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Afronline.org: Entretien avec Michel Reveyrand-de Menthon, représentant spécial de l’UE pour le Sahel: ‘’L’un des objectifs du processus de Nouakchott est d'amener les Etats à prendre conscience de la nécessité de travailler davantage ensemble’’
Le Calame - Afronline.org : L’actualité politique au Sahel a été marquée par deux conférences internationales sur la sécurité, tenues, l’une en Mauritanie, avec le Forum du G5, et l’autre au Sénégal, avec un forum international qui a réuni une trentaine de pays africains.
Lors de ces deux évènements, les chefs d’Etat de la région ont plaidé pour une intervention militaire de l'OTAN dans le sud de la Libye, indispensable, selon eux, pour stabiliser la région. Le président du Sénégal, Macky Sall, soutient que « la Libye est un travail inachevé » et qu’il faut que « ceux qui l'ont entamé puissent nous aider à le terminer ». Quel est votre sentiment ?
Michel Reveyrand-de Menthon : Avant toute chose, je tiens à préciser que je suis représentant de l’Union Européenne pour le Sahel et pas pour la Libye. Et je ne suis certainement pas représentant spécial pour l'OTAN. Par contre, je crois que ce qui est vrai, pour la situation dans le Sud libyen, l’est aussi pour le nord du Nigeria, avec Boko Haram.
Ces deux zones géographiques sont de plus en plus considérées, par les chefs d'Etat de la région, comme deux pôles de risques majeurs qui sont en train de remonter, au nord et au sud du Niger, d'une part, et au nord et à l'ouest du Tchad, d’autre part.
Concernant la Libye, tout le monde est parfaitement conscient des risques que représente ce pays pour la stabilité de la région. La Communauté internationale souhaite être la plus active possible. Il y a d’ailleurs des processus internationaux qui sont engagés, notamment de la part des Nations Unies et du représentant spécial de son secrétaire général, Bernardino Léon, et qui sont fortement soutenus par l’Union Européenne.
Vous savez, comme moi, que la situation politique libyenne est très complexe et ce processus avance donc lentement. Mais c’est avec raison que les chefs d'Etat de la région essayent et veulent attirer le plus possible l'attention de la communauté internationale sur ces enjeux.
- De nombreux experts soulignent le rôle crucial de l’Algérie, dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, et certains pensent que l’absence d’Alger, au forum du G5, pourra constituer un obstacle à cette lutte…
- C’est toute l’ambiguïté de l'architecture africaine, notamment dans la région du Sahel. Il y a un processus de Nouakchott, mis en place il y a deux ans, auquel participe l’Algérie. Lors du Sommet de Nouakchott auquel j’ai assisté, les chefs d'Etat ont fait le point de la situation, en rappelant les objectifs de ce processus, dont fait partie le renforcement de la coopération entre un certain nombre de pays qui se sentent particulièrement exposés au terrorisme, notamment l'Algérie.
Je constate que les coopérations, au sein de ce processus, avancent très bien, tout particulièrement au niveau sécuritaire et dans l’échange de renseignements, cruciaux pour lutter contre les terroristes.
Maintenant, il se trouve que cinq Etats sahéliens – la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad – ont décidé, au début de l'année, de s'organiser entre eux, autour d’un Forum appelée le « G5 du Sahel ».
Selon l’expression utilisée par le président tchadien ; Idriss Déby, ces cinq Etats se définissent comme les « pays du front », c'est-à-dire les pays qui cumulent les plus grandes difficultés et les plus grands défis, en termes économiques, humanitaires, alimentaires, sécuritaires ; de trafics et de lutte contre le terrorisme, etc. Il est donc parfaitement légitime que ces Etats décident de s’associer entre eux, et l'UE souhaite vraiment bonne chance au G5.
- Concernant le processus de Nouakchott, quels sont les obstacles qui s’opposent à l'établissement de patrouilles conjointes ?
- Le principal obstacle aujourd’hui, c'est que les pays gardent des réflexes très nationaux, en matière de sécurité. Tout l'objectif de ces démarches, notamment du processus de Nouakchott, est d'amener les Etats à prendre conscience de la nécessité de travailler davantage ensemble. Les enjeux sahéliens sont des enjeux régionaux, les solutions doivent être trouvées au niveau régional.
C'est un long processus, mais il y a aujourd’hui une volonté qui mûrit. Certains Etats ont engagé, de longue date, des patrouilles communes à leurs frontières. C’est le cas, par exemple, entre le Tchad et le Niger. C'est une stratégie qui peut être généralisée mais elle nécessite une forte volonté politique et des capacités des forces armées à collaborer suffisamment, pour engager des mesures concrètes en ce domaine.
- Au Sommet de Dakar sur la sécurité, des experts ont évoqué des liens structurés entre les groupes terroristes qui sévissent du Sahel à la Corne d’Afrique. Partagez-vous cette analyse ?
- A cette échelle-là, les connections existent sûrement mais elles sont moins systématiques que ce qu’on imagine. En tout cas, il est très difficile de pouvoir les évaluer avec précision. Boko Haram reste centré sur le nord-Nigéria. C'est donc d'abord un mouvement nigérian.
Ses actions ont, évidemment, des conséquences sur la stabilité des pays de la région mais on ne peut pas certifier la présence d’un réseau de connexions solides, entre AQMI et Boko Haram. Par contre, entre le Nord-Mali et le Sud de la Libye, les passerelles sont très nombreuses. Mais, même en ce cas, les mouvements terroristes qui y sévissent gardent aujourd’hui une forte spécificité saharienne, avec une ramification vers l'Algérie.
- Certains chefs d'Etat de la région ont dénoncé les effets néfastes de la libération de l’otage français Serge Lazarevic contre celle de présumés terroristes. Quelle est la position de l’UE à ce sujet ?
- Je crois qu'il faut surtout rester extrêmement prudent, par rapport à ce genre de situations qui sont, par définition, très délicates et difficiles à résoudre. Il n’y a pas de position officielle de l’UE sur ce sujet. La priorité, c'est que la lutte contre les groupes terroristes soit intensifiée et qu’on arrive à les faire disparaître du Sahel.
- On dit souvent qu'il n'y a pas de sécurité sans développement. Quelle est, actuellement, la stratégie de l'UE, en matière d’aide au développement des pays de la région?
- L’aide de l'UE est déterminée pays par pays, dans ce qu'on appelle les « programmes indicatifs nationaux ». Ces programmes ont été finalisés entre 2013 et 2014, et, dans l'ensemble des pays concernés, les secteurs prioritaires restent la gouvernance, la sécurité, l’agriculture, dont, notamment, les problèmes liés à la résilience, les infrastructures et le secteur de l'éducation.
Propos recueillis par Joshua Massaranti (en collaboration avec Sophie Blais)