Cridem

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18-01-2015

15:16

Larmoiements d'une plume : Des hommes au passé

Ely-Salem Ould Abd-Daim - Un différend portant sur des terres arables avait failli dégénérer en rixe mortelle entre deux groupes de cultivateurs. Il s’agissait d’habitants Peulhs de l’arrondissement de Lexeiba, et des H’ratines Lemtouna des environs. Informée de cette situation explosive, l’autorité administrative se rendit sur place, avec pour maintient de l’ordre un bataillon entier de l’armée nationale.

Chacun des deux groupes antagonistes voulait être l’hôte de la délégation officielle. Et chacun d’eux avait en vue de cette fin mobilisé ses plus fins négociateurs, pour la réussite de ce que croyaient-ils sera l’argument déterminant pour clore cette affaire en faveur de l’une des parties en présence, au détriment de l’autre.

Mais c’était compter sans la circonspection de Messaoud qui ne l’entendait pas de cette oreille-là. Celui-ci avisa un grand arbre demanda qu’on y posa une table et quelques chaises, mais rien n’y fut jamais posé à part une chaise aux fragments reliés les uns aux autres par des cordelettes que Yatéra le placide chef d’arrondissement après avoir passé le village au peigne fin, avait fini par dénicher chez un boutiquier de la place, et que le gouverneur connu pour son tempérament incisif avait à son tour envoyé dinguer contre le mur d’une habitation.

Nous finîmes par nous assoir à même le sol il faut l’avouer, mais à l’ombre tout de même, ce qui n’est pas rien, vu la température qui avoisinait les 48 degrés. Expéditif comme à son habitude Messaoud sans attendre discourût dans un Hassaniya qu’il entrecoupait involontairement d’expressions françaises.

Son discours porta sur le rôle de l’Etat, dans la protection des personnes, et des biens, et sur ce qui devrait être le rapport des citoyens vis-à-vis de l’Etat et ses représentants. Il le fit faire suivre d’une courte traduction en pulhaar, avant de passer la parole au président du tribunal qui l’accompagnait.

Sans se faire prier ce dernier qui avait déjà le nez plongé dans un dossier commença monotone une lecture que les protagonistes qui ne demandaient qu’à rentrer chez-eux, s’en seraient bien passés. Les pauvres pour s’épargner le supplice de rôtir vifs sous les rayons brûlants d’un soleil de fin d’été, étaient déjà prêts à se réconcilier sans aide extérieure, et à abandonner de bon cœur, chacun à l’autre la part des terres convoitée

Un « Harnos » - c’était la tendance pour désigner à l’époque ceux nombreux des « Djambour » qui n’avaient pas bénéficiés d’instruction, et qui refusaient néanmoins de se prêter au jeu de leurs anciens maîtres -s’était penché à mon oreille, et murmura : « Ch’halek » je répondis : « Labass. »

Etonné il poursuivit « Enté Bidhani » Je répondis que oui. Son étonnement grandit un peu plus, puis mal à l’aise, il m’assurait que jusqu’au moment où il me parlait, il croyait que ma race ne dépassée guère en chiffre le nombre restérien d’opportunistes qui venaient en saison de moisson leur quémander du mil.

Je lui répondis du tact au tact qu’ils sont bien plus nombreux que ce qu’il s’imaginait, et que dans leur majorité ils ne tenaient pas le mil en si haute estime. Son indignation fut telle qu’il s’étrangla avant de s’éloigner en toussant, ce qui mit fin et de façon inattendue à une conversation qui était si bien partie.

Dans la confusion qui suivit la levée de la séance on entendit crier quelqu’un : « On cherche les chaussures du gouverneur. » Un instant plus tard un vieux Maure avec deux babouches usées, qu’il tenait accrochées l’une à l’index, et l’autre au majeur de sa main droite qu’agitait la folie de parkinson comme une feuille au vent, avança et tendus sa trouvaille à Messaoud.

Celui-ci le dévisagea longuement, et comme s’il lui passait un test d’embauche, il lui demandait sur un ton d’examinateur insatisfait à l’avance des réponses : Votre nom ? Le patriarche planta un doigt dans son conduit auditif, signe qu’il est malentendant.

Messaoud que la nature avait doté d’une voix de ténor dût hausser le ton et répéta un peu plus haut sa question, l’autre répondu « Ma’ad ». Quel âge avez-vous ? « Pourquoi répondit le vieil homme malicieux, j ai déjà une carte d’identité moi? »

Décrispé Messaoud repris en se penchant à l’oreille du vieux, avez-vous jamais vu un asservi avec des babouches ? L’autre connu pour ses « si, si » proverbiaux, qu’il apposait d’ordinaire à toute question qu’on lui posait, dût remuer cette fois-ci sa tête de gauche à droite en signe de négation, et répondit : « Mais les temps ont changé, et les esclaves aussi. » Messaoud partit d’un de ses grands rires incoercibles dont il a le secret, et par contagion toute l’assistance lui fit aussitôt écho à la manière d’un circuit électrique.

Ely-Salem Ould Abd-Daim



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