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Question et guerre du Sahara mauritanien (suite)
Le Calame - (Suite des publications de documents diplomatiques français, Voir Le Calame des 14 & 28 Décembre 2010 – 4 & 25 Janvier, 8 & 22 Février 2011 – 22 Juillet, 12 Août & 14.28 Octobre & 3.17.23 Décembre 2014 – 21 Janvier 2015)
Le Polisario et l’échec de la concertation tripartite
L’entretien de l’ambassadeur de France au Maroc avec le ministre marocain des Affaires étrangères, à la suite du sommet tripartite d’Agadir, est d’un intérêt capital pour comprendre les relations de pays en pays, pas seulement à propos du seul Sahara espagnol. Nous y voyons la brutalité marocaine, le peu de considération – à l’époque, qui allait vite changer – du roi pour la Mauritanie et son président.
Nous y comprenons, dans la version marocaine tout à fait perspicace en cela, la position algérienne et les alternatives que le président Boumedienne se donne alors. C’est sans doute en observant – dans un silence plus qu’habile – la relation entre le Maroc et l’Algérie – que Moktar Ould Daddah choisit le cap pour son pays.
La qualité de l’outil diplomatique français nous permet d’évaluer complètement ce sommet d’Agadir. S’il n’aboutit, par force, à aucune solution consensuelle sur la décolonisation et l’avenir du territoire administré par l’Espagne, en revanche il conclut le débat entre les trois pays. L’inauguration du barrage, appelé Youssef Ben Tachfine, n’a pu être ressenti par le président-fondateur, que comme une provocation puisque les Almoravides sont une dynastie du désert mauritanien et que pour Moktar Ould Daddah, le « ribat » originel est à situer non loin de l’actuelle Nouakchott.
S’annexer la mémoire du grand souverain et du guerrier décisif était une célébration déplacée de la part du roi Hassan II. Nous mesurons là ce qu’il a fallu aux deux hommes d’Etat, si patriotes, d’emprise sur eux-mêmes puis d’intelligence pour se faire confiance l’un à l’autre.
Il importe de se souvenir que pendant ce très difficile débat diplomatique, Moktar Ould Daddah et ses coéquipiers doivent tenir, à la suite de la révision audacieuse des accords de coopération avec la France, deux autres fronts, aussi décisifs : c’est la préparation archi-secrète de la nationalisation de Miferma, c’est l’intégration de la centrale syndicale unique dans le système du Parti, également unique, de l’Etat.
Bertrand Fessard de Foucault - Ould Kaïge
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AFP. Alger – 19 Juillet 1973
Sommet maghrébin la semaine prochaine au Maroc
La conférence au « sommet » réunissant le président Houari Boumedienne d’Algérie, le roi Hassan Deux du Maroc et le président Moktar Ould Daddah de Mauritanie, se tiendrait au début de la semaine prochaine à Agadir, au sud du Maroc, confirme-t-on ce soir de source algérienne informée.
Ce sera la seconde rencontre des trois chefs d’Etat maghrébins, après leur réunion de Nouadhibou (en 1970). Comme lors de leur première conférence en Mauritanie, ils examineront le problème de la décolonisation du Sahara occidental administré par l’Espagne et feront le point des relations entre l’Algérie, la Mauritanie et le Maroc.
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AFP - Alger, le 23 Juillet 1973
Les mouvements de résistance au Sahara occidental
L’annonce du sommet d’Agadir, où se rencontreront les chefs d’Etat algérien, mauritanien et marocain, semble avoir réactivé l’opposition sahraouie, et sensibilisé l’opinion maghrébine au problème du Sahara occidental, relèvent les observateurs à Alger.
Le Sahara occidental, dit espagnol, est constitué au nord par le Sakiet-El-Hamra et au sud par le Rio de Oro. Cet immense territoire est « vide », sa population étant composée en majorité de tribus nomades, principalement Reguibet. Le Sahara occidental est cependant un territoire riche. En effet, ses côtes sont extrêmement poissonneuses et l’intérieur du pays s’est révélé être un réservoir à phosphate. Des sociétés hispano-internationales exploitent déjà intensément le centre phosphatier de Boucraa. Par ailleurs, des recherches géologiques pour des hydrocarbures. Le Rio de Oro présente donc un intérêt économique évident.
Les tribus sahraouies ont gardé le silence jusqu’à l’été 1970, date à laquelle les frontaliers marocains, mauritaniens et algériens ont fait état de troubles à El Aïoun et d’une répression menée par les autorités espagnoles. Celles-ci ont cependant démenti ces informations.
Toutefois, à l’été 1971, le « Mouvement de résistance au colonialisme espagnol » dit « mouvement des hommes bleus (les Sahariens portent le litham bleu qui protège du vent de sable), animé par un jeune Saharaoui, Moha, installait une antenne à Rabat. Les autorités marocaines l’aidèrent dans un premier temps, puis selon son … (ill.) voulurent le contrôler plus étroitement. C’est ce qui amena au printemps 1973, le départ du leader à Alger, où le « mouvement de résistance pour la libération des terres sous domination espagnole » a son siège.
Le 11 Juillet dernier est né à Rabat un deuxième mouvement de résistance, dit « mouvement du 21 août » (en souvenir de manifestations sahraouies), animé par Mohamed Abdou. Il s’agit là, semble-t-il, d’une scission menée par les éléments pro-marocains du « mouvement des hommes bleus ». Par ailleurs, le 20 Juillet, un communiqué en provenance de Nouakchott faisait état d’un troisième mouvement, « le Front populaire pour la libération du Sahara espagnol » qui, selon le communiqué, aurait été créé le 10 Mai 1973 et aurait, dès le 20 Mai, engagé la lutte armée contre les forces espagnoles.
Cette subite floraison de mouvements de résistance a étonné les experts et les observateurs. Il semble que ce soit la proximité du sommet d’Agadir qui ait multiplié les bonnes volontés et fait songer aux lendemains d’une éventuelle décolonisation.
Toutefois, relève-t-on dans les milieux diplomatiques, les autorités de Madrid, s’appuyant sur les résultats de diverses opérations électorales et les vœux des djemaa (assemblées) sahraouis, considèrent les activités de ces mouvements avec un apparent détachement, parce qu’ils se manifestent en ordre dispersé.
En outre, souligne-t-on dans les mêmes milieux, les Etats riverains du Sahara occidental parlaient en 1970, à Nouadhibou, d’autodétermination » tandis qu’en 1973, Rabat et Nouakchott revendiquent ces territoires. La nécessité d’harmoniser les thèses maghrébines en présence sera donc lundi au premier plan du sommet des chefs d’Etat.
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AFP. Agadir – 23 Juillet 1973
Sommet tripartite d’Agadir. Arrivées des présidents Moktar Ould Daddah et Houari Boumedienne
Les présidents Moktar Ould Daddah de Mauritanie et Houari Boumedienne d’Algérie, sont arrivés lundi matin, à 45 minutes d’intervalle à l’aéroport d’Agadir où le roi Hassan II les a accueillis.
Les deux chefs d’Etat, selon un protocole identique, ont été conduits par le souverain sur un podium tapissé de rouge vif où ils ont entendu les hymnes nationaux exécutés par la garde royale en tenue blanche.
Les deux présidents se sont vus offrir ensuite le lait et les dattes en geste traditionnel de bienvenue.
Pour gagner le centre de la ville, les présidents Ould Daddah et Boumedienne sont passés au milieu de milliers de personnes ainsi que de multiples groupes folkloriques qui les ont chaleureusement applaudis.
Dans l’après-midi, les trois chefs d’Etat se réunissent au siège de la municipalité d’Agadir.
Aucun ordre du jour officiel sur cette réunion tripartite n’a été diffusé jusqu’à présent. Il semble que nulle information ne sera diffusée sur ce sommet en dehors vraisemblablement d’un communiqué final.
Mardi matin, le roi Hassan II qui aura à ses côtés, les présidents algérien et mauritanien, inaugurera le barrage « Youssef Ben Tachfine » sur l’oued Massa, à une trentaine de kilomètres au sud-est d’Agadir.
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AFP . Agadir – 24 Juillet 1973
Le roi Hassan II et les présidents Ould Daddah et Boumedienne quittent Agadir.
Le roi Hassan II et les présidents Moktar Ould Daddah de Mauritanie et Houari Boumedienne d’Algérie ont quitté mardi martin Agadir pour l’Oued Massa, à environ 60 kms au sud-est de la capitale du Souss, où le souverain chérifien inaugurera le barrage « Yousssef Ben Tachfine ».
On apprend qu’à l’issue du dîner qu’il a offert lundi en leur honneur en son palais d’Agadir, le roi Hassan II et ses hôtes ont poursuivi leurs discussions commencées dans l’après-midi au siège de la province d’Agadir. Aucune indication n’a filtré sur ces discussions qui ont été consacrées essentiellement au problème du Sahara sous administration espagnole.
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AFP - Nouakchott, 24 Juillet 1973
Front populaire de libération au Sahara espagnol : démenti espagnol
L’ambassade d’Espagne en Mauritanie dément énergiquement, dans un communiqué remis à l’AFP, les informations publiées par « un prétendu » front populaire de libération du Sakiet-el-Hamra et Rio-de-Oro.
Dans ce communiqué, l’ambassade d’Espagne nie l’existence de toute action militaire sur le territoire saharien. Le communiqué indique que ces informations sont « fausses et dénuées de tout fondement », et qu’aucune répression n’a « jamais été exercée contre la population sahraouie ».
Le communiqué précise que les frontières du Sahara n’ont jamais été fermées et que « ces manœuvres sont destinées à tromper l’opinion publique internationale » et à « créer un climat de méfiance vis-à-vis de l’évolution politique du Sahara espagnol et des bonnes relations que l’Espagne entretient avec les pays limitrophes ».
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AFP . Agadir – 24 Juillet 1973
Le roi Hassan II inaugure le barrage « Youssef Ben Tachfine »
Le roi Hassan II, entouré notamment de ses hôtes, les présidents Houari Boumedienne d’Algérie et Moktar Ould Daddah de Mauritanie, a inauguré mardi matin, à environ 60 kms au sud-est d’Agadir, le barrage « Youssef Ben Tachfine » (nom d’un empereur du Maroc ayant notamment anéanti, en 1086, l’armée du roi de Castille Alphonse VI dans la bataille de as-Zallàqa, après avoir conquis presque toute l’Afrique occidentale).
Edifié sur l’oued Massa, ce barrage a une capacité de retenue de 310 millions de mètres cubes d’eau destinés essentiellement à l’amélioration des irrigations dans la basse vallée de l’oued Massa et à la création d’un nouveau périmètre d’irrigation de 14.000 ha dans la plaine des Chtoura. L’ouvrage, construit en terre et enrochement par la Compagnie française d’entreprise, a une hauteur de 75 mètres et 670 mètres de longueur. La réalisation de ce barrage dont les travaux de construction ont été inaugurés le 22 Mars 1969 par le roi Hassan II, a été financée grâce à un impôt institué sur le prix du sucre.
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AFP . Rabat – 24 Juillet 1973
La presse marocaine et le sommet tripartite
La presse marocaine consacre mardi une large place au sommet tripartite Boumedienne-Ould Daddah- Hassan II, qui s’est ouvert lundi après-midi à Agadir et met unanimement l’accent sur « la marocanité, tant historique que géographique du Sahara sous domination espagnole ».
« Ce que nous attendons aujourd’hui du sommet d’Agadir, écrit notamment l’organe de l’Union marocaine du travail, « Maghreb-Information » », ce n’est pas de réitérer l’appel à une décolonisation exigée somme toute par des pays fort éloignés du nôtre, mais un soutien inconditionnel aux droits du Maroc (sur le Sahara) ».
Le quotidien istiqlalien « L’opinion », sous le titre « joindre l’épée à la plume », critique violemment dans son éditorial d’aujourd’hui, « l’Espagne franquiste qui continue à vivre dans un passé lointain et à créer, par son attitude absurde, une tension préjudiciable aux règles du bon voisinage et au climat international ».
Après avoir mis l’accent sur « les manœuvres peu louables auxquels se sont livrés jusqu’à présent les cercles dirigeants de Madrid afin de faire planer l’ambigüité sur la marocanité de notre Sahara. Jamais notre peuple n’a renoncé, et ne renoncera, à ses droits nationaux, quelles que soient la puissance et la voracité de l’occupant ». En conclusion, « L’opinion » estime que les débuts de la lutte armée au Sahara « montrent que nos masses populaires sont aptes à assumer leur responsabilité nationale, quitte à joindre l’épée à la plume ».
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AFP . Paris – 26 Juillet 1973
A propos du Sahara espagnol : un communiqué du « Morehob »
Le « mouvement de résistance pour la libération des terres sous domination espagnole en Afrique » (Morehob) publie un communiqué dénonçant la création d’un mouvement analogue au Maroc-même, ayant pour objet assure-t-il de « s’approprier le Sahara sous domination espagnole, pour le compte de la couronne marocaine ».
Le « Morehob » dont le président est M. Edouard Moha, prétend être le seul porte-parole des populations du Sahara espagnol. Il affirme lutter pour son indépendance depuis de longues années et disposer de réseaux à Ceuta et Melilla, au Sahara et de cellules implantées en Europe.
D’après le communiqué, un plan de soulèvement, dit « plan over » aurait dû être déclenché en Août 1972. Il prévoyait l’attaque des garnisons espagnoles de Ceuta, Melilla et du Sahara, mais la disparition du général Oufkir qui était en rapports étroits avec le « Morehob » n’en a pas permis l’application, à la suite de l’attentat perpétré contre le roi Hassan II, précisément à cette époque.
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Rabat – le 26 Juillet 1973
Adressé diplomatie Paris n° 1565/67 – communiqué via le Département à Alger 201/203, Madrid 83/85, Nouakchott 119/121, Tripoli 114/116, Tunis 145/147 – réservé directeurs
Objet : sommet tripartite d’Agadir et question du Sahara espagnol
Des entretiens qu’ont eus à Agadir, les 23 et 24 Juillet, les chefs d’Etat marocain, algérien et mauritanien, il est pour l’instant particulièrement malaisé de faire un commentaire valable, ne serait-ce qu’étant donné le caractère, le lieu et la date de ces entretiens.
Il ne semble pas, d’ailleurs, à première vue, que le sommet d’Agadir ait permis d’atteindre des résultats très décisifs, ou, tout au moins, très spectaculaires, en ce qui concerne son objet essentiel, c’est-à-dire la question du Sahara espagnol. Le communiqué publié ne contient aucun appel à une quelconque mobilisation contre l’occupant espagnol, et les termes qui évoquent l’avenir du territoire ne traduisent aucune évolution perceptible en faveur d’une des thèses annexionnistes en présence.
Certains sont, d’ailleurs, enclins à considérer que, si les trois chefs d’Etat ont pu se mettre d’accord sur un texte commun, c’est précisément parce qu’ils se sont gardés d’évoquer le statut du Sahara espagnol après la décolonisation.
Toutefois, la bénédiction officielle donnée par le Maroc et l’Algérie à l’entrée de la Mauritanie dans la communauté maghrébine et l’accent mis dans le communiqué sur la « coopération à l’échelle régionale » et sur « l’imbrication des intérêts » permettent peut-être de se demander si l’idée n’est pas en train de faire peu à peu son chemin d’une solution du problème du Sahara espagnol dans un cadre maghrébin. Dans un tel cadre, qu’il soit de forme fédérale ou confédérale, estiment certains observateurs, le Sahara décolonisé trouverait tout naturellement sa place, faisant disparaître du même coup « la pomme de discorde ». Ce n’est là, pour le moment, qu’une hypothèse./.
Lebel
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Rabat – le 27 Juillet 1973
Adressé diplomatie Paris n° 1569/1572 – communiqué via le Département à Alger 204/207, Madrid 86/89, Nouakchott 122/126, Tripoli 117/120, Tunis 148/151 – réservé directeurs
Objet : sommet tripartite d’Agadir et question du Sahara espagnol
Je me réfère à mon télégramme n° 1565.
Rencontré hier soir dans un cocktail, l’ambassadeur d’Algérie a fait, non sans réticence, quelques confidences sur le récent sommet d’Agadir aux questions que lui posait le ministre conseiller.
Il a écarté formellement comme inconcevable toute solution de referendum par région, donc toute idée de partage des territoires actuellement sous domination espagnole (même, semble-t-il, avec le correctif d’une exploitation plus ou moins commune des richesses du sous-sol), alors que cette idée tendait ces derniers temps à être considérée par un certain nombre d’observateurs comme étant l’une de celles qui étaient peut-être en train de commencer à faire leur chemin dans les esprits.
L’ambassadeur d’Algérie a, dans le même temps, fait montre d’un certain scepticisme touchant la construction maghrébine, les déclarations d’intention auxquelles celle-ci avait donné lieu à Agadir et le cadre qu’elle pourrait ouvrir à la solution du problème du Sahara espagnol, dans l’hypothèse évoquée en fin de mon télégramme de référence.
Il a, par ailleurs, largement minimisé les difficultés que pourrait rencontrer le roi du Maroc pour imposer à son opinion publique, et singulièrement à son opposition, le renoncement à des revendications, surabondamment prônées, de souveraineté exclusive sur les territoires intéressés.
A ce sujet, je note toutefois que les réactions de l’opposition aux résultats de la conférence d’Agadir ont été jugées par le pouvoir suffisamment vives pour entrainer la saisie, deux jours de suite (mercredi et jeudi), de la totalité des journaux de l’opposition, et que ceux-ci n’ont été admis à paraître aujourd’hui (et hier pour Al Alam) qu’en raison de l’absence totale de commentaires de leur part au sujet du sommet.
Le représentant du président Boumedienne a conclu son commentaire en confirmant que l’Algérie s’apprêtait maintenant, à son tour, à recevoir le roi, à l’occasion de la prochaine conférence des pays non-alignés, comme ce dernier l’a d’ailleurs annoncé lui-même./.
Lebel
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Rabat – le 30 Juillet 1973
Adressé diplomatie Paris n° 1585/92 – communiqué via le Département à Alger 208/215, Madrid 90/97, Nouakchott 126/133, Tripoli 121/128, Tunis 152/159 – réservé directeurs
Objet : entretien avec le ministre des Affaires étrangères : sommet tripartite d’Agadir et Sahara espagnol
Je me réfère à mon télégramme n° 1580.
C’est avec quelque surprise, dans le contexte des préoccupations actuelles, que j’ai entendu M. Benhima me dire que c’était pour me parler du sommet tripartite d’Agadir qu’il m’avait convoqué ce matin. Les indications qu’il voulait me donner sur cette conférence répondaient à celles dont Votre Excellence avait bien voulu lui faire part sur des questions intéressant l’Algérie et le Maroc.
Procédant d’abord à un retour en arrière, le ministre des Affaires étrangères évoquait successivement les diverses phases de l’affaire du Sahara espagnol : la conférence de Nouadhibou, qu’on invoquait à chaque instant, et qui n’avait été en fait, selon lui, qu’une étape parmi d’autres, celle de Rabat (de Juin 1972) qui constituait maintenant l’essentiel, le caractère tendu des débats lors de la dernière assemblée générale de l’O.N.U.(Novembre-Décembre 1972), la récente réunion des ministres des Affaires étrangères de Nouakchott (Mai 1973), à laquelle les Marocains n’avaient pas été initialement conviés – chose difficilement admissible pour eux – et à laquelle ils n’avaient finalement accepté de participer qu’à condition qu’elle soit très rapidement suivie d’une conférence des chefs d’Etat.
A propos de la réunion de Nouakchott, M. Benhima me confiait que, tandis que les Marocains avaient soutenu leurs revendications traditionnelles, les Algériens avaient envisagé deux possibilités : soit une aide à la création de mouvements de libération indépendants pour hâter le processus de décolonisation, soit une négociation avec l’Espagne visant à garantir à celle-ci, en échange de son renoncement à la souveraineté sur les territoires intéressés, certains intérêts stratégiques et économiques.
Ces deux perspectives suscitaient les plus vives réserves de la part des Marocains, qui s’opposaient à la première en dénonçant les risques de rivalité, de confusion et d’immixtion de tierces puissances qu’elle comportait, cependant que s’agissant de la seconde, ils indiquaient qu’ils étaient mieux placés que quiconque pour traiter avec l’Espagne. Les Mauritaniens, pour leur part, ne se manifestaient guère que comme second rôle des Algériens.
En ce qui concerne le sommet d’Agadir lui-même, M. Benhima m’en faisait le récit suivant : le roi, ouvrant la réunion, aurait déclaré d’entrée de jeu que l’affaire du Sahara était de celles dont on pouvait parler soit cinq minutes soit des journées entières. A son sens, cinq minutes étaient amplement suffisantes. Encouragé par le succès populaire qu’il venait de remporter devant ses hôtes, le souverain aurait alors exposé son point de vue avec une vigueur particulière.
Il aurait d’abord dénié à l’Algérie le droit d’être une partie intéressée dans cette affaire, car il lui paraissait inadmissible que celle-ci participât, comme elle semblait le souhaiter, à l’exploitation et aux bénéfices des richesses du sous-sol du Sahara espagnol, sans rien apporter en échange.
En outre, si ce que voulaient les Algériens, c’était s’ouvrir une fenêtre sur l’Atlantique, il était prêt, dans cette hypothèse, à renoncer à tout programme économique et social pour se consacrer uniquement à l’armement de son pays, car le Maroc ne pouvait admettre d’être borné au sud par un Etat indépendant ou par un Etat qui serait sous la coupe d’une autre puissance. Il était disposé, en revanche, à donner à la Mauritanie des assurances sur le plan stratégique.
En somme, indiquait le roi, il n’était pas possible d’évoquer « l’esprit de Nouadhibou » sans penser aussi à « l’esprit de Rabat ». On parlait beaucoup de « politique de bon voisinage » : le souverain chérifien voyait bien les concessions considérables qu’il avait consenties en faveur des Algériens à la seconde de ces conférences, après celles qu’ils avaient consenties au bénéfice des Mauritaniens à la première. Il ne voyait pas en quoi il avait été payé de retour pour l’instant par les uns et par les autres. En réalité, s’il admettait le principe de l’auto-détermination, il fallait bien voir que l’issue du referendum ne pouvait être que le rattachement du Sahara espagnol au Maroc.
A en croire M. Benhima, les deux interlocuteurs du roi auraient été passablement surpris par la vigueur des interventions de celui-ci. Un peu embarrassé, le président Boumedienne aurait protesté à nouveau de son désintéressement, tandis que les interventions du président Moktar auraient été quasi-inexistantes. Dans ces conditions, le sommet d’Agadir pouvait, selon mon interlocuteur, être considéré comme un succès pour le Maroc qui avait mené les débats – au demeurant fort courts – et qui avait d’ailleurs fait écarter du texte du communiqué commun toute allusion aussi bien à la constitution d’un éventuel Etat indépendant qu’à la création de mouvements subversifs internes.
En ce qui concerne la construction maghrébine et l’entrée de la Mauritanie dans le Maghreb, le roi aurait fait valoir qu’on ne pouvait rien décider de concret en l’absence du président Bourguiba, et, d’ailleurs, ajoutait M. Benhima, on ne voyait pas très bien l’intérêt de « faire monter quelqu’un dans un train en panne » ou à peu près (…). En outre, les Marocains s’interrogeaient sur la cohérence des choix de la Mauritanie, jusque-là surtout tournée vers les pays d’Afrique noire, et dont au demeurant une partie de la population était de race noire.
Lors d’un entretien particulier, en large de la conférence, le roi aurait aussi fait reproche au président Moktar d’avoir rompu brutalement avec la France, alors que lui-même donnait l’exemple des bonnes relations que l’on pouvait garder avec notre pays, en dépit des difficultés, et des résultats auxquels cette politique réaliste permettait d’arriver./.
Lebel
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Madrid – le 1er Août 1973
Adressé diplomatie Paris n° 1565/67 – communiqué via le Département à Rabat 47/50, Alger 38/41, Nouakchott 24/27, delfra New-York 24/27 – réservé directeur
Objet : Sahara espagnol
Au cours d’un entretien portant sur le Sahara espagnol, le directeur général d’Afrique et du Moyen-Orient au palais de Santa Cruz a indiqué au conseiller de cette ambassade que la position de l’Espagne lui paraissait meilleure après le récent sommet tripartite d’Agadir.
En effet, non seulement le roi Hassan II acceptait que la Mauritanie ait sa place parmi les pays du Maghreb, mais il avait admis que la population du Sahara espagnol puisse effectivement recourir à l’auto-détermination pour fixer son avenir politique, alors que depuis un certain temps le Maroc, en fait, ne le souhaitait plus.
D’autre part, en ce qui concernait ce concept d’auto-détermination, convenu de manière assez vague à Agadir, a poursuivi M. Moran, le souverain marocain ne partageait plus l’opinion des chefs d’Etat algérien et mauritanien quant à la valeur qu’il convenait d’attribuer aux résultats de l’éventuelle consultation. Pour Alger et Nouakchott, les résultats du referendum devraient être considérés comme définitifs. Pour Rabat, ces résultats ne devraient pas empêcher un rattachement ultérieur du Sahara espagnol au Maroc. Par ailleurs, selon M. Moran, l’Algérie et la Mauritanie préfèreraient voir le Sahara espagnol se constituer en un Etat indépendant, et accepteraient même qu’il reste lié à l’Espagne par des accords particuliers.
La persistance de ces divergences d’intérêt, comme l’assouplissement de la position de Rabat, laissaient espérer à notre interlocuteur que la prochaine session des Nations Unies sera moins difficile pour Madrid que la précédente. On considère ici que M. Benhima a poussé les choses trop loin et que sa politique n’a pas donné les résultats escomptés. L’optimisme du palais de Santa Cruz n’en reste pas moins très mesuré en raison des difficultés auxquelles le roi du Maroc se trouve aux prises sur le plan intérieur./.
Gillet