par l’Europe. Exploitation de ces ressources humaines à travers la traite négrière et exploitation de ses ressources naturelles à travers la colonisation. Selon lui, l’essor de l’Europe s’est fait sur le dos de l’Afrique.

Il se pose la question de savoir si « l’Europe serait devenue ce qu’elle est devenue sans l’Afrique, c'est-à-dire sans le double apport d’une importance exceptionnelle de millions de travailleurs utilisables et jetables à merci et de ressources abondantes et gratuites, minières et agricoles où les « Métropoles » se servirent à volonté durant des siècles ».
L’Afrique est, donc, pénalisé au départ et doit alors, pour combler le fossé qui la sépare des autres nations « fournir un effort immense, travailler dix fois plus dur que les Européens des siècles passés ».

Mais ces causes exogènes n’expliquent pas tout car des pays qui étaient dans un stade de développement comparable à l’Afrique au moment des indépendances (la Corée du Sud, par exemple) ont réussi leur décollage économique. C’est là où l’auteur pointe du doigt la responsabilité des élites africaines qui ont présidé aux destinées de leur pays après leur accession à la souveraineté internationale.

Les « Pères Fondateurs », souvent en connivence avec l’ancienne puissance colonisatrice, ont continué le pillage et la dilapidation des ressources de leur pays respectifs. L’auteur dénonce la gabegie, la corruption, la restriction des libertés et la répression des mouvements politiques progressistes.

Il décrit des méthodes de gestion des affaires publiques et de mal-gouvernance digne d’une véritable voyoucratie. L’auteur prévient, cependant, qu’il ne faut pas « céder à la tentation de la facilité qui consisterait à désigner un coupable par pays, en l’occurrence le « Président- Fondateur » même si ce « PF symbolise le système en question ». Il n’en reste pas moins qu’« un élément d’un système qui le dépasse et ses mentors auraient évidement pu choisir un autre à sa place ».

Quelle part de responsabilité porte le colonialisme ou les dirigeants africains qui l’ont « remplacé » dans le retard du continent ? Selon l’auteur, les deux ont leur part de responsabilité, mais les puissances européennes portent la plus grande responsabilité car elles ont continué à coacher les dirigeants qu’elles ont mis en place après les indépendances. Elles sont aussi responsables de la traite négrière transatlantique « qui s’est traduit par la disparition d’une partie importante de leurs forces vives fauchées en pleine jeunesse et a laissé un grand nombre de peuples dans une situation d’affaiblissement durable ».

L’auteur revient sur le cas de la France qui a mis en place quelques réformettes politiques dans les colonies. Il a permis à ces dernières d’élire, souvent dans des conditions non transparentes, des représentants pour siéger au Palais Bourbon. Cependant, « l’ensemble des députés « des territoires d’Outre-Mer » -une vingtaine- n’égalait pas la représentation de certaines provinces de la Métropole ».

L’auteur note avec ironie la « belle leçon de démocratie que celle donnée par la République française de 1946, une république dont certains citoyens « valaient » dix fois plus que d’autres et étaient représentés par dix fois plus de parlementaires ! ».

L’organisation du référendum de 1958 pour le maintien ou non dans la Communauté franco-africaine n’était elle aussi qu’une manœuvre de façade. Le cas de la Guinée qui a voté « non » est édifiant à cet égard. Il constitue « la preuve la plus évidente de la volonté des colonisateurs d’avoir voulu garder indéfiniment l’Afrique sous leur tutelle.

Ceux qui ruent trop dans les brancards subissent le sort réservé au rebelle guinéen : mis en quarantaine ; ils sont soumis à une guerre économique sans merci, ils sont montrés du doigt comme étant infréquentables et leurs moindres faux pas sont mis en exergue et amplifiés, exploités au maximum pour les enfoncer irrémédiablement. ».


Le cas guinéen étant aggravé par la mégalomanie de Sékou Touré qui s’est révélé être un dictateur sanguinaire contribuant ainsi à faire de son pays un fiasco économique et politique. L’auteur évoque l’union du Mali entre le Soudan et le Sénégal et évoque le rôle de Modibo Keita et celui de Senghor auquel il attribue « l’ambiguïté d’une double fidélité ».

Il évoque aussi longuement le cas du Cameroun, divisé entre la France et la Grande Bretagne et il décrit comment les puissances coloniales n’ont pas respecté les termes du Mandat de l’ONU dans ce territoire mis sous leur tutelle. Il évoque la répression que la France a menée contre le mouvement nationaliste qui a culminé avec l’assassinat de Ruben Um Niobé.
Dans le cas malgache, l’auteur décrit comment « la mission civilisatrice » française a gravement perturbé l’enseignement en plein essor dans l’île « par une substitution autoritaire et mal préparée de la langue nationale par celle du colonisateur. ». Le résultat immédiat étant « la disparition de la moitié des écoles existantes ».

L’auteur consacre deux chapitres au cas de la Mauritanie où il est impliqué en personne, il se livrera au difficile exercice de relater des événements où il est à la fois acteur et témoin. Il retrace la pénétration française, le rôle de Coppolani et la résistance armée. Il évoque longuement le parcours de Horma Ould Babane. Il revient sur les péripéties de la résistance politique avec la fondation de l’AJM et de la Nahda. Cette dernière formation qui a des relations difficiles avec Moktar Ould Daddah, Premier Ministre désigné par l’administration coloniale.

Ses dirigeants ont connu la prison avant de signer un accord avec Ould Daddah pour fonder en 1961 le Parti du Peuple Mauritanien, parti unique fondé selon le souhait de MOD « faisons ensemble la patrie mauritanienne ». Ce parti continuera à être le seul parti autorisé en Mauritanie jusqu’ au coup d’Etat militaire qui a déposé « le Père-Fondateur » en 1978 à la suite du désastre de la guerre du Sahara Occidental. L’auteur évoque cette guerre même s’il laisse le lecteur un peu sur sa faim concernant le rôle qu’il y a joué lui-même auprès du Front Polisario.

Rôle qui continue jusqu’aujourd’hui à susciter un débat entre ceux qui estiment qu’il s’agit d’un engament normal d’un homme de principe auprès d’un peuple qui lutte pour sa libération et ceux qui soupçonnent une connivence avec l’ennemi en temps de guerre.

ABM se décrit lui-même comme faisant partie de « ceux qui se sont engagés dès leur jeunesse dans le combat libérateur, national d’abord, puis international ; anticolonialiste, puis anti impérialiste. »

En conclusion, l’auteur fait porter la plus grande responsabilité du retard de l’Afrique sur l’Europe. Selon lui « ‘la décolonisation’ du XXeme siècle a consolidé durablement la dépendance dans le sous-développement et donc la domination de l’Europe sur l’Afrique ».
Devant ce tableau noir, l’auteur se pose la question : « que faire ? ». Selon lui, les jeunes du continent apporteront, peut-être, la réponse sous la forme d’un « printemps africain » à l’instar du « printemps arabe ». Les réseaux sociaux et Internet y joueront un rôle clé sans qu’ils aient « besoin de demander à qui que ce soit la permission ».

En effet, les méthodes de lutte ont changé car l’adversaire a changé avec le temps. Il écrit : « Lorsque nous combattions le colonisateur des années 1950, l’adversaire était décelable à l’œil nu. Aujourd’hui, il est invisible. Mais les armes pour le combattre ont, elles aussi, évolué et les patriotes d’aujourd’hui en ont de très perfectionnées à leur disposition. »

Il pense que l’Afrique ne peut pas continuer à évoluer au rythme actuel sur le plan politique, économique, social si elle veut avoir une chance de rattraper le reste du monde. Il faut, donc, bousculer les choses car « les peuples, notamment les jeunes, n’attendront pas indéfiniment ; ( …) déjà ils sont beaucoup trop nombreux à fuir leur pays et à mourir dans des cales rappelant la ‘Traite’ ou à être jetés par-dessus bord comme au temps des ‘négriers’ ».

L’auteur fonde son espoir sur ceux peu nombreux parmi les intellectuels africains qui continuent la lutte pour la liberté et le développement du continent qui ont la responsabilité de mettre leurs efforts ensemble pour accélérer le changement qui devrait, bien sûr, être non violent. Globalement, il s’agit d’une œuvre pensée, profonde, écrite dans un style limpide et élégant. Il faut noter, en particulier, le style simple mais élégant d’ABM où on soupçonne un raffinement d’esprit et de classe. Ne dit-on pas que « le style, c’est l’homme ».

Le combat personnel de l’auteur apparaît dans ce livre, ici et là, distillé à «petites doses » pour se confondre avec les péripéties de la lutte d’un continent qui cherche, en vain, jusqu’à présent, son chemin vers l’émancipation.

Mohamed Salem Ould Moloud



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